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La désignation d'un premier robot comme CEO d'une entreprise chinoise et les évolutions du monde du travail

  • Session : 2022-2023
  • Année : 2022
  • N° : 123 (2022-2023) 1

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  • Question écrite du 10/11/2022
    • de HARDY Maxime
    • à MORREALE Christie, Ministre de l'Emploi, de la Formation, de la Santé, de l'Action sociale et de l'Economie sociale, de l'Egalité des chances et des Droits des femmes
    La presse s'est fait récemment le relais de la nomination par la société chinoise sNetDragon Websoft Holdings Limited d'un robot - intelligence artificielle appelée Tang Yu au rôle de CEO de sa filiale active dans le secteur des jeux vidéo. Il s'agit d'un programme algorithmique basé sur une intelligence artificielle dont l'objectif est de rationaliser les décisions, mais également de prouver la pertinence de l'intelligence artificielle dans le management d'entreprises. Tang Yu possède néanmoins un visage et une voix, que les employés de l'entreprise pourront voir à travers leurs écrans.

    Au-delà de l'effet d'annonce, ce type d'événement nous amène à nous poser la question de la place de l'intelligence artificielle et de ses dérivés, comme la robotique, dans le monde du travail.

    Si l'objectif de la technologie fut toujours de simplifier les tâches des hommes et des femmes, que faire désormais si une technologie occupe un rôle de management, impliquant des travailleurs et des travailleuses ?

    Par ailleurs, certaines de ces questions se posent déjà de manière moins spectaculaire dans certaines entreprises. En 2021 par exemple, des travailleurs d'Amazon se plaignaient déjà du « management algorithmique » et des conditions de travail très difficiles voire des licenciements qui en résultaient.

    Nous avons voté en juillet dernier un décret concernant la formation de base au numérique qui s'inscrit dans la lignée du texte de la Déclaration de politique régionale qui prévoit que l'offre de formation professionnelle doit être adaptée pour répondre aux besoins des entreprises et aux projets des individus notamment via un renforcement de l'axe numérique.

    Comment Madame la Ministre envisage-t-elle le futur du monde du travail et de l'emploi dans ses relations avec les technologies numériques ?

    A-t-elle des contacts avec les représentants du monde syndical et patronal à ce sujet ?

    Ne faudrait-il pas envisager des garde-fous qui permettent de s'assurer que les technologies ne se développent pas au détriment du bien être des travailleurs et des travailleuses ?

    Quel cadre éthique envisager dans ce contexte ?
  • Réponse du 29/11/2022
    • de MORREALE Christie
    À chaque fois qu’une nouvelle technologie est apparue, elle a suscité le développement de craintes, en partie légitimes, en partie non fondées. Après la révolution informatique, c’est la révolution numérique qui impacte désormais le monde du travail. L’arrivée de l’intelligence artificielle et de robots a des aspects positifs et négatifs, en fonction du type de tâche impactée. La réalité est multiple : des exosquelettes facilitant le déplacement de lourdes charges dans les entrepôts aux caisses des grandes surfaces qui substituent le client à l’hôtesse ; d’une part, il s’agit d’un travailleur « augmenté » et de l’autre, d’un travailleur « remplacé ». Mais n’oublions pas que derrière un robot ou une intelligence artificielle, il y a aussi toujours un travailleur qui lui apprend les tâches à réaliser.

    Certaines études estiment que seulement 10 à 15 % du volume total de l’emploi sera affecté par la robotisation. Ces dernières ne se basent plus, comme par le passé, sur l’idée qu’un robot fait « mieux » qu’un humain et finit par le remplacer, mais sur la distinction entre « tâches routinières » et « tâches non routinières ». En 2021, l’OCDE a publié deux rapports relatifs à l’impact de la robotisation et de l’intelligence artificielle sur le travail. Ces rapports confirment que la robotique et l’intelligence artificielle ne contribuent pas à une destruction nette d’emplois, car tous les pays ont connu une croissance nette à l’emploi la dernière décennie malgré une hausse importante des brevets EMO (brevets concernant la robotique ou l’intelligence artificielle créées en vue de réaliser de l’économie de main-d’œuvre). Néanmoins, la croissance de l’emploi a été bien plus faible dans les métiers à haut risque d’automatisation que les métiers à faible risque.

