/

Le concept de "Carbon farming" et l’accord intraeuropéen de novembre 2022 sur l’utilisation des terres, le changement d’affectation des terres et la foresterie

  • Session : 2022-2023
  • Année : 2022
  • N° : 181 (2022-2023) 1

2 élément(s) trouvé(s).

  • Question écrite du 24/11/2022
    • de CRUCKE Jean-Luc
    • à BORSUS Willy, Ministre de l'Economie, du Commerce extérieur, de la Recherche et de l'Innovation, du Numérique, de l'Aménagement du territoire, de l'Agriculture, de l'IFAPME et des Centres de compétences
    Selon les estimations scientifiques, les sols du monde entier contiendraient trois fois plus de carbone que l'atmosphère ». Selon l'initiative « 4 pour 1000 », le fait d'augmenter annuellement de 0,4 % les stocks de carbone organique dans le sol à travers le monde pourrait permettre de compenser le flux de carbone vers l'atmosphère dû aux combustibles fossiles, équivalent à 9,4 Gt carbone/an.

    Plusieurs leviers existent pour optimiser le stockage de carbone. Il s'agit aussi de miser sur la diminution du travail du sol, l'épandage de matière organique exogène ou la pratique de l'agroforesterie. Un véritable challenge pour notre agriculture !

    Cependant, au-delà du potentiel biophysique, il s'agit de comprendre les contraintes physiques et le potentiel économique ! Passé les premières tonnes stockées, le coût augmente de façon importante. Il faut alors un mécanisme de subsides. Il y a aussi la question de la quantité de carbone pouvant être emprisonnée sous terre. Un récent rapport du IPBES relève notamment plusieurs éléments à cet égard.

    La Commission européenne a annoncé avoir convenu un accord avec le Parlement et le Conseil sur l'utilisation des terres, changement d'affectation des terres et foresterie. Il vise à accroître l'absorption nette de carbone par les puits naturels à 310 millions de tonnes d'équivalent CO2 d'ici à 2030, soit environ 15 % de plus qu'aujourd'hui. Chaque État membre sera responsable du bon développement de ses puits de carbone pour atteindre cet objectif ambitieux.

    Quelles implications cet accord aura-t-il sur la politique agricole en Wallonie et quelle lecture en fait Monsieur le Ministre ?

    Y a-t-il des pistes de réflexion quant aux mesures nécessaires à prendre notamment sur l'aspect économique ?

    Quels sont les défis qui s'imposent à notre Région à l'aube de cet accord intraeuropéen ?

    Qu'en est-il du défi assez considérable de l'harmonisation entre les Régions ?
  • Réponse du 21/12/2022
    • de BORSUS Willy
    L’accord sur l’utilisation des terres, le changement d’affectation des terres et la foresterie comporte deux phases (période 2021-2025 et période 2026-2030).

    Pour la période de 2021 à 2025, la comptabilisation se fait selon des règles spécifiques pour chaque sous-secteur (gestion forestière, boisement/déboisement, gestion des terres de cultures et de prairies et produits récoltés du bois). Pour la gestion forestière, qui est le puits de carbone le plus important en Wallonie, la comptabilisation se fait par différence par rapport à un niveau de référence.

    Au niveau du boisement/déboisement, le bilan actuel est une émission nette de 116 kt en 2020. Concernant la gestion des terres de culture et de prairies, l’inventaire a été largement revu en 2022. Suite à la publication de données « Requasud » montrant une diminution de la teneur en carbone des prairies, l’AWAC, en partenariat avec l’UCL, a effectué en 2022 une mise à jour de l’évolution des teneurs en carbone dans les sols, sur la base des données « Requasud ». De nouvelles campagnes d’analyse sont prévues avec le CRA-W dans le cadre du projet 114 du Plan de relance de la Wallonie intitulé « Mettre en place un suivi régional des stocks de carbone dans les sols » afin de confirmer et d’affiner ces données.

    Pour la période de 2026 à 2030, la comptabilisation se fera de manière uniforme pour tous les sous-secteurs, en comparant l’ensemble des émissions/absorptions à une période de référence. Ceci simplifiera la comptabilisation. L’objectif unique sera une augmentation du puits de carbone. Pour la Belgique, l’objectif proposé pour l’augmentation du puits de carbone représente un défi majeur.

