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Les objectifs européens d’autosuffisance pour les matières premières à l’aube de 2023

  • Session : 2022-2023
  • Année : 2022
  • N° : 244 (2022-2023) 1

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  • Question écrite du 16/12/2022
    • de CRUCKE Jean-Luc
    • à BORSUS Willy, Ministre de l'Economie, du Commerce extérieur, de la Recherche et de l'Innovation, du Numérique, de l'Aménagement du territoire, de l'Agriculture, de l'IFAPME et des Centres de compétences
    La Commission européenne envisage d'augmenter l'autosuffisance de l'UE en matière de matières premières nécessaires aux transitions écologique et numérique, avec des objectifs allant jusqu'à 30 % pour certaines d'entre elles.

    Un projet de loi de la Commission devrait arriver au cours du premier trimestre de 2023. La proposition devrait contenir des objectifs visant à accroître l'autosuffisance de l'Europe pour certaines matières premières.

    Dans le cadre de sa réglementation sur les matières premières critiques, la Commission ira au-delà des terres rares classiques pour se concentrer également sur d'autres métaux nécessaires à la transition écologique. Il s'agirait de porter un regard nouveau sur les matières notamment l'aluminium et le besoin de se réindustrialiser ! Au niveau de l'UE, on a classé 30 matières premières dites « critiques » en fonction du risque d'approvisionnement et de leur importance économique.

    Cela dépendra notamment de l'identification des matériaux ainsi que du stade auxquels ils se trouvent dans la chaine de valeur.

    En Wallonie, selon une récente étude de l'IWEPS, il est question d'une dépendance envers des acteurs hors de l'UE concernant pas moins de 60 produits (importés) notamment dans le secteur pharmaceutique et de la chimiques organiques.

    À cet égard, l'IWEPS a présenté diverses recommandations telles qu'une gestion des risques, la diversification des sources d'approvisionnement et la constitution de stocks stratégiques. Monsieur le Ministre a d'ailleurs déclaré qu'il était nécessaire de « pousser la réflexion ».

    Quelle est son analyse face aux recommandations de l'IWEPS ?

    Quelle est sa sensibilité vis-à-vis de l'initiative de l'UE ?

    Qu'en est-il des diverses initiatives pour mieux gérer nos dépendances ?

    Qu'en est-il de l'économie circulaire ?

    Quelle est l'échéance à la suite de la présentation des priorités industrielles pour la Région ?

    Qu'en est-il de la nécessité de se « réindustrialiser » ?
  • Réponse du 12/01/2023
    • de BORSUS Willy
    En septembre 2020, la Commission européenne avait présenté un plan d’action sur les matières premières critiques. Dans celui-ci, la Commission considérait les matières premières comme critiques lorsqu’elles revêtaient une importance économique cruciale, mais qu’elles ne pouvaient être produites de manière fiable dans l’Union européenne, et qu’elles devaient être en grande partie importées. En ce qui concerne notamment les matières premières qui jouent un rôle important dans le développement de la numérisation et des technologies tournées vers l’avenir, l’Union est fortement tributaire d’importations en provenance d’autres pays.

    Les économies modernes, caractérisées par de longues chaînes de valeur, ne peuvent fonctionner de manière durable sans un approvisionnement en matières premières qui soit sûr, compétitif et respectueux de l’environnement. Nous devons réduire la dépendance de l’Union européenne à l’égard des matières premières critiques grâce à une utilisation plus efficace des ressources, à des produits durables et à l’innovation. L’extraction de matières premières à l’intérieur de l’Union doit bénéficier d’un soutien « politique » et financier, et les approvisionnements en provenance de pays tiers doivent être diversifiés. Les normes environnementales et sociales, tout comme la traçabilité des chaînes d’approvisionnement et de distribution, doivent absolument être garanties par des accords internationaux.

    À ce titre, je me félicite de l’Alliance européenne des matières premières, lancée par la Commission européenne avec des représentants de l’industrie, de la recherche, des États membres et de la société civile. Cette initiative peut apporter une contribution précieuse dans le cadre de la promotion du savoir-faire technique, de l’innovation et des investissements.

    Fin mars, l’exécutif européen devrait effectivement présenter une proposition de règlement sur les matières premières critiques, visant à renforcer la sécurité d’approvisionnement des matières premières les plus importantes pour l’industrie européenne. Il s’agit incontestablement d’un dossier important pour la Wallonie qui est une « petite » économie ouverte à l’échelle européenne.

    Pour rappel, la dernière édition du Rapport sur l’Économie wallonne (Issu d’une collaboration entre l’IWEPS, la SOGEPA et le SPW-EER, voir : https://www.sogepa.be/fr/news/372_rapport-sur-leconomie-wallonne-2022-une-contribution-de-la-cellule-economique-sogepa-sur-la-dependan) a montré que même si le rythme de croissance des exportations a ralenti par rapport aux évolutions exceptionnelles observées au début de ce siècle, les exportations ont progressé de manière favorable durant la période d’expansion économique internationale qui s’étend de 2014 à 2019. Elle illustre aussi comment l’industrie domestique a notamment pu compter sur une récupération rapide d’un certain dynamisme des échanges mondiaux de marchandises, une fois le bref blocage du printemps 2020 surmonté. Les exportations wallonnes ont dès lors joué pleinement leur rôle de soutien à la croissance du PIB durant cet épisode.

