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La mauvaise politique en matière de déploiement de bornes de rechargement pour véhicules électriques

  • Session : 2023-2024
  • Année : 2023
  • N° : 38 (2023-2024) 1

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  • Question écrite du 12/09/2023
    • de MATAGNE Julien
    • à HENRY Philippe, Ministre du Climat, de l'Energie, de la Mobilité et des Infrastructures
    Ces dernières semaines ont été propices à quelques annonces concernant la politique du déploiement de bornes de rechargement pour véhicules électriques et, le moins que l'on puisse dire, c'est qu'on ne peut que rester perplexe quant à un certain nombre d'éléments.

    Je souhaite d'abord intervenir sur l'objectif de déploiement d'infrastructure de rechargement. J'ai eu l'occasion d’interroger par écrit Monsieur le Ministre à ce sujet, sous différents angles, et il y a de quoi en perdre son latin…

    Tout et son contraire ont été affirmés, en fonction de l'opportunité médiatique du moment. D'abord annoncé à 12 000 points de recharge pour 2026, l'objectif a été revu à 8 000… puis à 6 000, et quelques semaines plus tard à 5 400.

    En creusant encore un peu, ce chiffre de 5 400 n'est d'ailleurs pas l'objectif réel de déploiement dépendant de la Région wallonne. Le 5 juillet dernier, interrogé par moi-même quant à ses objectifs réels en la matière, il décomposait son objectif de 5 400 points en trois sous-objectifs : 4 000 points déployés par les ADT, 2 000 points déployés par le privé, 1 000 points déployés sur le réseau structurant.

    On note d'emblée que l'addition de ces points donne 7 000 points et non 5 400. Comment expliquer cela ?

    Au-delà de cette bizarrerie mathématique, deux de ses sous-objectifs posent déjà question. Concernant le sous-objectif de 4 000 points de recharge, les communes ne sont demandeuses que de 3 400 points. Interrogé sur cette dissonance, sa réponse est limpide : « nous serons en effet légèrement inférieurs à notre premier sous objectif stratégique de 4 000 points équivalents ». L'objectif n'est donc pas atteint. Dont acte.

    Quant à l'objectif de 2 000 points pour les bornes privées, sa réponse laisse songeur puisqu’il affirme : « Pour le deuxième point, des bornes privées accessibles aux publics sont actuellement déployées vu l'avantage fiscal fédéral accordé à ce type d'infrastructure. Ce déploiement peut être comptabilisé dans notre objectif global de 5 400 points équivalents. ».

    Est-ce bien sérieux ? Comptabiliser les bornes déployées grâce à l'incitant fiscal du Ministre fédéral Van Peteghem dans l'objectif wallon ? On savait ce Ministre très populaire dernièrement, mais cela ne va-t-il pas trop loin ?

    Mais ce n'est pas tout, le 13 juillet dernier, la Wallonie a approuvé son volet modificatif du Plan de relance européen et l’on peut lire dans ce document, remis à la Commission européenne, que la Wallonie prévoit « l'installation de l'équivalent de 4 700 points de recharge publique ».

    Entre sa réponse du 5 juillet 2023 et le document transmis à la Commission européenne le 16 juillet 2023, Monsieur le Ministre a perdu 700 points de recharge en chemin. À quand l'objectif 0 point de recharge ?

    À la date d'aujourd'hui, pour mettre les choses au clair une bonne fois pour toutes, quel est son objectif réel de déploiement de points de recharge découlant de sa seule action - sans inclure le déploiement résultant de l'action efficace du Ministre Van Peteghem - en matière : 1) de bornes sur le domaine public (projet 91a du Plan de relance de la Wallonie (PRW)) ; 2) de bornes privées (projet 91b PRW) ; 3) de bornes sur le réseau structurant (projet 91c PRW). Pour chaque objectif, quelle est la véritable deadline prévue pour l'attribution des marchés ?

