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L’interdiction des animaux par certains propriétaires bailleurs

  • Session : 2022-2023
  • Année : 2023
  • N° : 515 (2022-2023) 1

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  • Question écrite du 31/08/2023
    • de LEPINE Jean-Pierre
    • à COLLIGNON Christophe, Ministre du Logement, des Pouvoirs locaux et de la Ville
    J'ai été interpellé par de nombreux citoyens qui, dans leurs recherches d'un logement, se sont vu opposer un refus, non circonstancié, de leur candidature en raison du fait qu'il possède un ou des animaux.

    Il m'a également été donné de constater que nombre d'annonces de location font mention de l'interdiction suivante « animaux non admis », et ce, la plupart du temps, sans que ce soit circonstancié ou justifié par les caractéristiques du bien.

    La bête noire des propriétaires, ce sont manifestement les chiens. Même si, souvent, dans les annonces, ce sont les animaux en général qui font l'objet d'une interdiction a priori.

    Pourtant, pour beaucoup de nos concitoyens, leur animal de compagnie est considéré comme un membre à part entière de leur famille.

    Toutefois, dans un contexte où, pour les candidats locataires, l'urgence de trouver un logement prédomine, ce refus des animaux par les propriétaires bailleurs est de nature à constituer une cause d'abandon : soit par don « à la hâte », dans des circonstances qui ne leur permettent pas de s'assurer des conditions d'accueil de l'animal, renforçant également, de la sorte, le phénomène des « adoptions impulsives » ; soit par un recours, certes bien plus responsable et organisé, mais toujours problématique, à des refuges, que nous savons hypersaturés.

    En tant que président de la commission chargée du bien-être animal particulièrement sensible à la question des abandons et à l'hypersaturation des refuges et mesurant l'enjeu que constitue la recherche d'un logement pour un ménage à ce jour, je souhaiterais, à travers cette question écrite, sensibiliser Monsieur le Ministre à la problématique et solliciter quelques éclaircissements.

    Que dit la législation en la matière ? Un bailleur peut-il interdire sans justification les animaux ? Qu'en est-il en matière de jurisprudence ?

    Entend-il sensibiliser, en concertation éventuelle avec la ministre du Bien-être animal, les différents intervenants du marché locatif notamment privé ?
  • Réponse du 19/10/2023
    • de COLLIGNON Christophe
    Pour répondre à la question de l’honorable membre, il convient de rappeler que le preneur doit user du bien loué en personne prudente et raisonnable.

    De nombreux baux d’habitation contiennent généralement une clause d’interdiction expresse de détenir tout animal domestique ou soumettant la présence d’animaux à l’autorisation préalable et écrite du bailleur.

    En principe, le preneur devrait donc veiller à respecter pareille clause en vertu du principe cardinal dans le droit des contrats selon lequel la convention fait la loi des parties.

    Cependant, à l’encontre de telle clause, le locataire invoque généralement devant les tribunaux son droit au respect de sa vie privée et familiale consacré notamment par l’article 8.1 de la Convention européenne des droits de l’homme.

    Un courant jurisprudentiel majoritaire a tendance à examiner dès lors au cas par cas l’application des clauses interdisant la présence de tout animal dans les lieux loués.

    Cependant, pour certains juges, tout non-respect de pareille clause est constitutif d’une faute. Le bailleur pourra demander de contraindre le preneur à se dessaisir de son animal ou la résolution judiciaire du bail. La question de la gravité ou du risque des manquements est centrale.

    D’autres estiment que la faute n’existera que lorsque la détention d’un animal domestique constitue ou risque de constituer un trouble excessif en application du principe de proportionnalité.

    Je cite à ce propos, la décision rendue le 16 janvier 1990 par le Tribunal de première instance de Liège, qui estime que « la détention d’un animal ne peut devenir une faute qu’en présence d’un trouble raisonnable excessif et dûment prouvé ». Pour ce tribunal, on ne pourrait donc reprocher au locataire de détenir un animal qu’en ces circonstances.

    Ou bien encore cette décision du 12 avril 2014 du Juge de paix de Mouscron-Comines-Warneton, lequel estime que « la clause interdisant au locataire la détention d'un animal domestique ne porte atteinte au droit à l'intégrité de la vie privée, de la vie familiale et du domicile, consacré par l'article 8.1 de la Convention européenne des droits de l'homme, que dans la seule mesure où cette clause porte une interdiction générale et absolue sans référence à une quelconque nocivité. Tel n'est pas le cas de la clause qui se limite à interdire la détention de plus d'un chien ou d'un chat et qui n'accepte la détention que pour autant qu'ils ne soient pas dangereux, qu'ils ne constituent pas une source d'ennui pour les voisins ou pour la société ou qu'ils ne mettent pas en danger la propreté et l'hygiène des lieux tant pour le locataire que pour les voisins ».

    Enfin, le Juge de paix de Huy a également rendu le 5 février 1993 une décision dans le cadre d’une affaire opposant la société de logement de service public à son locataire, le juge rappelle que le bailleur « a pour objet social de louer des logements aux personnes financièrement les moins favorisées moyennant un loyer proportionnel aux revenus ; elle doit « gérer » la multiplicité des colocataires dans des immeubles à appartements multiples : ce rôle social implique la nécessité d’instaurer toutes mesures préventives de nature à éviter entre colocataires des sources de conflits qui surgiraient inévitablement en raison de la position des parties communes, des odeurs indésirables et des bruits que la seule volonté humaine ne peut contrôler (…). La liberté constitutionnelle de détenir un animal domestique est donc limitée par le droit concurrent des autres colocataires : on ne peut donc reprocher à la demanderesse (le bailleur) chargée d’organiser la vie commune de ses colocataires d’avoir formulé une interdiction radicale de toute détention d’un animal domestique dans un appartement ». Le juge de paix estime donc que le contexte particulier des lieux (immeuble à appartements multiples) et la nécessité d’éviter tout conflit futur de voisinage justifient une interdiction pure et simple de tout animal.

    Ces décisions s'inscrivent dans un courant jurisprudentiel tenant à assouplir les clauses contractuelles interdisant la détention d'animaux domestiques si le bailleur ne subit aucun dommage particulier et qu’il n’existe pas de trouble au niveau du voisinage ou d’autres occupants d’un immeuble à appartements multiples.

    Au regard de ce qui précède, il ne me parait pas primordial de devoir prendre une quelconque initiative de sensibilisation.