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L’impact des centrales hydroélectriques sur les poissons migrateurs

  • Session : 2023-2024
  • Année : 2023
  • N° : 27 (2023-2024) 1

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  • Question écrite du 14/09/2023
    • de LENZINI Mauro
    • à TELLIER Céline, Ministre de l'Environnement, de la Nature, de la Forêt, de la Ruralité et du Bien-être animal
    En Belgique, environ 176 sites produisent de l'électricité grâce à la force de l'eau. La majorité de ces centrales hydroélectriques se trouve en Wallonie. Pour chaque MWh d'hydroélectricité produite en Région wallonne, on estime que 456 kg de CO2 ne sont pas émis par une centrale électrique de référence. Mais cette production d'énergie renouvelable peut aussi avoir un effet négatif sur l'environnement, en particulier sur les poissons migrateurs.

    Dans un objectif de protection des poissons, la Région wallonne impose d'ailleurs aux centrales hydroélectriques des limites au taux de mortalité de deux espèces, l'anguille européenne et le saumon atlantique, considérées comme « parapluies » pour les autres.

    Pour y faire face, pendant sept ans, l'ULiège, l'UNamur, Profish Technologies, EDF et l'entreprise Luminus, qui produit plus de la moitié de l'énergie hydroélectrique wallonne, ont étudié les deux espèces migratrices parapluies. Les scientifiques ont analysé le comportement des poissons et ont développé et validé différentes solutions pour proposer des voies de passage alternatives aux poissons.

    Madame la Ministre peut-elle nous en dire un peu plus sur les solutions mises en place pour éviter une surmortalité des poissons migrateurs aux abords des centrales hydroélectriques wallonnes ?

    Quels sont les résultats des études scientifiques menées sur le sujet ?

    À quelles exigences sont soumises les centrales hydroélectriques wallonnes à cet égard ?

    Quelles sont les mesures concrètement mises en place pour limiter cette mortalité ?

    Dispose-t-on déjà de chiffres sur l'efficacité de ces mesures ?
  • Réponse du 28/12/2023
    • de TELLIER Céline
    Pour pouvoir accomplir leur cycle de vie, les poissons migrateurs doivent être en mesure de circuler librement des cours d’eau vers la mer et inversement, mais aussi au sein même des cours d’eau. En effet, plusieurs espèces de poissons autres que les grands migrateurs ont également besoin de pouvoir se déplacer au cours de leur cycle vital (zone de reproduction, croissance, nourrissage).

    L’anguille est une espèce en danger critique d’extinction en Wallonie tandis que le saumon atlantique est considéré comme éteint (l’espèce ne se reproduit plus naturellement en Wallonie). Les deux espèces font l’objet de repeuplements au stade juvénile organisés par le Service de la pêche du Département de la nature et des forêts.

    Pour la montaison, si certaines données existent sur le nombre de migrateurs qui parviennent à atteindre la basse Meuse, voire la basse Ourthe, aucune donnée de relevé d’échelles à poissons n’existe dans la partie wallonne de l’Escaut ni sur de nombreux affluents. Il faut noter l’effet cumulatif des nombreux barrages mis en place pour la navigation et leur impact sur l’allongement du délai pour que les poissons puissent atteindre leur site de reproduction. La dépense énergétique très importante nécessaire pour le franchissement des nombreux barrages hypothèque les chances de réussite de la reproduction.

    Pour la dévalaison, l’état des connaissances est encore plus limité, même si certaines études récentes dont le projet LIFE4Fish de Luminus et les études d’exploitants de centrales hydro-électriques en Wallonie se sont intéressées à la question.

    La mortalité des poissons migrateurs imputable aux turbines hydroélectriques de dernière génération est réduite par rapport aux anciens modèles de turbines. Elle est variable selon les situations (position du cours d’eau dans le réseau hydrographique, débit, hauteur de chute d’eau, type de turbine, période de l’année …).

    Dans des cours d’eau comme la Meuse, par exemple, il semble que la mortalité des saumons dévalant soit majoritairement due à l’endiguement important du cours d’eau qui a pour effet, en dehors des périodes de crues, de changer radicalement la vitesse d’écoulement de l’eau, à tel point que les saumons qui se retrouvent dans une eau profonde s’écoulant très lentement ne trouvent pas le chemin vers la mer et souvent se perdent dans le canal Albert.

    Toujours en Meuse, la hauteur de chute sur les déversoirs des barrages semble entrainer une mortalité importante des anguilles lors de la dévalaison.

    Les centrales hydroélectriques sont soumises à un permis d’environnement. Depuis plusieurs années, ce permis est assorti de conditions en rapport avec la libre circulation des poissons, tant pour la conception des installations que pour leur exploitation. Les exigences peuvent porter sur le type de turbines installées, sur la part du débit qui peut être utilisée par les centrales ou sur les périodes d’utilisation.

    Sur la Meuse, par exemple, on dénombre 6 barrages en Basse-Meuse wallonne et 9 en Haute-Meuse. Sur chacun de ces deux secteurs, l’exploitant doit limiter la mortalité cumulée, liée au turbinage à 20 % pour les anguilles et 10 % pour les saumons.

    Concernant, les cours d’eau non navigables de 1re catégorie, des autorisations domaniales sont obligatoires pour tous les nouveaux projets ainsi que pour les anciens projets rénovés et modifiés. Cette autorisation impose une technologie ichtyo compatible pour la centrale ou à défaut pour la prise d’eau. La possibilité de dévalaison et de montaison est également imposée.

    Les mesures sont diverses et dépendent de l’emplacement des centrales, du type de turbines et de l’exploitant.

    Tout d’abord, les turbines de nouvelle génération sont dites ichtyo compatibles. Cela signifie que certains éléments constituants (vitesse de rotation des pales, formes de celles-ci, interstices, gradients de pression …) sont optimisés pour éviter les impacts sur les poissons.

    Sur certains sites, la modélisation des dévalaisons permet d’estimer le moment de migration des poissons en fonction de différents paramètres (température de l’eau, gradient de vitesse de l’eau, cycle jour-nuit, période de l’année, et cetera). Ceci permet de pouvoir réduire l’activité d’une centrale ou même l’arrêter aux moments les plus sensibles.

    Par ailleurs, une partie du débit est réservée pour permettre de diriger les espèces migrantes vers une chute au-dessus du barrage et donc de leur éviter de passer au travers des turbines. Pour ce faire, le SPW MI, gestionnaire des barrages et écluses, conclut des conventions avec les exploitants pour que le débit réservé au-dessus du barrage et celui nécessaire au niveau de l’échelle à poisson soient garantis en tout temps. L’objectif du SPW est de répondre harmonieusement à l’ensemble des besoins économiques (navigation, production d’énergie verte…) et environnementaux des voies navigables. Un projet mené par le Centre Perex des Voies hydrauliques vise à centraliser et optimiser la ressource en eau sur leur réseau pour permettre aux espèces migrantes de respecter un parcours le plus naturel possible en évitant notamment de prendre des directions alternatives comme vers le canal Albert.

    À ces techniques s’ajoutent des projets de barrières électriques ou autres dans les chenaux d’accès de certaines centrales afin de détourner les poissons de ceux-ci pour leur éviter d’être entraînés dans les turbines.

    D’après les résultats obtenus par le projet LIFE4Fish, l’objectif de 20 % de mortalités cumulées semble pouvoir être atteint pour les anguilles (en optimisant les périodes de turbinages en fonction des migrations des poissons et en installant des turbines adaptées). Pour les saumons, le taux de mortalité le plus faible accessible pour l’instant semble être de 12 %.