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La sauvegarde du petit patrimoine industriel des villages en Wallonie

  • Session : 2022-2023
  • Année : 2023
  • N° : 236 (2022-2023) 1

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  • Question écrite du 06/03/2023
    • de AGACHE Laurent
    • à DE BUE Valérie, Ministre de la Fonction publique, de l'Informatique, de la Simplification administrative, en charge des allocations familiales, du Tourisme, du Patrimoine et de la Sécurité routière
    La SWDE (Société wallonne des eaux) a décidé de démolir le château d'eau de Taintignies, village de l'entité de Rumes, en accord avec la commune.

    La première semaine du mois de mars, cet ouvrage original devrait donc être démantelé.

    Le château d'eau de Taintignies, construit en 1969 en structure métallique, est un des derniers du genre encore présent en Europe.

    La SWDE estime que l'on ne pouvait pas le laisser en l'état, et qu'il n'était pas non plus envisageable d'y réaliser les travaux de rénovation nécessaires parce qu'il n'a plus de réelle utilité. Par sécurité, et dans un souci de maîtrise et de rationalisation des coûts, il n'y aurait pas d'autre choix que de le démolir… Néanmoins, l'originalité et le côté représentatif de cet ouvrage le conféreraient au patrimoine industriel.

    Ceci est un exemple, mais ma question dépasse ce cas particulier pour envisager l'enjeu de façon plus générale. L'histoire regorge d'exemples de démolitions d'ouvrages qui, quelques années après, ont généré d'éternels regrets…

    À partir de quand un ouvrage devient patrimoine ?

    Quelle est donc l'approche de Madame la Ministre en matière de sauvegarde du petit patrimoine industriel ?

    Quelles sont les priorités de son administration en la matière ?

    Dispose-t-elle d'une équipe de veille au sein de l'AWaP qui s'enquiert des petits ouvrages industriels méritant d'être sauvegardés ?

    Dans le cas présent, serait-il envisageable de suspendre la démolition de ce château d'eau, si cela est encore possible, le temps que des experts de l'AWaP se penchent sur son éventuel intérêt patrimonial ?
  • Réponse du 27/03/2023
    • de DE BUE Valérie
    La question de l’honorable membre sur la patrimonialisation d’un bien mérite une réponse plus circonstanciée qu’à l’accoutumée.

    En réalité, la volonté de hiérarchiser des monuments selon une échelle de valeurs préoccupe les sociétés humaines depuis la nuit des temps. L’une des réponses les plus anciennes et les plus éclairantes à cette capacité d’introspection étant sans doute la fixation, au deuxième siècle av. J.-C., de la liste des sept « Merveilles du monde ». Cette liste était le miroir très sélectif de la création humaine du monde antique, tout comme aujourd’hui la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO se fait l’écho des fiertés universelles de notre temps.

    Il est aussi utile de rappeler que l’expression moderne et occidentale de la notion de patrimoine s’est construite dans un contexte où ce dernier était particulièrement menacé, celui de la Révolution française. Comme il le sait, durant cette période, les monuments liés à l’histoire de la royauté et de l’Église sont vandalisés avec violence. Cependant, les décideurs de l’époque, qui souhaitaient tout à la fois régénérer la société et l’éduquer, ont rapidement pris conscience que cette éducation ne pouvait se réaliser sans conserver ces monuments pourtant pointés du doigt. Une notion est née, celle de « l’héritage historique », autrement dit du « patrimoine ».

    La question reste complexe, car il y a lieu de distinguer le patrimoine d’une part, et l’ensemble des biens protégés au sens du Code du Patrimoine d’autre part.

    Le patrimoine au sens large recouvre tout ce que chacun souhaite ne pas voir disparaître, souvent pour des raisons affectives, liées à la présence d’un bien dans l’environnement immédiat d’une population qui désire en garder la mémoire. Ces éléments de patrimoine sont le reflet de la société, ils sont vivants et chacun d’eux doit pouvoir se réserver le droit de s’adapter.

