/

Le défi de l’obsolescence programmée et le droit de réparation des électroménagers

  • Session : 2023-2024
  • Année : 2023
  • N° : 63 (2023-2024) 1

2 élément(s) trouvé(s).

  • Question écrite du 06/10/2023
    • de CRUCKE Jean-Luc
    • à TELLIER Céline, Ministre de l'Environnement, de la Nature, de la Forêt, de la Ruralité et du Bien-être animal
    L'obsolescence programmée est un défi pour notre transition et notre nécessité à viser une meilleure sobriété énergétique et consumériste. La pratique de l'obsolescence programmée est d'ailleurs en opposition fondamentale avec les attentes du consommateur, mais aussi avec les nécessités écologiques criantes !

    En mars 2023, le Parlement européen a introduit une forme d'interdiction légale de l'obsolescence programmée dans la proposition de directive qu'il s'apprête à négocier avec les États membres, en interdisant dès la conception d'un produit les caractéristiques qui limitent sa durabilité ou entraînent un dysfonctionnement prématuré. Il réclame aussi un label obligatoire de durabilité.

    Dans une carte blanche de La Libre du 24 mai 2023, deux spécialistes en appellent à la mise en place d'incitants fiscaux afin de stimuler la remise en circulation des smartphones et leur traitement local. Ceux-ci font référence aux exemples de politiques publiques en Suède et en Norvège qui a permis aux deux pays de devenir des références en mobilité électrique et innovation contre le gaspillage alimentaire.

    Les deux auteurs estiment par ailleurs qu'il y a une fenêtre d'opportunité au niveau régional, où le Gouvernement pourrait réfléchir à des incitants, en considérant les smartphones, et pourquoi les ordinateurs, comme des « déchets ».

    C'est une réflexion et un débat que l'on mérite d'avoir tant notre Région pourrait devenir un eldorado du recyclage et du reconditionnement, avec à la clé, la création d'emplois, ainsi qu'un meilleur cadre pour la sobriété de nos consommateurs.

    Quelle est la réflexion de Madame la Ministre au sujet des développements législatifs européens en cours concernant l'interdiction de l'obsolescence programmée ?

    Quelle est son analyse ?

    Où en sommes-nous au niveau de la Région wallonne ?

    On parle du reconditionnement des téléphones, mais quid des ordinateurs, tout autant essentiels que les consommateurs wallons ?

    À l'égard de la carte blanche mentionnée, quelles sont son analyse et son opinion ?

    Le Gouvernement réfléchit-il à une quelconque initiative de ce genre ?

    Quelles sont les activités et politiques publiques mises en place face au défi de l'obsolescence programmée et du reconditionnement ?

    Une prime est-elle envisageable pour autant que l'on respecte le cadre légal des aides d'état ?

    Madame la Ministre pourrait-elle me citer les acteurs de terrain qui travaillent dans ce domaine ?

    Quelle est la lecture de ce défi pour ces acteurs qui deviennent progressivement essentiels à notre transition ?

    Pourrait-elle me donner les chiffres concernant le traitement de smartphones usagés en Région wallonne ?

    Y a-t-il des études à ce sujet au niveau régional ?

    Quid d'une possible audition avec les acteurs intéressés ?
  • Réponse du 13/11/2023
    • de TELLIER Céline
    Les résultats du dernier baromètre de la prévention des déchets ménagers (2022) indiquent que plus de 40 % des Wallons ne font pas réparer un appareil électrique ou électronique lorsque celui-ci a besoin de réparations. Ce pourcentage atteint 46 % lorsqu’il s’agit d’équipements informatiques et 51 % lorsqu’il s’agit de téléphones portables et de smartphones.

    La raison principale évoquée par les personnes interrogées est que la réparation est plus chère que l’achat d’un nouvel appareil (39 %), la seconde raison évoquée (16 %) étant l’absence de personnes pour effectuer la réparation. Ensuite, les autres raisons évoquées sont : le manque de disponibilité des pièces de rechange (pour 10 % à 18 % des sondés) et le fait que l’appareil était démodé (plus au goût du jour, plus à jour au niveau des logiciels, et cetera, pour 10 % à 17 % des sondés).

    Selon les résultats du baromètre, 30 % des Wallons répareraient eux-mêmes leurs équipements informatiques et 22 % leurs téléphones portables et smartphones. Par ailleurs, les personnes sondées indiquent que 34 % des réparations de l’équipement informatique ont été réalisées par un réparateur spécialisé et que 20 % des réparations étaient couvertes par la garantie. Ces pourcentages sont respectivement de 42 % et 25 % en ce qui concerne les téléphones portables.

