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La responsabilité pénale des élus.

  • Session : 2006-2007
  • Année : 2007
  • N° : 219 (2006-2007) 1

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  • Question écrite du 12/07/2007
    • de FOURNY Dimitri
    • à COURARD Philippe, Ministre des Affaires intérieures et de la Fonction publique


    Le tribunal correctionnel de Bruges a récemment confirmé, en appel, que le bourgmestre de Damme était responsable d'un accident mortel qui s'était produit sur le territoire de sa commune. Le bourgmestre a écopé, en tant que gestionnaire de la voirie, de 3 mois de prison avec sursis et de 1.100 euros d'amende, dont la moitié avec sursis, pour défaut de prévoyance. Sa responsabilité est ainsi engagée car l’éclairage au carrefour était insuffisant.

    Cet arrêt a suscité de nombreuses réactions au regard du caractère pour le moins préjudiciable qu’il risque d’engendrer et a relancé le débat sur la responsabilité des élus pour coups et blessures, voire homicide, par imprudence (articles 418 à 420 du code pénal).

    Cet arrêt risque de surcroît de décourager des futurs élus à s’engager dans la vie politique. Ainsi une négligence bénigne peut mener à une condamnation pénale. Cette sanction est un danger pour la démocratie locale.

    Tout élu local, lorsqu’il dirige sa commune, peut être confronté à des situations qui impliquent sa responsabilité tant civile que pénale, alors qu’il n’a commis qu’une faute dénuée de toute malveillance.
    Ainsi, un bourgmestre peut voir sa responsabilité pénale engagée lorsqu’un cycliste a un accident sur le territoire de la commune.

    Notre droit pénal connaît toujours l’unité de la faute civile et de la faute pénale pour les infractions de coups et blessures involontaires ou l’homicide involontaire.

    Par ce principe, une victime ne peut être dédommagée au civil que si la personne reconnue responsable au civil l’est également au pénal.

    Cette unité entre les responsabilités civile et pénale engendre des effets pervers.

    En effet, l’on constate qu’une victime privilégie la voie pénale pour réparer son dommage afin, notamment, de décharger l’instruction de sa demande sur le Ministre public.

    Vu l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, le juge pénal sera plus enclin de condamner pénalement le responsable afin que la victime puisse obtenir réparation au civil.

    De nombreux auteurs ont critiqué ce principe. Des propositions de lois ont été déposées au niveau fédéral mais n’ont pas encore abouties.

    L’UVCW, elle-même, réclame le découplement entre la faute civile et la faute. En effet, par ce biais, on mettrait automatiquement fin à toutes les condamnations pour faute légère dans le seul but d’obtenir une réparation civile à la victime.

    La responsabilité pénale ne sera ainsi engagée que pour des situations caractérisées par la gravité de la faute. Et, quant à la victime, elle obtiendrait de toute façon l’indemnisation.

    L’exigence de dualité entre la faute civile et la faute pénale est loin d’être absurde, de nombreux pays telle la France l’ont adoptée.

    L’élu serait ainsi soulagé du poids d’une sanction pénale souvent injuste. La stigmatisation pénale de l’homme public constitue une sanction à part entière.

    Bien que Monsieur le Ministre ne soit pas compétent en cette matière, l’incidence de cette règle sur les élus locaux mérite toute son attention.

    A-t-il communiqué avec ses Collègues fédéraux de l’ineptie de cette règle ?

    Le Gouvernement envisage-t-il de saisir le Comité de concertation afin de résoudre ce problème ?
  • Réponse du 18/07/2007
    • de COURARD Philippe

    La question posée par l’honorable Membre retient toute mon attention et est d’une actualité bien réelle.

    Le mandataire local peut voir sa responsabilité engagée dans de nombreux cas, soit à la suite d'une infraction intentionnelle comme le faux en écritures publiques, soit à la suite d'une infraction non intentionnelle. Dans ce dernier cas, le mandataire voit sa responsabilité engagée en cas de simple défaut de prévoyance ou de précaution (homme normalement prudent et diligent).

    De tous les mandataires locaux, le bourgmestre est le plus exposé à des poursuites pénales. Cela résulte notamment des nouvelles compétences que les différents législateurs ne cessent de lui confier.

    Le législateur a pris conscience du sort réservé aux bourgmestres, échevins et députés provinciaux en adoptant la loi du 4 mai 1999 relative à la responsabilité civile et pénale des bourgmestres, échevins et membres de la députation permanente.