    Il n’en demeure pas moins que les crises récentes ont souligné combien nos économies sont fortement interconnectées. La crise sanitaire et les conséquences de la guerre menée par la Russie en Ukraine ont ainsi révélé un autre élément potentiel de fragilité qui se pose aux entreprises à l’international, un défi qui avait pu, jusqu’il y a peu, demeurer relativement secondaire dans un environnement marqué par une mondialisation croissante : le risque pour nos économies d’une trop forte concentration des sources d’approvisionnement.

    Les chaînes d’approvisionnement sont en constante mutation et différentes tendances ont été constatées ces dernières années. L’objectif premier est de rendre ces chaînes résilientes et non fragiles. En ce sens, des tendances en reconfiguration s’observent :
    - augmentation de la prise de conscience des risques dans la chaine d’approvisionnement (risques matières, risques géopolitiques, risques environnementaux, et cetera) et de la fragilité de certaines d’entre elles ;
    - certains produits qui avaient une source unique d’approvisionnement (souvent par facilité, contraintes de qualité et optimisation) sont maintenant diversifiés au niveau des sources ;
    - différentes tendances continuent d’affecter les supply chain et réflexions : retards et pénuries, perturbation tant du côté de l’offre que la demande ou délais ;
    - le point principal d’attention reste la gestion des coûts, notamment à la vue des augmentations de prix : 42 % des directeurs de la chaîne logistique indiquent qu’ils sont tenus de maintenir les marges et la rentabilité actuelles et d'atteindre les objectifs de durabilité, de rapidité et d'innovation (étude Gartner de 2022 auprès de 1 000 responsables) ;
    - plus d’une entreprise sur deux va être très attentive aux impacts GES liés aux choix des fournisseurs, ce qui peut avoir un impact certain sur les réorganisations de chaînes ;
    - les entreprises continuent à se transformer digitalement pour une meilleure optimisation des flux, et de la traçabilité et des stocks ;
    - une tendance à la reconstitution de stock est en cours. Aujourd’hui, le marché logistique belge affiche un taux d’occupation de 98 % et cela, alors que les stocks ont diminué. Dès que possible, certains stocks stratégiques seront reconstitués et l’infrastructure logistique sera nécessaire ;
    - l’Europe s’inscrit dans une volonté d’autonomie stratégique notamment dans le secteur pharmaceutique ou des semi-conducteurs. Ces projets se mènent à l’échelle régionale européenne et il est important pour nous de s’inscrire dans ces tendances ;
    - grâce aux évolutions technologiques et en fonction de problèmes de main-d’œuvre, on remarque aussi une importance accrue de l’automatisation de la robotisation et cela peut avoir un impact sur les localisations de site de production. (Les sites hautement automatisés devraient passer de 18 % en 2021 à 47 % en 2024 selon une étude de Supply chain Media).

    A l’image des exercices entamés au niveau européen et belge, il est également intéressant d’analyser plus finement la dépendance aux importations au niveau de la Wallonie. Une analyse de dépendance a été réalisée récemment par la SOGEPA et le SPW-EER. Celle-ci consistait à regarder les produits pour lesquels les importations wallonnes sont majoritairement issues de pays non européens et pour lesquels les sources d’approvisionnement sont concentrées.

    En termes de résultats, on observe que la Wallonie importe 1.210 produits différents, dont 135 ont une origine majoritairement extra-européenne et, parmi ceux-ci, 60 ont une source d’approvisionnement concentrée dans un nombre réduit de pays. En termes relatifs, ces 135 produits dépendants représentent près d’un quart des importations wallonnes totales de marchandises et ces 60 produits dépendants et concentrés représentent un peu plus de 5 % en moyenne. En termes de valeur des importations, c’est de la Suisse, des États-Unis et de la Russie dont la Wallonie est la plus dépendante et, en termes de produits, ce sont des produits pharmaceutiques et des produits en acier dont les importations majoritairement issues de pays non membres de l’Union européenne sont les plus élevées.

    Pour répondre à l’ensemble des sous-questions de l’honorable membre, ceci éclaire l’analyse de la position de la Wallonie comme « petite » économie ouverte et suggère de poursuivre la politique industrielle du renforcement des chaînes de valeurs en coordination avec les autres leviers d’actions au Fédéral et à l’Europe.

    D’une part, le monitoring de notre économie mériterait d’être approfondi pour mieux détecter les dépendances indirectes via les autres régions et comprendre davantage la valeur ajoutée régionale contenue dans nos flux de commerce.