    Une analyse menée récemment par le bureau d’études Möbius (2022) pour le compte de Recupel, intitulée « Étude sur la réparation et le réemploi », présente un état des lieux de l’économie belge du réemploi et de la réparation des appareils électroniques et électriques (EEE), dont les smartphones et les ordinateurs. Cette étude souligne entre autres que le réemploi d’une partie non négligeable des EEE s’effectue via des canaux non professionnels, comme le confirme le rapportage européen portant sur le réemploi : celui-ci indique que 35 % de la réutilisation des EEE a lieu via un canal non professionnels (brocantes, donneries, proches...).

    Ces quelques données et informations illustrent à elles seules la nécessité de renforcer davantage les critères de mise sur le marché des EEE, afin que ceux-ci soient plus durables (éco-conception), à plus longue durée de vie et plus facilement démontables et réparables. C’est l’objectif qui est poursuivi au niveau du Gouvernement fédéral, et de la Ministre fédérale de l’Environnement en particulier, qui sont compétents en la matière, à travers notamment la mise en place d’un indice de réparabilité (avant-projet de loi adopté en 2023), faisant ainsi de la Belgique le deuxième pays européen, après la France, à instaurer ce type d’indice pour toute une série d’appareils électriques et électroniques (lave-linges, lave-vaisselles, aspirateurs, téléviseurs, PC portables…). L’entrée en vigueur de cet indice est prévue pour 2026. À terme, il est également prévu, via arrêté royal, de compléter l’indice de réparabilité par un indice de durabilité, en y ajoutant des critères de robustesse et de fiabilité.

    Cette loi constitue aussi le point de départ d'une nouvelle consultation du secteur sur la manière d'allonger la durée de vie des appareils. À cet effet, une plateforme sera mise en place pour permettre aux fabricants, aux détaillants et aux réparateurs d'évaluer l'impact du score sur la durée de vie des appareils mis sur le marché. Elle servira de base à la formulation de propositions visant à améliorer le score afin qu'il reflète au mieux la réparabilité d'un produit. La plateforme servira également à formuler des recommandations à l'intention des Gouvernements (fédéral et régionaux) afin de soutenir les activités de réparation et d'allonger la durée de vie des appareils. Au niveau de la Région et des compétences qui sont les siennes, l’accent devra être porté sur le renforcement de la formation des valoristes et des réparateurs, et du réseau des points de réparation (et de recyclage lorsque la réparation n’est plus envisageable).

    Parmi les acteurs de terrain mentionnés dans l’Observatoire wallon de la réparation publié en avril 2022, on retrouve les fabricants et distributeurs de produits et de pièces détachées, les réparateurs indépendants, les plateformes de mise en relation pour la réparation (telles que RingTwice p.ex.), les entreprises d’économie sociale et circulaire représentées par la Fédération Ressources et ses membres, dont Repair Together qui est un acteur incontournable de la réparation en Wallonie.

    La Wallonie agit en faveur de la réparation, en renforçant notamment son soutien aux actions de l’ASBL Repair Together, dont la consolidation du réseau et du maillage des lieux de réparation constitue le point central (Repair Cafés), avec la mise à disposition de tutoriels de réparation en ligne, ou encore la tenue de formations sur la réparation.

    L’expertise de Repair Together est particulièrement utile pour évaluer la mise en place des recommandations émises par l’Observatoire wallon de la réparation. Parmi celles-ci, on retrouve notamment l’établissement d’objectifs de réemploi et/ou de réutilisation pour la filière de gestion des EEE.

    Par ailleurs, dans son mémorandum 2024, la Fédération Ressources propose une approche systémique pour encourager à une gestion plus durable des DEEE qui passe par la réparation et le réemploi, et qui agit également au niveau de la création d’emplois et de la lutte contre la pauvreté. Parmi les mesures proposées, on peut citer :
    • le renforcement des dispositifs de soutien aux entreprises sociales et circulaires, tels que les agréments régionaux relatifs aux entreprises sociales actives dans la préparation au réemploi et leur financement en cohérence avec les objectifs régionaux. Un projet d’arrêté du Gouvernement qui va dans ce sens est en cours de préparation ;
    • la création d’un régime fiscal et des incitants économiques (chèques réparation p.ex.) qui rendent les services de réparation des entreprises sociales et circulaires plus attractifs. Cette piste est à l’étude au regard des moyens budgétaires ;
    • le soutien, y compris par des incitants fiscaux, des modes de gestion des déchets le plus vertueux comme le réemploi et la préparation au réemploi. Actuellement, les entreprises sociales et circulaires agréées bénéficient d’un taux réduit de TVA (6 %) pour certaines activités ;
    • la responsabilisation des producteurs sur l’ensemble du cycle de vie, via le cadre de la Responsabilité élargie des producteurs (REP), qui a été réformé en ce sens via les dispositions du Titre II du nouveau décret du 09 mars 2023 relatif aux déchets, à la circularité des matières et à la propreté publique.

