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La surveillance de la propagation de la grippe aviaire au sein de la population de grues

  • Session : 2023-2024
  • Année : 2023
  • N° : 184 (2023-2024) 1

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  • Question écrite du 18/12/2023
    • de CRUCKE Jean-Luc
    • à TELLIER Céline, Ministre de l'Environnement, de la Nature, de la Forêt, de la Ruralité et du Bien-être animal
    Une épidémie de grippe aviaire a coûté la vie à plusieurs dizaines de milliers de grues en Hongrie où entre 20.000 et 30.000 volatiles sont morts. Le virus pourrait se répandre dans toute l'Europe. De premiers décès suspects ont d'ailleurs également été constatés en Italie et en Espagne. Plusieurs cadavres vont être analysés.

    L'association de protection de l'environnement Natuurpunt vient de tirer la sonnette d'alarme. Si elle alerte, c'est parce que la Belgique est un lieu d'étape pour les grues migrant vers le sud de l'Europe. Si la grippe aviaire se propage davantage, « la population de grues pourrait s'effondrer complètement en un seul hiver et les efforts déployés pendant des décennies pourraient être rapidement anéantis », avertit l'association.

    Un mécanisme de surveillance des populations de grues en Wallonie a-t-il été déclenché ? Qui en a la charge ?

    Quelles sont les zones humides sous surveillance ?

    Si l'épidémie devait toucher la Wallonie, comment va-t-on agir pour la limiter, voire l'enrayer ?

    Existe-t-il un crédit budgétaire pour répondre à une telle urgence ?
  • Réponse du 26/03/2024
    • de TELLIER Céline
    Ces deux dernières années, nous avons connu la plus grande épizootie d'influenza aviaire hautement pathogène (IAHP) observée jusqu'à présent en Europe tant chez les volailles d’élevage que parmi les populations d’oiseaux sauvages. Compte tenu de l’ampleur des épidémies actuelles, l’IAHP doit désormais être considérée non seulement comme une menace pour la production avicole, et pour la préservation de plusieurs espèces d’oiseaux sauvages.

    La grue cendrée se reproduit dans le nord-est de l’Europe, dont une majorité en Suède et en Finlande. La population, qui est en constante augmentation ces dernières décennies, migre en automne pour se rendre sur ses aires d’hivernage. Celles-ci se situent principalement en France, en Espagne et dans le nord de l’Afrique, mais des sites d’hivernages secondaires apparaissent maintenant le long des axes de migration, comme en Hongrie, en Serbie ou en Italie.

    La migration en Europe emprunte deux voies principales : la voie centre-européenne, qui concentre la quasi-totalité des oiseaux se reproduisant en Finlande et la voie ouest-européenne, empruntée par les oiseaux de Suède. Sur ces routes migratoires se trouvent des sites de haltes où des dizaines voire des centaines de milliers d’individus s’arrêtent durant plusieurs jours à plusieurs semaines avant de reprendre leur route. C’est le cas du lac du Der en France et du parc national d’Hortobágy en Hongrie. Une partie des oiseaux hivernent également sur ces sites.

    En Hongrie, fin octobre 2023, près de 194 750 grues originaires de Finlande ont été recensées au lac d’Hortobágy. Ce site se trouve sur l’axe de migration centro-européen, ce qui n’est pas le cas de la Wallonie. Peu de temps après, les premières grues mortes ont été signalées et une contamination par une souche hautement pathogène du virus de la grippe aviaire, le H5N1 a été mise en évidence. L'épidémie s’est déclarée au pire moment, alors que de nombreux oiseaux étaient rassemblés sur le site, et a tué entre 20.000 à 30 000 grues.

    L’est de la Wallonie se trouve sur la voie de migration ouest-européenne. Bien que l’espèce ne niche pas en Wallonie, le survol de la région par des grues est fréquent et intense en période de migration. Les haltes migratoires ne concernent cependant que des groupes de quelques dizaines à tout au plus quelques centaines d’individus et sont de courte durée, ce qui est marginal par rapport à ce qui est observé en Allemagne, en France ou en Hongrie.

    C’est principalement sur des sites concernés par de fortes concentrations d’oiseaux que sévit le virus, passant rapidement d’un individu à l’autre. En Wallonie, du fait du faible nombre d’individus et du fait que les haltes ont lieu le plus souvent dans des prairies, où le risque de contamination par les autres espèces est moindre, le risque de contamination est réduit. La surveillance de l’impact du virus de la grippe aviaire sur la Grue cendrée est menée sur les sites majeurs de halte migratoire et d’hivernage, là où les enjeux sont considérables. La Wallonie n’héberge pas de tels sites.