    J'en viens maintenant plus précisément au projet de déploiement de bornes sur le domaine public géré par les ADT. Plus les mois passent, plus ce dossier prend des allures de monstre du loch Ness. Alors que la décision de principe date du 14 juillet 2021 - il y a plus de deux ans ! - le marché public n'a toujours pas été attribué…

    On ne comprend pas le blocage inexplicable entourant ce dossier. Il faut d'abord pointer un effet direct de ce retard énorme : selon un article de presse du 28 août, le marché ne sera définitivement attribué qu'en… juin 2024 ! Pour peu que tout se déroule dans les délais - ce dont on peut douter vu l'historique du dossier – Monsieur le Ministre ne sera plus en place au moment de l'attribution du marché ! Au mieux, il sera en affaires courantes…

    Autre résultat de ce retard à l'allumage : puisque le secteur indique avoir besoin de neuf mois minimum pour déployer des bornes, la première borne découlant de son action ministérielle ne sera installée, au mieux, qu'en… mars 2025 ! Ceci est une contradiction non seulement avec son ambition d'origine, mais également avec ses propres propos d'il y a à peine deux mois puisque le 4 juillet, il me répondait par écrit que : « Le cahier des charges prévoit que la moitié des bornes de rechargement seront installées en 2024 et l'autre moitié en 2025. ». Entre sa réponse de juillet et l'article de presse de fin août, on a perdu six mois…

    Franchement, est-ce bien sérieux alors que la pression sur l'infrastructure de recharge ne va faire que s'intensifier avec l'électrification des véhicules de leasing ? Pourquoi ne pas avoir fait de ce dossier une priorité ?

    Tout cela est principalement dû à son incapacité à faire approuver un cahier spécial des charges permettant la mise en branle de l'opération. À cet égard, si le travail de cartographie a pris du temps, ce qui était compréhensible, le délai de plus d'un an afin de rédiger et faire approuver un cahier des charges ne s'explique pas. Le 4 juillet, Monsieur le Ministre disait à cet égard : « Nous espérons finaliser le cahier des charges, avec les ADT, pour cet été. ».

    L'été sera terminé dans 10 jours et, sauf erreur de ma part, je n'ai pas vu inscrite à l'ordre du jour du Gouvernement une quelconque approbation du cahier des charges… Va-t-il atterrir dans les 10 jours comme annoncé le 4 juillet dernier ? Quand le Gouvernement va-t-il enfin approuver ce cahier des charges ?

    Enfin, pour terminer sur le projet des ADT, il disait aussi le 4 juillet dernier que le marché public serait finalement réalisé en centrale d'achat… mais alors, quelle était l'utilité de prévoir initialement un marché pour chacune des ADT ? Pourquoi ne pas avoir centralisé les opérations de marché au sein du Service public de Wallonie dès l'entame de la réflexion ? Que de temps perdu !

    J'en viens maintenant au déploiement sur le réseau Société wallonne de financement complémentaire des infrastructures (SOFICO).

    Le 5 juillet, Monsieur le Ministre me confirmait ceci : « Une analyse approfondie avec les GRD est toujours en cours. ». Manifestement, l'analyse prend tu temps…

    Tellement de temps que depuis lors, le 25 juillet dernier, l'Union européenne a eu le temps d'adopter définitivement le Règlement « AFIR » qui impose, à partir de 2025, des stations de recharge rapide d'au moins 150 kW pour voitures et camionnettes tous les 60 kilomètres sur le réseau structurant.

    Pour rappel, la SOFICO elle-même a indiqué à la commission que le réseau structurant wallon compte actuellement 26 points de recharge d'une puissance supérieure à 150 kW. Selon ses propres objectifs, il est question d'atteindre 1 000 points de recharge sur le réseau SOFICO pour respecter l'obligation européenne… Qu'attend-on ?

    Selon ses propres réponses écrites, la SOFICO ne passera un marché public qu'après l'approbation de son contrat de gestion, c'est en tout cas ce qu’il disait le 16 mars 2023. Pourtant, le 15 juin 2023, le Gouvernement adoptait la note d'orientation sur ce futur contrat qui ne contient… aucune trace d'un marché sur les superchargeurs.

    Je constate également que le document de suivi du Plan de relance communiqué au Parlement il y a quelques jours indique toujours que ce jalon se trouve à un taux de réalisation de très exactement 0 %... Attend-on que les pétroliers daignent installer quelques bornes, par leur seule bonne volonté, sans aucune autre forme de concurrence ?

    Les superchargeurs ne sortiront pas d'eux-mêmes de terre : une concurrence doit s'organiser, un marché public doit être passé, une réglementation doit être mise en place. Pourquoi la Wallonie fait-elle office de cinquième roue du carrosse européen en la matière ?

