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"Le Belge paye son eau trop cher".

  • Session : 2006-2007
  • Année : 2006
  • N° : 41 (2006-2007) 1

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  • Question écrite du 12/12/2006
    • de STOFFELS Edmund
    • à LUTGEN Benoit, Ministre de l'Agriculture, de la Ruralité, de l'Environnement et du Tourisme

    Le texte paru dans Sud Presse du 1er décembre 2006 est court.

    Je me permettrai alors de le citer intégralement : « Les entreprises belges d'eau potable sont très inefficaces si on les compare à leurs homologues néerlandaises et anglaises, selon une étude de Kristof De Witte de la KULeuven. En Belgique, les principaux acteurs du secteur de l'approvisionnement en eau sont les intercommunales, les communes et les Régions. Selon Kristof De Witte, c'est un manque total de stimuli structurels qui est la principale cause de l'inefficacité belge. ».

    Ces propos sont clairs. Comment Monsieur le Ministre réagit-il à leur égard ? N'avons-nous pas un travail réglementaire à faire créant les stimuli dont il est question ?
  • Réponse du 05/01/2007
    • de LUTGEN Benoît
    Les propos repris dans la presse francophone font certainement échos à l'article du journal De Tijd qui publiait des éléments d'une étude menée par un jeune universitaire de la KUL, Kristof De Witte, en partenariat avec Rui C. Marques de l'Université de Lisbonne : « Designing incentives in local public utilities, an international comparaison of the drinking water sector ».

    L'objectif de cette étude était d'essayer de trouver quels stimuli ou cadres réglementaires incitent le plus les distributeurs d'eau potable à un fonctionnement efficace.

    Certaines phrases chocs de la presse peuvent faire sensation « Le Belge paie son eau trop cher ! ». Il importe toutefois de connaître la façon dont cette étude a été menée et les bases de comparaisons qui ont été utilisées avant d'en tirer des conclusions ou gros titres peut-être hâtifs.

    Par exemple, le prix de l'eau pour le consommateur n'entre à aucun moment en ligne de compte dans l'étude. Ainsi, l'auteur peut considérer comme efficace un distributeur anglais qui vendrait son eau à 4 €/m3 alors qu'un distributeur belge qui la vendrait à 2,75 euros serait mal classé.

    De plus, le prix de l'eau en Angleterre, aux Pays-bas, en Australie, au Pays de Galle et au Portugal est-il partout un coût-vérité ? Le coût de l'assainissement est-il intégré dans le prix de l'eau ? Est-ce également un coût-vérité ?

    Les autorités locales, régionales ou nationales subsidient-elles encore les services de l'eau, quel est le taux de recourt à la sous-traitance, quelles sont les impositions en matière de contrôles de la qualité de l'eau, de la qualité de service, de la proximité du service ou de la protection des captages,… Bref, une multitude de paramètres, parfois difficilement quantifiables ou comparables entre pays, devraient aussi entrer en ligne de compte pour assurer une comparaison complète.

    L'étude

    Elle débute par une comparaison générale des systèmes de distribution d'eau en Belgique (secteur public), en Angleterre (système libéralisé avec concession pour 25 ans et trois opérateurs de contrôle), aux Pays-Bas (secteur public mais avec un benchmarking permanent), au Portugal et en Australie.

    Dans le système libéralisé anglais, les sociétés reçoivent une concession pour 25 ans. L'office de régulation des prix (Office for water services) fixe tous les 5 ans le coefficient d'augmentation des prix, en intégrant l'inflation diminuée des gains attendus de productivité. L'auteur reconnaît que les avis sont fort partagés sur cette expérience.

    Aux Pays-Bas, un rapport estimait que la privatisation du secteur ferait diminuer les prix de 10 %. La crainte de la privatisation a poussé les sociétés à s'autoréguler. Une expérience de benchmarking a démarré en 1997 sur base volontaire. Les entreprises les plus performantes sont louées publiquement et les moins performantes sont blâmées tout aussi publiquement.
    La productivité a crû de 21 % depuis 1997. Les autorités publiques ont été convaincues par ce système et ont décidé de maintenir la distribution d'eau dans le secteur public.

    La partie consacrée à la Belgique explique la régionalisation et caricature quelque peu une politique de la Région wallonne comme visant à intégrer les régies ou services communaux dans la SWDE. Elle mentionne l'existence d'une tentative de benchmarking en Flandre mais dont les résultats n'ont jamais été publiés. L'auteur constate l'absence de stimuli apportés pour améliorer la productivité.

    Ensuite, l'étude expose sa méthode de comparaison, la DEA (Data enveloppement analysis), permettant, d'après l'auteur, de déterminer la solution la plus efficace. Le modèle utilise des Inputs et des Outputs comme variables, qui, après application du modèle, déterminent un coefficient compris entre 0 et 1. La valeur 1 étant le résultat correspondant à un maximum d'efficacité.