    Dans ces études, l’intelligence artificielle ne remplace donc ni les travailleurs ni les CEO. Les travailleurs, en particulier, resteront présents pour toute une série de tâches non automatisables. L’intelligence artificielle a l’avantage de permettre de traiter une grande quantité de données en un temps très court tandis que l’humain reste indispensable lorsqu’il s’agit de procéder à une analyse qualitative.

    Derrière les mécanismes d’intelligence artificielle se trouvent des algorithmes créés par des êtres humains. Des garde-fous (réglementations, normes…) sont déjà en place et amenés à évoluer pour être renforcés. Un projet de réglementation est d’ailleurs en cours à l’Union européenne concernant la mise en place de balises éthiques lors de la création et l’utilisation d’intelligences artificielles. Lors de l’adoption de systèmes utilisant largement l’IA, la transparence et la prise de responsabilité des différents acteurs de terrain comme les partenaires sociaux, les employeurs… sont essentielles. Il est également important de bien envisager l’impact de sa mise en place sur les travailleurs des entreprises, tout comme sur leurs fournisseurs et clients. Il faut tenir compte de tous les aspects éthiques: les droits individuels doivent être respectés et l’accès à l’IA doit être assuré de façon équitable, sans discrimination.

    Le développement de formations permettant la mise à jour (parfois importante) des compétences de la main-d'oeuvre et le développement de nouveaux métiers deviennent donc essentiels pour la Wallonie. Cela fait déjà un certain temps que les autorités compétentes ont pris conscience de cette mutation technologique profonde et s’investissent à différents niveaux afin d’y répondre au mieux. Permettre aux entreprises de maintenir leur compétitivité, autant sur un plan local qu’international, et aux travailleurs et futurs travailleurs de s’inscrire au mieux dans ces mutations est un enjeu majeur. À ce titre, différents moyens sont déployés.

    C’est ainsi que nous créons les conditions propices au développement de l’activité économique, en favorisant la mise en place de l’usine du futur. Permettre à la population d’acquérir les nouvelles compétences et qualifications en lien avec les évolutions technologiques, plus particulièrement la robotique, fait partie intégrante des politiques de l’emploi et de la formation.

    Tant les autorités que les milieux patronaux et syndicaux sont attentifs à cette problématique. Nous travaillons de concert afin de trouver des solutions permettant la mise en place de l’intelligence artificielle. En effet, depuis 2013, le FOREm a entamé une démarche visant à déterminer – à l’aide d’une approche globalisante et objectivante – les « métiers d’avenir » pour la Wallonie. Cette démarche se réalise de concert avec différents acteurs : les centres de compétences, les représentants sectoriels, des représentants d’entreprises, des partenaires, et cetera.

    Depuis 2021, le travail se poursuit dans le cadre de Wallonie Compétence d’Avenir. Deux chaînes de valeurs (l’agroalimentaire et la construction) ont fait l’objet d’une analyse visant à anticiper les évolutions à court et moyen terme (3 à 5 ans) des métiers et des compétences afin d’adapter l’offre de prestations, en particulier celle de la formation. Tous ces travaux s’inscrivent dans la double transition environnementale et numérique et prennent donc en compte l’impact de l’intelligence artificielle et de la robotique sur les métiers et compétences de ces chaînes de valeur.

    L’une de nos principales préoccupations est de développer les compétences des travailleurs afin de leur permettre d’évoluer et donc de maintenir leur emploi, par exemple en formant les jeunes et en recyclant les travailleurs aux tâches pour lesquelles les robots ne conviennent pas, comme la collaboration créative ou toutes tâches relevant de l’intelligence émotionnelle, par exemple. L’usage de l’intelligence artificielle doit donc être cadré et tenir compte des valeurs de l’entreprise, tout en restant conforme aux réglementations en vigueur (comme la protection des données personnelles, celles relatives à l’utilisation de technologies particulières ou la future réglementation IA européenne).