    Que dire aussi du déploiement de bornes semi-publiques ? Alors qu'il s'agit d'un projet du Plan de relance, Monsieur le Ministre a purement et simplement tiré un trait sur ce projet. Il le dit sans ambages dans une réponse écrite du 4 juillet : « Une mesure fiscale fédérale a été mise en place. Ce soutien est largement suffisant pour soutenir ce type de déploiement. Il n'est donc plus nécessaire d'ajouter un soutien supplémentaire de la Région wallonne ».

    Pourquoi, alors, avoir inscrit cela dans le Plan de relance ? La mesure fédérale était déjà connue à l'époque ; mieux, elle se trouvait dans la Déclaration de politique générale du Gouvernement fédéral !

    Pourquoi gaspiller ainsi l'énergie de l'administration à travailler à des projets que l'on supprime finalement d'un trait de plume ?

    On rappelle d'ailleurs que COMEOS avait rendu un avis à notre commission à propos du déploiement de bornes semi-publiques. Il était question davantage que de seuls budgets ou primes puisque des propositions ou idées de nature réglementaires étaient aussi présentées, comme l'exonération de taxe sur le stationnement ou des tarifs incitatifs pour ce type d'infrastructure.

    Il est bien responsable aussi de ces éléments, il n’a pourtant rien fait en la matière. COMEOS a-t-il, en rendant cet avis en novembre 2022 à notre Parlement, également travailler pour rien ?
  • Réponse du 13/09/2023
    • de HENRY Philippe
    Dans le cadre plus large de la transition énergétique, j’ai vraiment à cœur d’accompagner l’évolution du parc automobile vers son électrification, en assurant la présence d’une répartition de bornes équilibrées sur le territoire à des coûts de recharge qui ne discriminent pas les campagnes, et qui assurent le confort nécessaire pour le trafic de transit ; et mon cabinet est en contact étroit avec ce secteur et sa fédération, EV Belgium. Je rappelle que, si généralement un propriétaire de voiture électrique recharge son véhicule chez lui ou au travail, il est nécessaire qu’il puisse compter de manière complémentaire sur des bornes qui sont accessibles au public. C’est l’objet de la préoccupation de l’honorable membre, et que je partage.

    Mais de quoi parlons-nous exactement ? C’est un secteur nouveau pour nombre d’entre nous, et son vocabulaire n’est pas encore stabilisé, notamment dans cette enceinte. Par exemple, une « borne » peut offrir un ou davantage de « points de recharge ». Ce sont deux notions distinctes.

    Plus important encore, les bornes sur le marché offrant une palette de puissances différentes, pour pouvoir les comparer, il est question de « points-équivalents », soit 11 kW de puissance. Par exemple, une « borne » de 50 kW de puissance, qui offre deux « points de recharge », équivaut à 4 « points-équivalents ». Enfin, toujours au niveau du vocabulaire, parmi les bornes de recharge « rapide », donc de plus de 50 kW de puissance, il existe toute une gamme parmi laquelle des « super-chargeurs » (puissance minimum de 150kW). Ainsi, un super-chargeur de 350kW équivaut à 31 points-équivalents. Et, poursuivant un échange récent en séance plénière, le réseau SOFICO offre bien aujourd’hui 48 chargeurs rapides, dont 26 super-chargeurs.

    C’est aussi un secteur en évolution rapide, et sous l’impulsion première du secteur privé. En Flandre, plus de 2/3 des bornes sont à son initiative, et ce même mouvement est à l’œuvre en Région wallonne. Par exemple, selon EV Belgium, en mars 2022, la Région wallonne comptait 1 800 bornes accessibles au public. Aujourd’hui, il y en a 5 000, pour un total estimé de 30 000 véhicules électriques circulant quotidiennement en Wallonie.

    Tous ces chiffres sont des estimations, sur base des meilleures informations disponibles du secteur lui-même.

    Je précise que, sur les 5 000 bornes présentes, il est estimé que 4 500 sont des bornes lentes et 500 des bornes rapides (>50kW), dont 250 super-chargeurs.