    En outre, l’ASBL Recupel, l’organisme de gestion de la REP pour les DEEE, procède par l’entremise de collecteurs agréés, à la collecte en Wallonie des petits appareils électroménagers dans les recyparcs et dans les « points de recyclage » équipés de récipients de collecte adéquats.

    Actuellement, les GSM et les smartphones figurent parmi les appareils électroniques les plus difficiles à collecter. En effet, Recupel constate que les consommateurs se défont difficilement de leurs anciens appareils, car ils y accordent encore une valeur sentimentale, ou ils craignent que leurs données personnelles ne soient exploitées. En conséquence, Recupel a mené diverses actions et mis en place plusieurs campagnes de sensibilisation, avec pour objectif d’éviter que les GSM usagés trainent encore dans les tiroirs ou, pire encore, finissent dans les poubelles tout venant.

    Selon Recupel, les appareils collectés via leur réseau de collecte présentent peu de potentiel de reconditionnement et de réutilisation, car il s’agit des appareils les plus anciens, et qui ont le moins de valeur. En effet, lorsque les GSM, les smartphones ou les ordinateurs ont encore de la valeur, les consommateurs ont davantage tendance à les revendre sur une plateforme en ligne ou dans un magasin.

    S’agissant du traitement des smartphones usagés, Recupel dépasse les objectifs de valorisation et de recyclage prévus dans la législation européenne et wallonne pour cette catégorie de DEEE. En complément, l’arrêté du 23 septembre 2010 prévoit que tous les appareils collectés par Recupel doivent être transférés dans des usines de traitement autorisées qui respectent les normes environnementales, et qui doivent être auditées par des institutions de contrôle indépendantes.

    Selon les données de l’Observatoire de la réutilisation, du réemploi et de la réparation publiées par la fédération Ressources (2022), la filière DEEE a permis la réutilisation de 641 tonnes d’appareils électroménagers en fin de vie en Wallonie (dont 152 tonnes d’appareils IT). Malgré la période de confinement, les performances des membres de Ressources sont en progression en 2021, avec une collecte passant de 20.173 tonnes en 2020 à 22.333 tonnes en 2021, et une réutilisation en hausse de 33 % en Wallonie (483 tonnes en 2020 à 641 tonnes en 2021). Les activités de dépannage sont aussi en croissance, grâce notamment à la reprise d’activité d’acteurs forts de la réparation pour compte de tiers.

    Le plan wallon des déchets (PWD-R) prévoit trois catégories d’actions visant la lutte contre l’obsolescence programmée :
    • des mesures visant à relayer vers le Pouvoir fédéral les préoccupations de la Région par flux prioritaire ;
    • des actions visant à développer la prévention et la réutilisation des équipements électriques et électroniques (EEE) ;
    • des mesures visant à encourager la réparation des EEE.

    Une étude de 2018 sur l’obsolescence programmée, associant le SPF Économie et les trois administrations régionales proposait plusieurs mesures pour lutter contre l’obsolescence programmée (allongement du délai de garantie p.ex.). La Commission européenne a aussi réalisé une étude similaire sur la collecte des petits DEEE.

    En ce qui concerne la conscientisation et l’obligation des fabricants à produire des EEE plus durables, la difficulté réside dans le fait qu’une grande majorité des producteurs sont internationaux et restent peu sensibles aux arguments invoqués (principalement pour des raisons financières). Certains fabricants ont cependant fait le choix de la durabilité et en tirent un argument de vente. La sensibilisation du consommateur est également importante, car au final, c’est ce dernier qui choisit de prendre ou non en compte, parmi ses critères d’achat, le degré de réparabilité et la durée de vie estimée d’un équipement.

    Sur le plan législatif, la directive européenne 2012/19 sur les DEEE est en cours de révision. Début octobre 2023, la Commission a adopté des recommandations à l’intention des États membres dans le but d’augmenter et d’encourager la restitution des téléphones mobiles, des tablettes, des ordinateurs portables et de leurs chargeurs usagés.

    Dans la limite des compétences régionales, la législation wallonne permet d’encadrer partiellement la problématique de l’obsolescence programmée, laquelle est également visée par les compétences fédérales. Ainsi, l’arrêté du Gouvernement wallon du 23 septembre 2010 prévoit qu’en matière de DEEE, l'obligataire de reprise (Recupel) est tenu d'élaborer et mettre en œuvre des mesures de prévention/réutilisation (favoriser la mise sur le marché d'équipements facilement réparables, la disponibilité des pièces détachées, la fourniture d'informations nécessaires à la réparation et la réutilisation des équipements, p.ex.).

    À ce sujet, le décret wallon relatif aux déchets, à la circularité des matières et à la propreté publique du 9 mars est entré en vigueur le 1er août 2023. Les arrêtés d’application viendront préciser les dispositions légales prévues dans le décret en vue d’améliorer et de renforcer les mécanismes de responsabilité des producteurs, en matière notamment de prévention et de réutilisation des EEE.