    Néanmoins, comme pour d’autres espèces d’oiseaux, les grues cendrées entrent dans le cadre du plan de surveillance régional. Ce plan vise à détecter les cas de suspicion et, si un foyer est détecté, à mettre en place des mesures d'élimination des carcasses d'oiseaux, tout en prenant des mesures de biosécurité appropriées. Jusqu’ici, aucune grue cendrée n’a été notée comme potentiellement infectée en Wallonie.

    Une surveillance étroite des zones humides est nécessaire pour identifier un problème sanitaire le plus tôt possible. Le Département de la nature et de la forêt (DNF) du SPW-ARNE supervise une surveillance du virus et organise la collecte d’éventuelles carcasses et leur acheminement vers le Laboratoire national de référence (Sciensano). Deux types de surveillance ciblée sont mis en place en Wallonie :
    - le réseau des bagueurs de l'Institut royal des sciences naturelles de Belgique, sous convention avec le SPW-ARNE, organise une surveillance « active » en disposant des nasses de capture d’oiseaux dans certaines zones d’intérêt ornithologique en Wallonie ;
    - le Service de la santé et des pathologies de la faune sauvage de l'Université de Liège, également sous convention avec le SPW, assiste les Centres de revalidation des espèces animales vivant à l'état sauvage (CREAVES) dans l’identification des causes de maladies ou de mortalité des oiseaux entrés dans les centres.

    Complémentairement, pour le public, différents moyens de signalement des oiseaux sauvages malades ou morts ont été mis en place par le SPW-ARNE aux fins de disposer d’un système d’alerte précoce :
    - signalement par téléphone au numéro SOS environnement : 1718 en français ou 1719 en allemand ;
    - signalement au moyen d’un outil web disponible sur le portail biodiversité du SPW (http://observatoire.biodiversite.wallonie.be/enquetes/).

    De plus, des fiches d’action pour les autorités communales sont en cours d’élaboration et une sensibilisation des ornithologues aux mesures de biosécurité est également préparée par Natagora en collaboration avec le SPW-ARNE.

    Par ailleurs, des plans d'atténuation des risques (proactif) et d'intervention d'urgence (réactif) sont en cours d’élaboration pour la Région wallonne. Différentes mesures de lutte contre le virus et la propagation de la maladie y sont déclinées. Dans et autour des zones humides et des autres zones à forte présence d'oiseaux sauvages, une planification adaptée de la gestion et des accès, ainsi que des mesures de biosécurité adéquates peuvent réduire les risques de transmission de la maladie. Des niveaux élevés de protection des habitats des zones humides réduisent le risque de propagation d'IAHP, ce qui est probablement lié à la localisation des exploitations avicoles en dehors des zones sauvages et à l’attrait des oiseaux sauvages pour des habitats plus naturels. Il est donc souhaitable d’intensifier les efforts de conservation et d’améliorer la protection des habitats sauvages afin d’accroître la résilience des espèces face à la maladie. Il n’y a aucun avantage à tenter de lutter contre l’IAHP en abattant les oiseaux sauvages ou en détruisant leur habitat. La pulvérisation de désinfectants sur les oiseaux ou l'environnement est nocive, et inefficace du point de vue du contrôle des maladies.

    En cas de contamination avérée d’une grue cendrée par le virus H5N1, les autorités sanitaires des pays et régions voisins seraient prévenues, étant donné que la grippe aviaire est une maladie qui doit être notifiée à la Commission européenne. Des mesures plus spécifiques pour réduire la propagation de la maladie au sein des populations de grues cendrées n’apparaissent pas pertinentes sur notre territoire puisque les grues cendrées s’y arrêtent brièvement, en petits nombres et de façon aléatoire. Cependant, des mesures générales d'urgence pourraient être déclenchées en fonction des spécificités épidémiologiques locales et des espèces de l’avifaune présentes. Les mesures d'atténuation incluent par exemple des zonages comprenant des changements dans la gestion des sites pour minimiser les contacts avec les animaux domestiques et/ou avec les personnes et la suspension des sources de perturbation potentielle telles que certaines activités récréatives.

    La gestion efficace des épidémies d’IAHP nécessite une approche dite « One Health ». En effet, certaines souches virales de la grippe aviaire ont la capacité de se transmettre des oiseaux vers les mammifères, y compris l’humain, même si cela reste rare. À ce jour, des infections chez les renards et les putois sauvages ont été détectées en Belgique. Le risque de transmission à l’humain est évalué par un groupe d’experts (Risk Assessment Groupe - Veterinary - Emerging Zoonoses, RAG-V-EZ) se réunissant mensuellement et publiant des recommandations.