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La promotion ou l'interdiction de l'agrivoltaïsme en Wallonie

  • Session : 2022-2023
  • Année : 2023
  • N° : 397 (2022-2023) 1

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  • Question écrite du 10/02/2023
    • de ANTOINE André
    • à BORSUS Willy, Ministre de l'Economie, du Commerce extérieur, de la Recherche et de l'Innovation, du Numérique, de l'Aménagement du territoire, de l'Agriculture, de l'IFAPME et des Centres de compétences
    Pour atteindre les objectifs climatiques européens et garantir son indépendance énergétique, la Belgique doit installer un maximum de panneaux solaires d'ici 2030, sans pour autant sacrifier ses terres agricoles. Ce défi, plusieurs de nos voisins tentent de le relever depuis plus de 10 ans grâce à une innovation technologique, l'agrivoltaïsme, que la Wallonie, manifestement, rechigne à utiliser.

    Or, selon différents experts, 30 % des besoins wallons en électricité pourraient être couverts en convertissant 1 % des terres agricoles de la Wallonie à l'agrivoltaïsme.

    Objectif raisonnable dès lors que l'on mesure la piètre qualité de certaines parcelles agricoles ou de prairies délaissées pour différentes raisons, sans compter les bandes de terrains agricoles enherbées pour répondre aux impositions agroenvironnementales de l'UE.

    En Wallonie, 12 hectares de terres agricoles sont artificialisés chaque année au profit de l'urbanisation, de l'éolien ou encore de zones économiques. Pas étonnant, dès lors, que le moindre projet de parc photovoltaïque entraîne une levée de boucliers. Et si l'agrivoltaïsme (ou agriPV) était la solution ?

    Testée dans des vignes, des vergers ou des champs en France, en Italie et en Allemagne notamment, cette innovation faire cohabiter, sur un même terrain, un élevage ou des cultures avec des panneaux photovoltaïques, qui se partagent alors le rayonnement solaire. Moins rentable, car moins densément fourni en panneaux qu'une centrale photovoltaïque au sol, un hectare d'agriPV produit quand même 50 à 100 fois plus d'énergie qu'une même surface dédiée aux agrocarburants.

    Pourtant, le moment est idéal pour passer à l'agrivoltaïsme. Au-delà de l'urgence climatique et énergétique, les prix du photovoltaïque sont également au plus bas. Quant aux besoins en électricité, ils ne feront qu'augmenter, y compris dans les exploitations agricoles. « Nous allons assister à une électrification progressive du matériel agricole », confirme Frédéric Lebeau, professeur à l'ULiège. Autres avantages pour l'agriculteur : les panneaux solaires jouent le rôle d'abri pour les cultures ou les animaux en cas d'aléas climatiques (canicule, sécheresse, vent, grêle, et cetera), constituant en outre un complément possible de revenu.

    Si plusieurs projets agriPV ont déjà vu le jour en Flandre, la Wallonie, elle, est presque au point mort en la matière. Une circulaire, entrée en vigueur début 2022, interdit pour l'instant toute installation. Résultat, un seul parc agrivoltaïque - autorisé avant cette circulaire - est actuellement en construction au sud du pays, à Wierde. “Sur une terre de pâturage, donc non cultivable”, précise Pierre de Liedekerke, cofondateur d'Ether Energy.

    Ajoutons pour compléter ce bilan photovoltaïque terrestre, les projets de Braine-l'Alleud avec 19 hectares de panneaux photovoltaïques, de Brugelette, Oneux ou encore à Moha.

    Comme toute innovation, l'agrivoltaïsme requiert des arbitrages pour équilibrer son impact sur les différentes parties prenantes. Vaut-il mieux privilégier des panneaux horizontaux ou bifaciaux ? Sur des terres de pâturage ou de culture ? « Il faut se mettre autour de la table pour identifier le système le plus pertinent pour notre climat et notre territoire, insiste Frédérique Lebeau. Il faut pouvoir garantir la liberté de culture et quantifier la limite acceptable pour préserver la fonction agricole ».

    En France par exemple, l'agriPV ne doit pas entraîner de perte de revenu pour un agriculteur. “Chacun doit y trouver son intérêt. Les agriculteurs belges pourraient par exemple bénéficier d'un point de charge gratuit pour leur matériel et leurs clients, ou même devenir distributeurs d'énergie”, conclut le professeur.

    Pour toutes ces raisons et au vu de nos objectifs climatiques d'ici 2030, ne faut-il pas revoir la circulaire de 2022 en la nuançant et en la complétant pour permettre une coexistence harmonieuse entre agriculture et production d'énergies renouvelables ?

