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L’avis du Conseil supérieur de la santé concernant le contact entre pairs dans les soins de santé mentale

  • Session : 2023-2024
  • Année : 2024
  • N° : 294 (2023-2024) 1

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  • Question écrite du 06/03/2024
    • de CRUCKE Jean-Luc
    • à MORREALE Christie, Ministre de l'Emploi, de la Formation, de la Santé, de l'Action sociale et de l'Economie sociale, de l'Egalité des chances et des Droits des femmes
    Le Conseil supérieur de la santé souligne l'importance d'intégrer de manière structurelle les contacts entre pairs dans les soins de santé mentale.

    Ces contacts permettent aux personnes souffrant de vulnérabilité mentale de trouver du soutien et de la reconnaissance auprès d'autres personnes ayant vécu des expériences similaires. Le partage d'expériences peut avoir un effet bénéfique sur le processus de rétablissement.

    Cependant, la valeur ajoutée de ces contacts est souvent sous-estimée dans les pratiques actuelles en matière de santé mentale, malgré les preuves des effets positifs tirées d'études et d'expériences de patients.

    Quelles initiatives la Wallonie envisage-t-elle de prendre pour intégrer de manière structurelle les contacts entre pairs dans les soins de santé mentale, conformément aux recommandations du Conseil supérieur de la santé ?

    Qu'en est-il en lien avec les autres entités fédérées et l'entité fédérale en la matière ?

    Quels sont les obstacles actuels à l'adoption généralisée des contacts entre pairs dans les pratiques de santé mentale en Wallonie ?

    Madame la Ministre peut-elle nous fournir des détails sur les études et les expériences de patients qui ont démontré les effets positifs des contacts entre pairs dans le processus de rétablissement en santé mentale, et comment ces résultats influenceront les politiques de santé mentale de la Wallonie ?

    Existe-t-il des programmes pilotes ou des initiatives spécifiques en cours dans la Région wallonne visant à promouvoir les contacts entre pairs dans les soins de santé mentale ?
    Si oui, quelles sont-elles et quelles sont leurs implications pour l'avenir de la politique de santé mentale régionale ?

    Comment son ministère compte-t-il sensibiliser les professionnels de la santé mentale et le grand public sur l'importance et les avantages des contacts entre pairs dans le processus de rétablissement en santé mentale, afin de favoriser une plus grande acceptation et adoption de cette approche dans la région ?
  • Réponse du 02/04/2024
    • de MORREALE Christie
    Parmi les initiatives de l’Autorité fédérale concernant la pair-aidance qui bénéficient à la Wallonie, nous pouvons citer :
    • le projet de Psychologues de première ligne : permet l’animation de groupes avec des pairs-aidants. Les bénéficiaires de ce projet sont les psychologues et des pairs-aidants ;
    • High & Intensive Care (HIC) : cette initiative prévoit l’engagement de pairs-aidants. Les bénéficiaires : les hôpitaux psychiatriques et les services de psychiatrie des hôpitaux généraux ;
    • trajets de soins internés : il s’agit d’un appel à projets qui finance l’engagement de pairs-aidants dans 10 équipes en Wallonie. Les bénéficiaires : 1 Hôpital psychiatrique, 4 IHP, 3 MSP disposant de lits spécifiques et 2 équipes mobiles.

    Dans la récente actualité, il appert que le Fédéral a également lancé un appel pour l’engagement de pairs-aidants dans des hôpitaux pour les usagers de drogues illicites.

    Les obstacles actuels à l'adoption généralisée des contacts entre pairs dans les pratiques de santé mentale en Wallonie sont notamment liés à l’engagement des pairs-aidants dans des équipes de santé mentale.

    Ces mêmes obstacles valent pour les autres secteurs dans lesquels des pairs-aidants sont engagés, notamment les assuétudes, la précarité, le logement, le travail de rue, et cetera. En effet, même si les équipes n’ont pas pour vocation première de travailler les questions de santé mentale, elles y sont très souvent confrontées.

    Des pairs-aidants y ont ainsi toute leur place.

    Des équipes de santé mentale ont souhaité engager des pairs-aidants avec un profil « addiction », car elles se trouvent démunies face à des personnes chez qui l’addiction prend le pas sur les questions de santé mentale et, sans action adéquate au niveau des addictions, il est impossible de traiter les questions de santé mentale.

