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Le gel du projet de gigafactory de John Cockerill et la filière de l'hydrogène wallonne

  • Session : 2023-2024
  • Année : 2023
  • N° : 133 (2023-2024) 1

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  • Question écrite du 20/10/2023
    • de FONTAINE Eddy
    • à HENRY Philippe, Ministre du Climat, de l'Energie, de la Mobilité et des Infrastructures
    La "gigafactory" de John Cockerill est un grand projet en gestation depuis 2022 qui vise à réactiver le site industriel sérésien pour accueillir une gigafactory d'hydrogène. Malheureusement, ce projet se voit aujourd'hui être mis sous cocon en raison de la faiblesse de la demande en hydrogène sur le marché européen.

    Or, parmi les recommandations formulées dans le cadre du Plan de relance de la Wallonie, on retrouve justement le développement d'une filière d'hydrogène au sein de la Région, un objectif qui semblait être dans la bonne direction avec un projet de ce type.

    Bien qu'il soit trop tôt pour affirmer que le projet de gigafactory soit définitivement compromis, cela allongera certainement le temps de concrétisation de celui-ci. En effet, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) estime qu'il reste « difficile de transformer l'élan autour de l'hydrogène en déploiement », citant les lenteurs administratives, la difficulté de mise en place de mesures de soutien lisibles aux molécules décarbonées, ou encore l'augmentation des coûts de production.

    Où en sont aujourd'hui les travaux visant à mettre en place un cadre législatif permettant d'appuyer le développement d'une filière d'hydrogène en Wallonie ?

    Quels sont les écueils rencontrés, outre le manque de demande ?

    Quel est l'avenir de l'hydrogène dans la décarbonation des entreprises en Wallonie ?

    Quelles échéances Monsieur le Ministre a-t-il fixées en concertation avec son homologue en charge de l'Économie pour une évaluation des investissements réalisés dans la mise en place d'une filière d'hydrogène wallonne ?
  • Réponse du 15/01/2024
    • de HENRY Philippe
    Il convient de bien identifier les choses, car les confusions sont aisées. Il existe deux projets de gigafactory chez John Cockerill.

    Le premier consiste au développement, en France et en Belgique, d’une gigafactory qui vise à produire :
    - en France, une usine d’un giga de cellules destinées à la production d’électrolyseur à haute capacité ;
    - en Belgique, une usine d’assemblage d’un giga d’électrolyseur à haute capacité (projet IPCEI suivi par le SPW EER dans le cadre du projet PRW N°47).

    Ces deux projets suivent leurs cours et sont attendus courant 2025.

    L’annonce de John Cockerill à laquelle l’honorable membre fait référence concerne la construction d’un deuxième site d’une gigafactory de production de cellules en Belgique combiné à une augmentation du site d’assemblage à Seraing jusqu’à 2GW. Cette deuxième phase d’expansion de l’activité hydrogène de John Cockerill n’est pas financée dans le cadre des projets IPCEI. John Cockerill annonce donc que cette deuxième phase est mise en suspend en attendant une demande suffisante sur les marchés, ce qui est compréhensible au vu de la situation actuelle en matière de développement de la filière de l’hydrogène. Il semble bien ne s’agir que d’un report guidé par les carnets de commandes.

    On constate en effet qu’il est difficile de transformer l’élan général pour l’hydrogène en déploiement concret. Parmi les causes, on retrouve évidemment celles citées par l’Agence internationale de l’énergie (AIE) telles les lenteurs administratives, la difficulté de mise en place de mesures de soutien lisibles aux molécules décarbonées et l’augmentation des coûts de production depuis l’agression russe en Ukraine.

    On constate également une certaine frilosité de l’industrie dans ce domaine face à l’absence d’hydrogène renouvelable et bas carbone disponible à un prix concurrentiel. La différence de coût entre l’hydrogène « gris » actuellement disponible et les diverses formes d’hydrogène « renouvelable et bas carbone » reste en effet notable à ce stade. La possibilité de recourir à des « contracts for difference », qui visent à compenser la différence de prix entre l’hydrogène gris et vert, est une option envisagée au niveau européen et en discussion dans les États membres.

    L’hydrogène renouvelable et bas carbone doit par ailleurs être accessible en quantité suffisante sur le marché. En Europe continentale, la disponibilité des sites de production d’électricité renouvelable (solaire et éolien essentiellement) reste limitée à ce stade. Par ailleurs, l’utilisation directe de l’électricité verte doit être favorisée pour répondre aux exigences incontournables d’efficacité énergétique. L’importation d’hydrogène, qui relève de la compétence fédérale, en provenance de pays mieux situés pour la production d’électricité verte devrait contribuer à améliorer la situation.

    De manière plus structurelle, on relèvera les freins suivants :
    - l’utilisation de carburants fossiles reste actuellement très concurrentielle dans le transport lourd ;
    - la certification de qualité et d’origine de l’hydrogène fait encore débat. La Commission européenne y travaille avec les Etats-Membres, appuyés pas d’autres instances internationales comme le BENELUX. C’est un point préalable au lancement du grand transport d’hydrogène ;
    - l’infrastructure de grand transport d’hydrogène eu Europe (European Hydrogen Backbone) est encore inexistante. Le niveau fédéral, qui détient cette compétence, y travaille en coordination avec la Commission européenne et les pays voisins et en concertation avec la Région wallonne.

    Chacun s’attèle à lever ces multiples freins, y compris la Région wallonne, qui pose les fondations du soutien au développement de la filière de l’hydrogène en Wallonie. En effet, outre le soutien à des projets ponctuels, le Gouvernement a adopté une vision à l’horizon 2050 pour le développement de la filière d’hydrogène vert, ainsi que trois objectifs stratégiques à atteindre pour 2030 : un premier relatif à la recherche et l’innovation, un deuxième consacré au marché (production, consommation et infrastructures) et le dernier au développement des compétences et de l’emploi.

    Ces objectifs stratégiques seront déclinés en objectifs opérationnels courant 2024. Ceux-ci préciseront le cadre d’action de la Région dans toute une série de domaines, dont ceux relatifs aux freins susmentionnés. Sera sans nul doute également abordée la question de l’adaptation du cadre législatif régional en cohérence avec les niveaux fédéral et européen, une fois le paquet gaz européen adopté et les incertitudes levées au niveau national en matière de répartition des compétences.

    Le Gouvernement a déjà identifié certains usages prioritaires, dont notamment le transport routier, la production de carburants de synthèse pour le transport aérien, la production d’ammoniac et d’autres produits chimiques ainsi que, à plus long terme, la production de chaleur à haute température (>500°C) pour la production du ciment, de chaux et d’acier secondaire/recyclé. L’utilisation de l’hydrogène doit cependant être raisonnée. Vu le coût et le faible rendement énergétique de sa production, il ne faut l’utiliser que là où d’autres techniques ne sont pas mieux adaptées ou plus efficaces.

    Il est encore nettement trop tôt actuellement pour évaluer les investissements effectués dans la filière de l’hydrogène et leurs retombées. Plusieurs projets liés à l’hydrogène sont en cours, parfois en réorientation, ou attendent encore d’être lancés. Un autre objectif opérationnel du plan stratégique visera l’acquisition de données en matière d’hydrogène. Ces données, y compris en provenance des projets, permettra d’obtenir des bilans et, partant, des orientations à privilégier ou, au contraire, à éviter dans l’usage de l’hydrogène.