    Le Gouvernement wallon compte-t-il adopter un cadre décrétal adapté pour favoriser l'agrivoltaïsme ?
  • Réponse du 10/03/2023
    • de BORSUS Willy
    L’agrivoltaïsme en est encore à ses débuts, et il est inexact de dire qu’il se « développe partout sauf en Wallonie ».

    Le Professeur Lebeau, que l’honorable membre cite dans sa question, souligne que « L’agrivoltaïsme demeure un sujet récent. Si le rapprochement avec le sujet de l’agroforesterie a permis à la communauté scientifique de se doter de méthodes d’analyse, le recul expérimental demeure relativement modéré du fait d’un nombre limité de projets ou de leur nature confidentielle. (...). Les mécanismes dictant les productions agronomiques sur le temps long sont largement multifactoriels et imparfaitement pris en compte dans les bilans et les modèles dans le cadre de l’agrivoltaïsme ».

    La circulaire que j’ai adoptée début 2022 n’interdit pas l’agrivoltaïsme, je l’ai déjà rappelé à plusieurs reprises.

    Elle porte expressément ceci, dans l’encadré « Assurer en zone agricole l’utilisation durable des sols pour l’agriculture » :
    - ne pas utiliser de parcelles agricoles en cours d’exploitation ;
    - ne pas contribuer au renchérissement du foncier ;
    - à titre exceptionnel, adjoindre un projet photovoltaïque à un projet agricole.

    Un projet photovoltaïque et un projet agricole peuvent donc coexister.

    La France a adopté, le 20 janvier 2023, une loi dont nous pourrions éventuellement nous inspirer. La définition de l’installation agrivoltaïque souligne que cette dernière contribue durablement à l’installation, au maintien ou au développement d’une production agricole.

    De plus, 5 critères doivent être respectés. L’installation agrivoltaïque doit :
    - être réversible ;
    - être précédée d’une installation photovoltaïque en toiture des bâtiments d’exploitation existants, lorsque cela est techniquement possible ;
    - permettre à la production agricole d’être l’activité principale de la parcelle agricole ;
    - garantir une production agricole significative dont découle un revenu durable ;
    - fournir directement à l’échelle de la parcelle agricole au moins un des services suivants :
    o l’amélioration du potentiel et de l’impact agronomique ;
    o l’adaptation au changement climatique ;
    o la protection contre les aléas ;
    o l’amélioration du bien-être animal.

    Selon le même Professeur Lebeau, « les trois premiers critères relèvent globalement de la conception technique du projet et du choix des équipements, pour viser une compatibilité avec les bâtiments, les équipements et l’itinéraire technique agricole en place ou planifié. Cette expertise est présente classiquement chez les développeurs de projets ou les bureaux d’études spécialisés en énergie photovoltaïque.

    Les deux derniers critères appellent une compréhension fine des conditions d’exploitation, sur les plans agro-pédo-climatiques et zootechniques. Afin de fournir les services précités, la conception et le pilotage de projets doivent idéalement être fondés sur une analyse quantitative des effets induits par les modules photovoltaïques sur la parcelle. »

    Un dossier de demande de permis qui établirait le respect de tels critères, sous le contrôle de l’administration de l’agriculture, permettrait, le cas échéant, à l’autorité compétente pour délivrer le permis de se positionner en faveur d’un projet agrivoltaïque en Wallonie et sa décision serait parfaitement conforme à la circulaire relative aux permis d’urbanisme pour le photovoltaïque, pour autant bien sûr que les autres critères, en particulier celui relatif à l’intégration paysagère, soient également respectés.

    Ce que l’on veut éviter, c’est le prétexte de placer, par exemple, 15 ruches ou 30 moutons sur une parcelle pour la couvrir de panneaux photovoltaïques.

    Il faut en effet éviter « l’agrivoltaïsme alibi » qui, drapé de bonnes intentions, vient ajouter une nouvelle pression insupportable quant à l’accès à la terre pour le monde agricole.

    Je pense donc que c’est une nouvelle circulaire, qui pourrait compléter la circulaire relative aux permis d’urbanisme pour le photovoltaïque, afin de préciser, pour les porteurs de projet comme pour les autorités compétentes, ce qu’on entend en Wallonie par « agrivoltaïsme ».

    L’avantage d’une circulaire est qu’elle n’énonce pas de règle de droit, et qu’elle peut être appliquée avec souplesse.