    Un article scientifique (A systematic review of influences on implementation of peer support work for adults with mental health problems https://link.springer.com/article/10.1007/s00127-019-01739-1) identifie les obstacles majeurs. Cela est corroboré par les observations des acteurs de terrain comme l’ASBL SMES. Parmi ceux-ci, nous pouvons citer :
    • la culture de l’organisation ;
    • la formation des pairs-aidants ;
    • le rôle du pair-aidant ;
    • la volonté et capacité des équipes à travailler avec des pairs-aidants ;
    • la disponibilité des ressources internes ;
    • les financements ;
    • le bien-être des pairs-aidants ;
    • l’accès des pairs-aidants au réseau des pairs-aidants.

    Si l’honorable membre souhaite approfondir ces obstacles et en connaître l’exhaustivité, un document a été réalisé par le projet PAT en Wallonie en 2021.

    Par ailleurs, l’offre d’accompagnement et de formation du projet PAT (« Peer and team support ») permet de lever ces obstacles.

    Pour rappel, le projet « PAT » propose (https://smes.be/fr/support/peer-and-team-support-pat/ ) des formations à la pair-aidance à destination de toute personne intéressée par le sujet (pairs ou futurs pair-aidants, directions d’organisations, travailleuses ou travailleurs psycho-médico-sociaux…), et un accompagnement des organisations qui franchissent le pas : construction de la description de fonction, soutien à la réflexion sur le cadre de fonctionnement, supervision d’équipe ou du pair-aidant, et cetera, mais aussi des intervisions à destination des pair-aidants.

    Chaque intervention se décline « à la carte », en fonction des besoins des structures et des équipes demandeuses.

    Il existe une série d’études qui se sont penchées sur les apports de la pair-aidance. Une analyse réalisée par l’agence fédérale américaine SAMHSA (Substance Abuse and Mental Health Services Administration (SAMHSA) is the agency within the U.S. Department of Health and Human Services that leads public health efforts to advance the behavioral health of the nation). https://www.samhsa.gov/sites/default/files/programs_campaigns/brss_tacs/value-of-peers-2017.pdf) démontre la pertinence de la pair-aidance en santé mentale et dans le secteur des addictions. Celle-ci décrit en quoi la pair-aidance soutient le rétablissement et sa valeur ajoutée pour le système de santé. Des indicateurs sont d’ailleurs identifiés à ce propos.

    Aux USA, la pair-aidance est reconnue comme une pratique basée sur les faits par le « Center for Medicare and Medicaid Services » depuis 2007. À ce titre, les prestations des pairs-aidants peuvent être remboursées sous les programmes medicare.

    Il existe, également, le programme QualityRights de l’OMS qui promeut la qualité des soins, les droits humains et le rétablissement en santé mentale. Le programme propose des guides de bonnes pratiques pour les services communautaires. Un des modules est, d’ailleurs, consacré à la pair-aidance « One-to-one peer support by and for people with lived experience ». Celui-ci a été traduit en français par le projet PAT (https://qualityrights.org/resources/crpd-compliant-services-peer-support/) en Région wallonne en 2019.

    Le module met en avant l’impact positif de la pair-aidance et conclut que la pair-aidance est faisable, acceptable et bénéficie à toutes les parties. Je partage un passage très explicite de cela :

    « Pour les personnes en rétablissement, les avantages clés de la pair-aidance sont une meilleure utilisation des services d’accompagnement et de soins, une alliance thérapeutique renforcée, de l’empowerment, un développement personnel, l’espoir d’un rétablissement et une réduction des admissions à l’hôpital. En transformant leur histoire de la souffrance pour la transformer en un savoir et une ressource, les pairs-aidants en tirent également des avantages : meilleure estime de soi, de sentiment de sens dans leurs projets et leur vie, amélioration de leur bien être psychologique, inclusion sociale facilitée et acquisition de compétences dans les relations interpersonnelles et le milieu du travail. Pour les services d’accompagnement et de soin, le travail avec un pair-aidant améliore leur capacité à rencontrer les besoins des personnes en rétablissement à travers une relation renforcée. Pour le système de santé, la pair-aidance génère des réductions de coûts grâce à un nombre d’hospitalisations réduit et une diminution de la durée de celles-ci.

    À l’époque l’OMS observait que « même s’il est difficile d’évaluer de manière rigoureuse l’efficience de la pair-aidance, il existe un consensus assez large qui reconnaît que l’inclusion de personnes avec un savoir tiré de leur expérience de la souffrance et leur rétablissement est au moins aussi efficace - et sans doute plus - que les soins et l’accompagnement standards. La pair-aidance constitue un élément central dans la transformation des pratiques vers des pratiques orientées rétablissement. En conclusion, la pair-aidance a pu être envisagée par les personnes en rétablissement, les services et institutions et les pairs-aidants eux-mêmes. Il en ressort que la pair-aidance est faisable, acceptable et bénéficie à toutes les parties. ».

