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La problématique relative à l’utilisation du biochar

  • Session : 2022-2023
  • Année : 2023
  • N° : 851 (2022-2023) 1

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  • Question écrite du 06/07/2023
    • de CRUCKE Jean-Luc
    • à BORSUS Willy, Ministre de l'Economie, du Commerce extérieur, de la Recherche et de l'Innovation, du Numérique, de l'Aménagement du territoire, de l'Agriculture, de l'IFAPME et des Centres de compétences
    Dans le cadre de ma question écrite parlementaire n° 456 du 2 mars dernier, je questionnais le Ministre sur la lenteur du développement du biochar en Wallonie !

    Ce produit issu de la pyrolyse de matière organique multiplie les promesses : stockage de CO2, rétention d'eau, apport de nutriments, aération du sol, etc.

    Une tonne de biochar permet de stocker entre 2,5 et 3 tonnes de CO2 dans le sol pendant des centaines d'années !

    Un rapport de mars 2023 du Consortium, European Biochar Industry (EIB), rapportait d'ailleurs en sens que la production de biochar en Europe était d'environ 53 000 tonnes en 2022 et s'élèverait à 90 000 tonnes en 2023, avec 180 installations sur le territoire.

    Face à ce rapport et les évolutions positives concernant l'utilisation du biochar, la Région wallonne semble malheureusement en être restée aux projets de recherche et à quelques projets-pilotes !

    Comment expliquer cette frilosité ?

    Quels sont les problèmes rencontrés par les autorités wallonnes en la matière ?

    Passera-t-on à côté de la montre en or ?

    Que donnent les résultats des projets de recherche et projets-pilotes menés ?

    Monsieur le Ministre peut-il énumérer ces projets, en préciser l'objet, le coût et les résultats obtenus à ce jour ?

    Peut-on espérer un décollage à brève échéance ?
  • Réponse du 25/07/2023
    • de BORSUS Willy
    Les bienfaits des amendements biochar sur la qualité des sols que nous avons l’habitude d’entendre sont à nuancer quelque peu. Concernant la rétention d’eau, le biochar consiste effectivement en une structure poreuse capable de retenir de l’eau par capillarité. Néanmoins, les bénéfices en termes de rétention d’eau ne sont significatifs que pour les sols à texture sableuse, dont la capacité de rétention d’eau est intrinsèquement limitante. Un tel effet ne s’observe pas sur les sols limoneux, possédant un potentiel de rétention d’eau élevé.

    En raison de sa décomposition extrêmement lente, le biochar ne doit pas être considéré comme un engrais organique classique, et ne fait pas partie intégrante du pool d’humus du sol. L’introduction de biochar au sol entraîne effectivement un apport direct en nutriments, rendus disponibles sous forme de cendre par la carbonisation de la biomasse. Par la suite, il n’y aura par contre, plus ou pratiquement plus de libération de nutriments puisque le biochar ne se décompose pas (ou très peu). A contrario, l’application au champ d’un engrais de ferme (fumier, lisier, compost…) ou l’enfouissement d’un résidu de culture implique un recyclage biologique progressif des nutriments générés par leur décomposition et l’activité microbienne. En conclusion, on ne peut donc pas attendre d’un biochar qu’il stimule l’activité biologique dont les vertus sur la fertilité des sols sont bien connues (fourniture de nutriments pour la plante via la minéralisation, amélioration de la structure du sol, et cetera).

    Certains auteurs ont observé un effet de réduction des émissions d’oxyde nitreux par les sols. Les plus optimistes d’entre eux voient une double contribution positive du biochar sur le changement climatique : une séquestration à long terme du carbone, et une réduction d’émission de gaz à effet de serre.