    Y a-t-il assez de bornes ? Le secteur de l’électro-mobilité estime le nombre nécessaire de bornes à mettre à disposition du public selon les 2 normes suivantes :
    - une borne lente ou semi-rapide pour 10 véhicules ;
    - une borne rapide pour 100 véhicules.

    Toujours selon EV Belgium, actuellement, cette densité de bornes est respectée en Région wallonne, ce qui permet de raisonnablement rencontrer les besoins ; mais seulement les besoins actuels, et sans tenir compte du trafic de transit.

    Et comme le nombre de voitures électriques augmente rapidement, il y a lieu d’étendre bien évidemment le parc de bornes en conséquence.

    Il est vrai qu’il a fallu un peu de temps pour stabiliser l’objectif global inscrit dans le PNRR, qui était effectivement de 6 000 points-équivalents. Etant donné que cet indicateur a un rôle clé pour le déboursement de tranches budgétaires, il a pu être possible de le réviser à la baisse lors de différentes étapes, en tant qu’objectif formel, maintenant à 4 700 points-équivalents, dans une optique de gestion prudente des relations avec la Commission (comme pour d’autres domaines du PNRR). Mais mon intention reste la même : obtenir l’ajout d’un total de 6 000 points-équivalents de bornes accessibles au public d’ici juin 2026, que ce soit au niveau des communes, du réseau structurant ou ailleurs.

    C’est pourquoi nous avons inscrit dans le PNRR les 3 volets d’exécution, que l’honorable membre connaît.

    Quelle est la situation actuelle ?

    Sur le volet de la mise en concession de bornes sur le domaine communal, sur base d’une analyse technique menée par les ADTs, une proposition de plus de 4 200 points-équivalents a été proposée aux communes. En retour, elles ont manifesté un intérêt pour 2 485 emplacements de parking destinés à du rechargement, soit plus de 3 300 points-équivalents. Nous avons donc proposé un plan de déploiement qui dépassait leurs attentes. Les ADTs finalisent actuellement une proposition de cahier des charges, au niveau juridique et technique. Le sujet est à l’ordre du jour du conseil d’administration du 14 septembre. Ceci permet de tenir le planning d’un lancement du marché de concession début 2024, après approbation formelle du mécanisme par les différentes communes.

    Le projet ayant évolué, c’est bien une seule centrale d’achat unique pour la mise en concession qui est organisée par les ADTs, au nom des communes. L’avantage des ADTs, plutôt que la Région wallonne, est que les ADTs pourront suivre la bonne exécution de l’installation des bornes, ce qui est un point d’attention important pour leurs communes.

    Sur le volet 2, le déploiement de bornes semi-publiques sur du domaine privé, il faut constater qu’il se produit spontanément, probablement sous l’impulsion de la déductibilité fédérale et avec un souci d’attractivité de leurs clients. De plus, à partir du 1er janvier 2025, les bâtiments non résidentiels seront obligés (transposition déjà réalisée en droit wallon) de placer une borne de rechargement. Afin de maximiser le rendement de ces bornes, les propriétaires auront intérêt à rendre ces bornes accessibles au public. En conséquence, il n’est pas nécessaire d’utiliser du budget public de ce côté.

    Sur le dernier volet, j’attire son attention que l’objectif pour les bornes rapides sur le réseau structurant est de 1 000 points-équivalents et non 1 000 points de rechargement. La SOFICO devra lancer son marché de concession début janvier 2024 au plus tard. Vu les 48 sites identifiés, vu le règlement AFIR et étant donné les contraintes des opérateurs qui préfèrent installer 6 à 8 bornes rapides par sites, nous allons dépasser largement les 1 000 points-équivalents.

    Le plan de déploiement de la SOFICO est en préparation de leur côté, sur base d’une part d’une étude menée par STRATEC qui leur a été remise en juillet dernier, et sur base d’informations données par les GRD, la plus grande difficulté résidant dans l’acheminement de la puissance nécessaire. Si 6 points de chargement de 150kW sont déployés sur 40 sites, ça équivaut à plus de 3 000 points-équivalents.

    Au total, nous sommes en ordre de marche pour l’installation de 6 300 points-équivalents, dépassant l’objectif de 6 000 points-équivalents pour juin 2026.

    Mais ce n’est qu’une étape, et d’autres mesures sont inévitablement appelées dans les années à venir.