    Il existe, effectivement, des initiatives spécifiques en cours dans la Région wallonne. Les associations de patients, notamment, constituent un vecteur de contacts entre pairs.

    À titre d’exemples :
    - l’ASBL le Funambule (https://www.bipolarite.org/ ) organise des groupes de paroles et d’autosupport pour les personnes qui vivent avec le trouble bipolaire et aussi leurs proches. Elle propose une ligne d’écoute téléphonique. Par ailleurs, elle organise des ateliers d’autogestion (psychoéducation) qui sont animés par des pairs ;
    - l’hôpital le Chêne aux Haies forme l’entièreté de son personnel au rétablissement et à la pair-aidance ;
    - l’hôpital CNP Saint-Martin est leader d’un projet Erasmus TuTo3 (https://mentalnet.eu/projets-europeens/home/fr/accueil.html) sur la professionnalisation de la pair-aidance.

    Il est aussi important de mentionner que l’ASBL wallonne PAT est membre fondateur de la Fédération des Associations de Pair-Aidants Francophones (FAPAF) - https://fapaf.pat.support/ - qui comprend des associations de Belgique, Suisse, France et Canada.

    Concernant la sensibilisation des professionnels de la santé mentale ainsi que le grand public sur l'importance et les avantages des contacts entre pairs, il me paraît essentiel de partir de l’expérience de nos structures en la matière. Comme indiqué précédemment, d’excellentes initiatives ont vu le jour et peuvent enrichir ce travail de sensibilisation. Je souhaite valoriser leur travail et partir de leurs expériences.

    D’ailleurs, à ce sujet, l’ASBL SMES a formulé plusieurs recommandations auxquelles nous pourrions être attentifs à l’avenir.

    Ainsi, le développement de la pair-aidance nécessite des moyens à la fois humains, financiers et une attention de la part du politique, à tous les niveaux de pouvoir. Nous l’avons vu plus haut, un financement pérenne constitue l’une des clés.

    C’est pourquoi le SMES préconise de :
    • inclure la notion de rétablissement dans les textes législatifs des domaines de la santé et du social ;
    • modifier les textes légaux organisant l’agrément et le financement des services sociosanitaires afin d’y inclure la notion de pair-aidance, le rôle du ou de la pair-aidant et le financement pérenne de la fonction ;
    • s’assurer que toutes les équipes qui souhaitent engager des pair-aidants puissent bénéficier d’un accompagnement et de formations spécifiques.

    Les expériences en matière de pair-aidance professionnelle se multiplient tant dans le monde anglo-saxon, d’où cette pratique émerge, que dans d’autres pays européens. Il est donc intéressant de croiser les approches méthodologiques et d’échanger autour des outils/bonnes pratiques. Pour ce faire, côté francophone, la Fédération des associations de pair-aidants francophones (FAPAF) est née à l’initiative de travailleurs du projet PAT. Les échanges qui émergent des rencontres virtuelles entre acteurs belges, français, suisses et québécois permettent de réfléchir ensemble au devenir de la profession.

    Même si la formation n’est pas la seule porte d’entrée vers le métier de pair-aidant·e, il n’en reste pas moins qu’elle peut influer sur la reconnaissance de cette profession en devenir. En outre, pour certaines personnes intéressées par la pair-aidance mais qui n’ont aucune expérience antérieure dans les secteurs du social et du soin, cela peut rassurer voire légitimer.

    Ainsi, le SMES nous sensibilise à l’importance de :
    • développer une formation certifiante même si elle n’est pas le seul mode d’accès à la pair-aidance comme vu plus haut ;
    • soutenir le développement d’une formation continue pour les pair-aidants engagés ;
    • envisager l’exploration des opportunités que pourrait offrir la valorisation des acquis de l’expérience (VAE) ;
    • définir des valeurs, de la déontologie et l’identification des compétences mobilisées pour le développement d’une identité propre.

    Nous avons vu plus haut les freins à l’emploi qui peuvent dissuader les candidats potentiels, à savoir, la non-prise en compte de l’expérience professionnelle antérieure dans l’ancienneté et l’incertitude quant au maintien des droits de la personne (ex : incapacité ou invalidité, allocation de chômage). À ce sujet, le terrain attire notre attention sur :
    • l’acceptation des activités de pair-aidance à temps partiel tout en conservant ses indemnités en tout ou en partie ;
    • la reconnaissance des années d’expérience pour valoriser la fonction ;
    • l’application d’un barème a minima bachelor pour favoriser l’expertise.