    Cette loi crée en effet des mécanismes de garantie :

    - le premier consiste dans l’intervention volontaire ou forcée de l’Etat, de la province ou de la commune devant le juge répressif lorsque le député provincial, le bourgmestre ou l’échevin est mis en cause ;
    - la commune est civilement responsable du paiement des amendes ;
    - la commune est tenue de contracter une assurance visant à couvrir la responsabilité civile du bourgmestre.

    Mais, l’actualité nous prouve fréquemment que la responsabilité de l’élu est importante et parfois mal appréhendée.

    J’ai donc mis en place un groupe de travail au sein de mon cabinet afin d’explorer différentes pistes de réflexion en vue d’améliorer la protection de l’élu. Y ont participé:

    - un représentant du Cabinet du Ministre des Affaires intérieures et de la Fonction publique ;
    - un représentant de la Direction générale des Pouvoirs locaux ;
    - un représentant de l'Union des villes et communes de Wallonie ;
    - un représentant de la Direction générale de l'Action sociale et de la Santé ;
    - un représentant du monde des assurances (Ethias) ;
    - un représentant du Cabinet de la Ministre de la Justice.

    Les pistes suivantes ont été abordées :

    - inclure les communes dans le champ de la responsabilité pénale des personnes morales instaurée par la loi du 4 mai 1999. Mais cette proposition est difficile à concrétiser pour les raisons suivantes :

    * elle relève de la compétence fédérale et pose clairement la question de la responsabilité pénale des personnes morales de droit public ;
    * le bourgmestre peut toujours être poursuivi pour des infractions non intentionnelles ;
    * il est difficile d’appliquer des sanctions pénales à une commune ;

    - intégrer les bourgmestres, échevins et députés dans le champ d’application de la loi du 10 février 2003 relative à la responsabilité des et pour les membres du personnel au service des personnes publiques, ce qui permettrait de les exonérer de la faute légère à tout le moins pour leurs missions déconcentrées. Mais il s’agit là aussi d’une compétence fédérale ;

    - décharger le bourgmestre de ses compétences en matière de police administrative générale comme c’est déjà le cas pour la police des spectacles qui, en vertu de l’article 130 NLC, incombe au collège ;

    - désolidariser la faute civile de la faute pénale. Cette désolidarisation est, comme l’a rappelé l’honorable Membre, souhaitée par l'Union des villes et communes de Wallonie. Pour rappel, la théorie de l'unité des fautes civile et pénale est une construction jurisprudentielle remontant à un arrêt de la Cour de Cassation du 17 juillet 1884. La jurisprudence estime que la faute pénale des articles 418-420 du Code pénal (homicide involontaire ou lésions corporelles involontaires) est identique à la faute civile de l'article 1382 du Code civil.

    Au pénal comme au civil, on est responsable de sa faute légère, c'est-à-dire du comportement que n'aurait pas adopté l'homme honnête, prudent et diligent placé dans les mêmes circonstances. Ainsi, si le juge pénal acquitte un individu, il prive la victime d'une réparation civile. Dès lors, le juge pénal sanctionne pénalement afin d'offrir une possibilité de réparation à la victime.

    La dualité des fautes pénale et civile permettrait au mandataire local de ne répondre au pénal que de sa faute caractérisée et non plus de sa faute légère. L'option de la dualité des fautes implique une modification du Code civil et du Code pénal. Une telle modification est de compétence fédérale.

    Enfin, prévoir une meilleure couverture d’assurance à l’instar de ce que la Flandre a prévu dans son arrêté du 19 janvier 2007.

    L'arrêté du Gouvernement flamand du 19 janvier 2007 portant statut du mandataire prévoit notamment que :

    - l'assurance souscrite par la commune ou la province en garantie de la responsabilité civile doit comprendre un volet de type assistance en justice – défense civile et pénale ;
    - le coût des primes afférentes à l'assurance en garantie de la responsabilité civile est supporté par un crédit obligatoire inscrit, selon le cas, au budget communal ou provincial ;

    Les conclusions de ce groupe de travail ont été présentées au Gouvernement wallon lors de sa séance du 5 juillet dernier. Le Gouvernement a décidé de charger un groupe de travail intercabinets associant des consultants juridiques d’examiner ce dossier.

    Quant à la saisine du Comité de concertation, l’honorable Membre comprendra aisément que le Gouvernement wallon se positionnera en fonction des conclusions du groupe de travail intercabinets.