    Dans un passé récent, de nombreuses entreprises de valorisation de la biomasse se sont intéressées quant à la possibilité de valoriser certains sous-produits de la pyrolyse de biomasse sous l’appellation « biochar », afin de pouvoir en faire commerce. À ce jour, l’administration wallonne considère le biochar comme un déchet afin d’assurer une traçabilité et un suivi adéquat de leur utilisation sur des terres agricoles, comme pour les autres matières comme les composts ou les digestats. Le peu de dérogations accordées à ce jour pour la vente de biochar aux acteurs agricoles ou de l’horticulture vivrière wallonne se justifie par :
    1) une forme de respect du principe de précaution, l’appellation « biochar » rassemblant une large gamme de produits de composition et de propriétés extrêmement variables ;
    2) l’absence de préconisations techniques claires quant à l’épandage ;
    3) un manque de recul sur les effets à long terme de ce type de produit sur la fertilité des sols, sachant que le temps de résidence du biochar dans le sol est de plusieurs siècles, voire de milliers d’années.

    Néanmoins, le biochar a été récemment reconnu comme matière constitutive des fertilisants dans le nouveau règlement européen (CE) n°1009/2019 sur les fertilisants qui sera d’application à partir de juillet 2022. Cela signifie que le biochar sera alors en vente libre sur les marchés européens, sous réserve d’obtenir au préalable une certification garantissant sa qualité.

    Plusieurs projets de recherche sur les biochars sont en cours impliquant des acteurs régionaux. Notamment, les travaux de thèse de Messieurs Brieuc Hardy, Martin Zanutel, Victor Burgeon et Darian Dehkordi qui se sont intéressés de l’impact à long terme du biochar sur la fertilité physique et chimique des sols agricoles de Wallonie et le stockage de carbone (Burgeon et al., 2021, 2022; Dehkordi et al., 2020; Hardy et al., 2017, 2019; Pollet et al., 2022; Zanutel et al., 2021).

    Le CRAW est actuellement impliqué dans le projet européen EJP-SOIL Towards climate-smart sustainable management of agricultural soils (https://projects.au.dk/ejpsoil/ ), dont le principal objectif est de créer un environnement propice à l’amélioration de la contribution des sols agricoles aux principaux défis sociétaux tels que l’adaptation et l’atténuation du changement climatique, la production agricole durable, la prestation de services écosystémiques et la prévention de la dégradation des sols, voire leur restauration. Le consortium réunit un groupe de 26 instituts de recherche et universités européens dans 24 pays.

    Un volet de l’étude est l’identification et la caractérisation de pratiques agricoles vertueuses qui permettraient de stocker/séquestrer du carbone dans les sols. Le biochar est une des pratiques parmi d’autres qui est envisagée et qui est en cours d’étude dans le cadre de EJP-SOIL, notamment via le développement des projets CARBOSEQ (objectif : estimer le potentiel de séquestration additionnel de Carbone dans les sols via des modifications de pratiques agricoles, en prenant en compte les contraintes techniques et socio-économiques) et EOM4SOIL (Objectif : proposer les meilleures pratiques de gestion des matières organiques exogènes en termes de processing et d’application au sol pour contribuer à l’atténuation du changement climatique et à la gestion durable des sols) auxquels le CRA-W participe.

    Et en matière de projets pilotes à l’étude pour l’instant en Wallonie, le CRA-W réalise, effectivement, un essai exploratoire sur porcelets en post-sevrage (in vivo) nourris avec un aliment de qualité dans lequel du biochar, d’un producteur wallon certifié, a été introduit. Si les résultats sont concluants, la réduction des émissions d’ammoniac et d’odeurs émanant des effluents provenant de porcs nourris avec du biochar ainsi que l'augmentation de la matière organique dans le sol à la suite d’un épandage de ces effluents, pourront être investiguées.

    Au vu de ces éléments, et des divers projets de recherche soutenus par la Région wallonne, l’honorable membre constatera que le biochar est au cœur d’une dynamique porteuse d’intérêt et que son développement nécessite de poursuivre les investigations entamées.