    Le bilan au niveau wallon dépendra fortement de l’évolution de l’occupation des terres (impacts des changements d’affectation des terres) et de la gestion forestière (intensité des coupes notamment).

    Les pistes de travail concernent l’adaptation aux changements climatiques, le stockage du carbone ainsi que l’inventaire.

    L’impact de cet accord doit encore être évalué à la lumière de différents éléments comme la cartographie la plus précise de l’état des lieux actuel, la nécessité de quantifier et d’objectiver l’objectif de 15 % que l’honorable membre évoque.

    Il faut également citer des initiatives à impact positif sur la séquestration du carbone qui sont soutenues en Wallonie telles que :
    - l’ASBL Greenotec qui est subventionnée pour mener des expérimentations afin d’optimiser des itinéraires techniques de conservation des sols et de conseiller les agriculteurs pour la mise en place de pratiques culturales en travail du sol simplifié ;
    - l’ensemble des actions « transition agroécologique » du Plan de relance avec une étude visant à fournir un référentiel agroécologique favorisant l’accompagnement des fermes dans la transition, la mise en œuvre d’un réseau de fermes pilotes (+ de 40 fermes avec plan d’action), la mise en place de recherches-essais dans au moins 14 groupements de 20 agriculteurs en agroécologie (GAA) et un volet spécifique liée au carbone avec la mise en œuvre d’une étude de faisabilité et de développement de la meilleure méthode de compensation pour des services environnementaux dont le carbone et le développement de l’outil Décidé ;
    - l’outil d’aide à la décision DECiDE développé par le CRA-W qui permet d’effectuer des bilans de gaz à effet de serre, d’énergie et d’ammoniac à l’échelle de l’exploitation par une approche d’analyse de cycle de vie permettant d’identifier les postes et par conséquent les leviers de réduction potentiels des émissions de GES et de la consommation d’énergie ;
    - la subvention à la plantation de haies, d’arbres d’alignement et d’arbres fruitiers et le programme « Yes We Plant » qui vise à soutenir sur tout le territoire la plantation de haies et d'arbres par un plan d’action porté par le Gouvernement ;
    - la convention-cadre ABC (Natagriwal, Centre de Michamp, AWAF, CRA-W et Fédération des parcs de Wallonie) qui encadre les agriculteurs dans l’implantation des haies, des vergers et de l’agroforesterie.

    Une série d’initiatives viendront s’ajouter dès l’année prochaine :
    - dans la nouvelle programmation de la PAC (2023-2027), la nouvelles MAEC « Sol » vise à maintenir ou augmenter le carbone en cultures et en prairies par une aide en cas d’augmentation de ce dernier sur 5 ans, favorisant dès lors des pratiques de réduction du travail du sol, de l’épandage des matières organiques et du recours aux couverts d’intercultures ;
    - le nouvel Eco-régime « maillage écologique » encourage le maintien et le développement de zones favorables à la biodiversité, en ce y compris les éléments tels que les haies et les arbres ;
    - l’AWAF (Association pour l’agroforesterie en Wallonie et à Bruxelles) devrait se voir confier une nouvelle mission de développer un « Plan stratégique agroforesterier wallon » qui dressera un état des lieux des pratiques existantes, analysera la vision des acteurs de l’agriculture, fournira des formations et agira pour lever certains freins légaux au développement de ces pratiques. Ce projet devrait permettre d’augmenter encore le rayonnement des actions entreprises dans le cadre du programme « Yes We Plant » avec un ciblage sur l’agriculture.

    L’Europe travaille actuellement sur la mise en place d’un cadre réglementaire européen pour l’octroi des crédits carbone. La Commission élaborera les règles nécessaires pour surveiller, signaler et vérifier l'authenticité des séquestrations. L'objectif est d’assurer des séquestrations durables de carbone et d'encourager l'utilisation de solutions innovantes pour capter, recycler et stocker le CO2 par les agriculteurs, les forestiers et les industries.

    Il s'agit d'une étape nécessaire et importante vers l'intégration de l'absorption du carbone dans les politiques climatiques de l'UE. Une proposition vient d’être faite ce 30 novembre 2022. La Wallonie se tient évidemment au courant de ces avancées par la participation aux différentes communications à ce sujet et dans les différents réseaux intrabelges.