    D’autre part, l’autonomie européenne doit être renforcée via l’investissement et le développement de capacités technologiques et industrielles, mais aussi par le biais de cette proposition de règlement tant attendue. En ce qui me concerne, il s’agit en particulier de soutenir l’investissement dans la recherche et l’innovation pour développer des voies de substitution à l’image de la Stratégie de spécialisation intelligente (S3) qui :
    - se focalise sur des chaînes de valeurs prioritaires (domaines d’innovation stratégique dont font partie les matériaux circulaires) ;
    - capitalise sur des partenariats forts renforçant le potentiel d’innovation, la compétitivité des acteurs et leur ancrage dans le territoire et dont on voit certaines initiatives d’innovation stratégique viser justement un renforcement de l’autonomie régionale. Par ailleurs, le développement de l’économie circulaire via la Stratégie Circular Wallonia est également à souligner.

    Depuis la crise sanitaire, nous assistons à une autre forme de mondialisation. J’aurais plutôt tendance à souligner pour les entreprises l’intérêt de réduire les risques d’une trop forte concentration et de passer d’une gestion des coûts à une gestion des risques en diversifiant les sources d’approvisionnement et constituant des stocks stratégiques, par exemple. Dans ce sens, l’étude récente de la Banque Nationale (https://www.nbb.be/fr/articles/se-dirige-t-vers-une-ere-de-demondialisation) rappelle que la mondialisation n’est pas morte, mais qu’on peut s’attendre à une reconfiguration du commerce et des chaines d’approvisionnement mondiales, assortie d’une gestion des risques plus prudente, voire davantage de régionalisme et de délocalisation amicale, suggérant de capitaliser davantage sur des liens forts avec nos partenaires européens en premier lieu. Comme le souligne cette étude, les enquêtes semblent montrer actuellement que les entreprises tentent effectivement d’accroître la résilience de leurs chaînes d’approvisionnement par une meilleure gestion de leurs stocks et une diversification de leurs fournisseurs plutôt que par de vastes stratégies de relocalisation.

    En termes de politique industrielle, il s’agit de renforcer les chaînes de valeurs de nos entreprises en ayant une vision large qui lie les questions d’innovation, formation, production, et l’adéquation avec les usages et les réponses aux défis sociétaux, en capitalisant sur de fortes collaborations au niveau européen sans négliger les autres leviers de politique industrielle que sont les aspects réglementaires (voir par exemple, le Carbon Border Adjustment Mechanism pour assurer la compétitivité de notre industrie dans une économie globalisée), la législation en termes de concurrence ou les marchés publics.

    Or, depuis les années 1990, les chaînes sont beaucoup plus fragmentées (au niveau fonctionnel et géographique). Cela a engendré une globalisation et une restructuration des opérations avec deux phénomènes qui sont les délocalisations et les externalisations. Cela amène aujourd’hui le commerce mondial à être majoritairement un commerce intermédiaire. Selon l’organisation mondiale du commerce, plus de 50% des produits fabriqués importés sont des produits intermédiaires et cela monte même à plus de 70% pour les services. Il est donc important pour un pays de capter une partie de ces chaînes de valeur.

    Au niveau wallon, différentes mesures sont mises en place pour aider les entreprises sur le territoire, notamment en mettant en place un soutien spécifique pour les chaînes de valeur via l’AWEx et pour leur dimension internationale ainsi que le renforcement de nos secteurs forts.

    L’AWEx est aux côtés des entreprises et sur les enjeux spécifiques pour favoriser la résilience :
    - en accompagnant la stratégie internationale des entreprises et leur compréhension des enjeux de la chaîne de valeur (analyse de risques, évolutions importantes des marchés, contexte mondial) ;
    - en fonction des évolutions géopolitiques, économiques, des mesures spécifiques sont mises en place. Ainsi, différentes mesures ont par exemple été mises en place dans le cadre du Brexit ;
    - sensibilisation des entreprises à une plus grande connaissance des enjeux des chaînes de valeur (analyse de risques, gestion de stock, et cetera) via des accompagnements spécifiques ou des séminaires ;
    - accompagnement dans la recherche de nouveaux fournisseurs, de fournisseurs alternatifs via le réseau des conseillers économiques et commerciaux ;
    - sessions d’informations sur la compréhension des enjeux en supply chain ;
    - groupes de travail spécifiques sur les enjeux en approvisionnement (ex. dans le secteur biopharma avec Essenscia) ;
    - analyse des chaînes de valeurs et enjeux spécifiques des filières.

    Nous poussons également à soutenir et déployer des organisations résilientes en :
    - diversifiant les sources ;
    - analysant les risques ;
    - favorisant des stocks stratégiques ;
    - analysant les marchés et enjeux et ciblant les meilleurs marchés ;
    - diversifiant éventuellement leur design en fonction des enjeux d’approvisionnement ;
    - mettant en place des organisations réactives, digitales et durables.

    Que l’honorable membre soit assuré que la Wallonie reste attentive à la proposition de règlement de la Commission européenne sur les matières premières critiques et y participera de manière constructive au bénéfice de nos entreprises wallonnes.