    À côté de ce patrimoine nécessairement riche en témoins en tout genre, il y a le patrimoine protégé, celui qui est classé. Celui-là résulte d’une sélection beaucoup plus sévère. Au regard de ses qualités historiques, architecturales, archéologiques ou artistiques, il bénéficie d’une reconnaissance à la fois collective et institutionnelle de son statut emblématique. Il est alors soumis à un régime juridique spécifique qui impose un suivi et des règles à respecter. Depuis la seconde moitié du 20e siècle, nous pouvons observer une véritable inflation de ce que recouvre le patrimoine au sens large. Il inclut progressivement des ouvrages plus récents et s’ouvre graduellement à d’autres typologies comme celle du patrimoine industriel qui est au cœur de sa question.

    Je le rejoins sur la nécessité de devoir dépasser le cas particulier de Taintignies pour envisager l'enjeu de façon plus générale, c’est pourquoi, dès mon entrée en fonction, j’ai souhaité que la question du patrimoine industriel soit prise en main.

    Depuis 2020, la réflexion sur l’avenir de cette thématique a évolué au sein de l’Agence wallonne du Patrimoine qui a mobilisé de nombreuses ressources afin d’œuvrer au recensement de ce patrimoine trop souvent oublié par le passé. Cet important travail, réalisé en étroit partenariat avec la SPAQuE, est aujourd’hui terminé. L’ensemble des données recueillies représente une masse importante d’informations qui doit maintenant être mise en forme pour permettre différents types d’exploitation. La géolocalisation de chaque bien concerné pourrait rendre possible leur consultation sur le Géoportail, par exemple.

    La thématique de protection des châteaux d’eau n’est pas inconnue de l’AWaP. Il y a quelques années, l’Administration a réalisé une étude de la question qui a débouché sur une sélection raisonnée d'exemplaires caractéristiques de la typologie et de son évolution du milieu du 19e siècle jusqu'à l'époque contemporaine. Il en a résulté une sélection, à l’échelle de la Wallonie, de 19 châteaux d'eau méritant une attention particulière. En ce qui concerne la Province de Hainaut, les modèles de Mariemont, Fleurus, Ramegnies-Chin, Haine-Saint-Paul, Seneffe, Morlanwelz (Carnières) et Manage ont été retenus.

    Comme l’honorable membre l’aura compris, le château d’eau de Taintignies n’est pas repris dans cette sélection et ne figure pas à l’Inventaire régional, car il ne répond pas aux critères patrimoniaux en vigueur pour cette matière. Il convient également de préciser que cette typologie n’est pas reprise dans la liste éligible au petit patrimoine populaire wallon.

    L’une des raisons qui explique l’absence du château d’eau de Taintignies à l’Inventaire régional est celle de sa date de construction. En effet, la production de la fin des années 60 était encore, il y a peu, jugée comme trop récente pour pouvoir intégrer le corpus des biens d’intérêt patrimonial. D’ailleurs l’AWaP s’est actuellement fixé 1958 comme limite temporelle pour l’examen de dossiers de classement.

    Pour en revenir à la décision de démolition prise pour le château d’eau de Taintignies, abattu au début du mois de mars, la seule façon réglementaire de s’y opposer aurait été de placer le château d’eau sur liste de sauvegarde. Or, cette procédure d’urgence et d’exception ne se défend que si le bien visé est susceptible d’être classé, ce qui n’était manifestement pas le cas ici.

    Pour conclure, bien que l’Administration régionale établisse au quotidien de multiples synergies avec les communes et les pouvoirs locaux, il n’y a actuellement pas d’équipe de veille spécifique permettant de créer une « alerte » en cas de démolition d’un bien, de surcroît s’il est non répertorié comme bien patrimonial.

    Mon souhait reste néanmoins de pouvoir mieux encadrer la disparition éventuelle d’éléments patrimoniaux au sens large en s’appuyant sur des outils toujours plus efficients et dynamiques afin d’éclairer au mieux les décisions futures.