    Ces recommandations méritent toute notre attention, si nous souhaitons intégrer au mieux la pair-aidance dans l’offre de soins. C’est pourquoi mon Cabinet analyse actuellement l’opportunité de soutenir financièrement l’action de l’ASBL SMES dans le but de travailler ensemble sur ces questions.

    De surcroît, j’aimerais souligner les avancées existantes déjà valorisées et que je continue, par ailleurs, à soutenir, en matière d’expertise du vécu. L’honorable membre pourra voir que celles-ci vont dans le sens des recommandations relatées plus haut.

    Ainsi, j’ai pris l’initiative de financer l’UMONS à travers son service de Pédagogie et d’Andragogie Sociales pour leur projet de formation « pair-aidance : santé mentale et précarités » qui a pour objet l’intégration de la pair-aidance dans les réseaux psycho-médico-sociaux en Wallonie. Un budget de 90 000 euros leur est alloué.

    Le Parlement wallon a adopté le Décret modifiant le Code wallon de l’Action sociale et de la Santé concernant la santé mentale et ses services actifs en Wallonie. Il entrera en vigueur à la date fixée par le Gouvernement, et au plus tard, le 1er juillet 2024. Le pair-aidant y est défini comme la personne qui est ou a été atteinte de difficultés psychosociales ou psychologiques ou de troubles psychiatriques et qui, sur la base de cette expérience et d'une formation spécifique destinée aux pairs-aidants en santé mentale ou assuétudes, fournit une aide dans le service.

    L’équipe d’un service de santé mentale peut s'adjoindre de la compétence d'un pair-aidant, si elle le souhaite.

    Le pair-aidant est alors engagé sous statut de volontaire (au sens de la loi du 3 juillet 2005 relative aux droits des volontaires).

    Le service de santé mentale dispense les soins de première ligne en partenariat durable notamment avec les pairs-aidants, dans le contexte de la famille et de la communauté locale.

    Ce décret mentionne donc explicitement le pair-aidant comme partenaire de la première ligne de soins.

    Un projet d’Arrêté du Gouvernent wallon modifiant le Code réglementaire wallon de l’action sociale et de la santé concernant la santé mentale et ses services actifs en Wallonie est actuellement soumis en 3e lecture.

    Aussi, il est important de mentionner que les associations de pair-aidants sont considérées comme des acteurs actifs dans le domaine de la santé mentale. À ce titre, elles peuvent être membres des plates-formes de concertation en santé mentale.

    La philosophie qui sous-tend ces 2 textes est la suivante : l’accompagnement et l’entraide par les pairs peuvent soutenir le processus de rétablissement de personnes qui connaissent des expériences psychiques et/ou sociales douloureuses. Le soutien des pairs-aidants peut permettre de vivre le mieux possible avec ses vulnérabilités, de développer ses ressources et potentiels.

    À ce jour, aucun service de santé mentale n’a engagé de pair-aidant vu que la réglementation ne le prévoyait pas. L’avenir nous dira si ces changements législatifs ont pu être appliqués sur le terrain et quels obstacles ou facilitateurs peuvent être soulignés et améliorés.

    Enfin, je souhaiterais rappeler que, dans le cadre de son contrat de gestion 2024-2029, l’Agence pour une vie de qualité ambitionne d’impliquer les citoyens dans les projets qui impactent leur vie.

    Ainsi, l’AViQ étudie la possibilité de recourir à des experts du vécu dans l’exercice de ses missions. Comme il le sait désormais, les experts du vécu ont une expérience de la pauvreté, de l’exclusion sociale, ou des soins de santé, et en les intégrant dans des services publics, ils contribuent à l’amélioration de l’accès aux droits des citoyens.

    De manière plus large, cette action s’inscrit dans un projet visant la mise en place d’un Living lab, qui regrouperait des acteurs publics, privés, des entreprises, des associations, des acteurs individuels, dans l’objectif de tester « grandeur nature » des services, des outils ou des usages nouveaux. L’objectif étant de partir de leur vécu pour améliorer toujours plus le fonctionnement de nos structures et améliorer la qualité de vie de la population.

    Des échanges sont d’ailleurs en cours au sein de l’AViQ pour déterminer la bonne mise en œuvre de ce projet.

    Ainsi, il peut constater que les questions liées à la pair-aidance ainsi qu’à l’expertise du vécu font partie intégrante de mes préoccupations. J’y vois, en effet, du sens pour nos équipes de soins. De ce fait, il va sans dire que je ne manquerai pas de prendre des mesures visant à soutenir ce changement de paradigme dans le cadre de mon mandat.