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La potentielle utilisation des fourmis comme alternative aux pesticides chimiques dans les champs agricoles

  • Session : 2022-2023
  • Année : 2023
  • N° : 350 (2022-2023) 1

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  • Question écrite du 01/02/2023
    • de CRUCKE Jean-Luc
    • à TELLIER Céline, Ministre de l'Environnement, de la Nature, de la Forêt, de la Ruralité et du Bien-être animal
    Selon une récente synthèse scientifique dans la revue Proceedings of the Royal Society B, les fourmis sont une alternative lorsqu'il s'agit de protéger les champs agricoles contre certains insectes ravageurs. Selon celle-ci, les fourmis éliminent certains ravageurs des cultures tels que les chenilles et les mouches drosophiles (qui pondent dans les fruits), réduisant ainsi les dommages causés aux plantes cultivées, et augmentant les rendements agricoles. Dans certains cas, la présence des fourmis s'avérerait même plus efficace que l'usage de pesticides, concluent les auteurs.

    Toutefois, de manière plus générale, l'alchimie entre les fourmis et l'agriculture humaine ne fonctionne pas à tous les coups. Sur les 14 000 espèces de fourmis connues, la synthèse recense seulement 26 espèces étudiées pour leur impact sur l'agriculture. Parmi elles, la plupart se caractérisent par un mode de vie arboricole, utilisant les plantes pour édifier leur fourmilière ou pour trouver de quoi s'alimenter.

    Or, si certaines fourmis protègent les champs, d'autres, en revanche, pourraient leur être néfastes. En effet, plusieurs espèces de fourmis sont connues pour « élever » des pucerons ou des cochenilles afin de se nourrir de leur miellat (substance sucrée formée de sève digérée). Dans ce cas, elles favorisent la présence de ces parasites, au détriment des cultures agricoles.

    L'usage des fourmis pour l'agriculture devrait néanmoins être envisagé avec précaution, en prenant en compte l'équilibre délicat de l'écosystème ainsi que les interactions complexes entre les espèces végétales et animales, qu'elles soient cultivées ou sauvages.

    Quelle est l'analyse de Madame la Ministre face à cette synthèse scientifique ?

    Quel est l'état des lieux par rapport aux espèces de fourmis présentes en Région wallonne ?

    Notre Région pourrait-elle concevoir l'usage des fourmis comme alternative aux pesticides dans une certaine mesure ?
  • Réponse du 15/03/2023
    • de TELLIER Céline
    L’honorable membre connaît ma détermination à soutenir la recherche sur les alternatives aux pesticides chimiques et à accompagner les agriculteurs dans l’utilisation de celle-ci. Le champ des alternatives est aujourd’hui vaste et l’emploi de prédateurs comme agent de lutte biologique est aujourd’hui bien connu.

    La lutte biologique s’appuie généralement sur la sélection d’agents de biocontrôle qui sont hautement spécifiques à l’espèce-cible, afin qu’ils ne deviennent pas à leur tour des pestes végétales ou animales. Or les fourmis sont des prédateurs généralistes. Aucune firme vendant des organismes auxiliaires en Belgique ne propose de fourmis en tant qu’agent de biocontrôle et la question ne semble pas s’envisager.

    Le rôle bénéfique des fourmis résulte de leur prédation sur des insectes phytophages. Elles s’attaquent surtout aux espèces à locomotion lente et ayant peu de défenses (chenilles, ravageurs non ailés, stades larvaires et oeufs), et aux ravageurs qui accomplissent une partie de leur développement dans le sol. Outre la prédation, elles peuvent également impacter les ravageurs en les dérangeant durant leur nutrition ou leur ponte.

    Hélas, et comme repris dans l’étude qu’il mentionne, l’impact positif peut être contrebalancé par une série d’effets délétères non négligeables. Le plus négatif d’entre eux est la protection que les fourmis exercent sur les insectes ravageurs producteurs de miellat que sont les pucerons, cochenilles, psylles et aleurodes.

    Plusieurs études ont d’ailleurs montré que la présence de fourmis résulte en une augmentation du nombre de ceux-ci, par ailleurs vecteurs de phytopathogènes de ces cultures.

    De plus, les fourmis étant des prédateurs généralistes, elles peuvent également réduire l’abondance de pollinisateurs et d’autres prédateurs naturels, notamment celle des organismes auxiliaires utilisés en lutte biologique.

    Certaines études réalisées en milieu tropical montrent que la croissance d’arbres fruitiers est améliorée par la présence de fourmis, alors que d’autres études aboutissent à la conclusion inverse. Il est donc primordial d’évaluer les relations entre les espèces de fourmis et les ravageurs producteurs de miellat dans chaque système agricole, et plus largement les relations entre les fourmis et le reste de l’entomofaune.

    La majorité des études liées à un usage des fourmis comme agent de biocontrôle porte sur quelques cultures spécifiques et tropicales. La méta-analyse ayant clairement démontré le caractère multifactoriel des interactions fourmis-ravageurs, il est impossible de transposer les données existantes à tous les agro-écosystèmes.

    Un recensement des fourmis wallonnes a été réalisé en 2011. 22 espèces ont été identifiées en milieu rural, dans les zones plutôt « naturelles » (jardins, parcs, fourrés, talus). La moitié de ces espèces sont thermophiles (pelouses calcaires, milieux secs et rocailleux, sols superficiels) et donc non adaptées aux écosystèmes « cultures ». De l’avis de chercheurs du CRA-w, en grandes cultures telles que pratiquées en Wallonie, on rencontre peu de fourmis.

    La moitié de ces espèces construisent des nids exclusivement sous des pierres, dans des souches d’arbres ou du bois mort : un habitat qu’on ne retrouve généralement pas en pleine culture. Donc, peu d’espèces indigènes seraient a priori envisageables comme agent de biocontrôle.

    Par ailleurs, des lâchers inondatifs de fourmis, tels qu’on les pratique pour les coccinelles ou les Aphidius, ne sont pas envisageables. En effet, si pour un prédateur spécialiste les populations se régulent d’elles-mêmes, ce ne serait pas le cas avec un prédateur généraliste, dont il est alors impossible de prévoir l’impact sur les autres espèces une fois le ravageur ciblé contrôlé. De plus, les fourmis étant des insectes sociaux, c’est l’ensemble de la colonie qui devrait être installé dans les champs, une opération ayant peu de chances de succès.