    Les variables Inputs du modèle sont le capital et le travail, approchées par l'auteur par la longueur des conduites et le nombre de membres du personnel. Les variables Outputs choisies sont le volume d'eau vendu et le nombre de raccordements. Ce sont là les 4 uniques variables de base qui ont servi à la comparaison des opérateurs entre pays !!!

    Les performances sont mesurées pour l'échantillon de sociétés de chaque pays de manière indépendante, puis les échantillons sont comparés entre pays pour aboutir à un premier classement « brut » des opérateurs. Les Belges, avec un score de 0,70, sont certes devant les Portugais (0,60), mais derrière les Anglais (0,79) ou les Néerlandais (0,84).

    La table 4 de l'étude, reprise ci-dessous, peut expliquer une bonne partie du bon score des Hollandais qui, avec près de 1.500 raccordements par agent, sont loin devant les autres. Le prix de l'eau et la qualité du service n'y sont pas pour autant meilleurs.





















    L'auteur introduit, à la fin de l'application de son modèle, des facteurs correctifs de types sociaux, physiques et institutionnels (qui ne sont pas de la portée des distributeurs d'eau), de manière à obtenir des scores reflétant l'efficacité des opérateurs comme s'ils travaillaient dans le même environnement.

    L'auteur tire comme conclusion, sur base de son étude, que les sociétés néerlandaises et, dans une moindre mesure, anglaises sont plus performantes que les sociétés belges. Il ne relève pas de différence significative entre le nord et le sud du pays.

    Il en déduit donc que les modèles néerlandais, basés sur l'étude comparative entre opérateurs, et le modèle anglais, basé sur une réglementation des prix, sont des modèles efficients.

    Critique du modèle

    Les pondérations des critères et la procédure permettant de rendre comparables les échantillons peuvent introduire des biais. Les critères de comparaison utilisés dans le modèle sont peu nombreux et discutables.

    Le volume d'eau vendu, par exemple, n'est pas nécessairement une mesure de performance, mais plutôt une donnée exogène de type socio-économique.

    La longueur des conduites mesure certes l'utilisation du capital, mais est aussi la résultante de considérations géographiques et géologiques.

    Le nombre de membres du personnel peut être fortement influencé par le recours à la sous-traitance, décisions pouvant notamment provenir de l'environnement concurrentiel sur certains marchés.

    Le recours à des notions comme le prix de revient par m3 aurait probablement été plus représentatif. Quant à quantifier la qualité du service offert (continuité de l'approvisionnement, qualité de l'eau, pression, délais d'intervention, renouvellement à temps des installations vétustes, etc.), il n'y a aucune approche de la part de l'auteur.

    Conclusions

    Les limites de ce modèle, de ses postulas et des paramètres utilisés sont évidentes. Les recommandations de l'étude sont dans l'ensemble plutôt générales, mais parfois emplies de bon sens.

    En effet, les efforts de rationalisation des sociétés néerlandaises semblent bien réels. Le risque de privatisation a véritablement agi comme un stimulant fort dont il serait intéressant de connaître les effets, tant en termes de gestion que d'impact sur le prix de l'eau.

    Cette étude ne permet toutefois pas de conclure que les Belges paient leur eau trop chère. Notre prix de l'eau est d'ailleurs généralement moins cher que celui de nos pays voisins.



    L'étude conclut que, sur la base des scores moindres atteints par les opérateurs belges par rapport à leurs homologues néerlandais ou anglais suite à l'application du modèle, les modes de gestion de ces derniers, alors reconnus comme plus efficaces et basés sur le benchmarking et la régulation des prix, devraient augmenter l'efficacité de nos opérateurs s'ils étaient appliqués chez nous.

    Cette étude a néanmoins l'avantage de susciter des questions et réflexions. Ainsi, mon cabinet a déjà pris contact avec l'auteur de cette étude et une rencontre en présence de l'auteur, de représentants d'Aquawal, du Comité de contrôle de l'eau et de mon Cabinet est prévue en février. Il est donc encore tôt pour évoquer un quelconque travail réglementaire supplémentaire.

    Par ailleurs, en matière de benchmarking (comparaison entre opérateurs) et de régulation des prix, il convient de souligner que le Comité de contrôle de l'eau s'est doté, fin de l'année 2006, d'une série d'indicateurs de performance, de qualité de service et de respect des missions légales, qui devront être fournis au moins annuellement par tous les distributeurs.

    Ce nouvel outil lui permettra d'évaluer le niveau du prix de l'eau des distributeurs par rapport à leur service et leur mode de gestion, ainsi que de faire des comparaisons entre opérateurs.

    Un rapport, comportant des informations individualisées pour chaque opérateur, sera d'ailleurs transmis annuellement au Gouvernement.

    D'autre part, l'application obligatoire du plan comptable uniformisé de l'eau en Région wallonne depuis 2006 impose aux distributeurs une gestion comptable plus rigoureuse et transparente des coûts.