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Distribution d'imprimés sur la voie publique.

  • Session : 2008-2009
  • Année : 2008
  • N° : 14 (2008-2009) 1

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  • Question écrite du 16/10/2008
    • de TILLIEUX Eliane
    • à COURARD Philippe, Ministre des Affaires intérieures et de la Fonction publique

    Récemment, les autorités communales de Namur ont interdit à une personne de distribuer des tracts sur la voie publique, arguant qu'une telle distribution est soumise à autorisation communale.

    Le Règlement particulier de police concernant la propreté sur la voie publique, adopté par le Conseil communal de Namur le 17 novembre 1999, stipule notamment, dans son article 24 relatif à la distribution de tracts sur la voie publique, que " Toute distribution à la volée est interdite ".

    La personne à qui les autorités communales de Namur ont Interdit de distribuer des tracts s'est même vu indiquer qu'en l'absence d'autorisation communale « et sans préjuger du contenu du tract », il ne lui est " pas permis de distribuer ce document sur la voie publique. Les services communaux compétents dont la police vielleront à ce qu'iI en soit ainsi ".

    Dans de nombreuses communes wallonnes, le Règlement particulier de police concernant la propreté sur la voie publique inclut une disposition similaire, soumettant la distribution d'imprimés à autorisation communale.

    Pourtant, le 29 octobre 1973, la Cour de Cassation rendait un arrêt stipulant précisément que « la distribution ou la mise en vente sur la voie publique pouvant être, en certains lieux ou à certains moments, de nature à entraver la circulation, à nuire à la propreté des rues, voire à provoquer des encombrements, un règlement communal qui, aux seules fins d'éviter ces effets, subordonne la distribution ou la mise en vente d'imprimés à une autorisation préalable de l'autorité communale n'est pas contraire à la Constitution ".

    La subordination d'une telle distribution à une autorisation communale préalable ne peut donc être envisagée qu'aux seules fins énoncées dans l'arrêt de la Cour de Cassation.

    Le 18 mai 1999, la section d'administration du Conseil d'Etat rendait quant à elle un arrêt annulant les alinéas 1er, 2 et 3 de l'article 34.1. du Règlement de police adopté par la ville d'Anvers le 12 février 1990. Ces alinéas édictaient notamment ce qui suit: " Sauf accord écrit et préalable du bourgmestre, il est interdit de distribuer quelques écrits, imprimés, pamphlets et objets que ce soient sur la voie publique. L'accord doit être demandé au moins quatorze jours avant la distribution projetée. Pour toutes les distributions non commerciales, il suffit d'envoyer une communication écrite au bourgmestre un jour à l'avance. ".

    Dans son arrêt, le Conseil d'Etat considère " qu'en ce qui concerne les distributions non commerciales, il s'impose également de considérer l'obligation de communication instaurée comme une mesure préventive Illicite " et que « le moyen à mettre en œuvre auquel il est fait allusion, à savoir permettre à la police d'exercer un contrôle préventif sur la distribution, ouvre la voie à I'intimidation ».


    Dans la mesure où aujourd'hui encore, de nombreuses communes subordonnent la distribution d'imprimés à une autorisation communale et où, comme dans le cas évoqué en début de question, la réglementation relative à une telle distribution peut donner lieu à des abus et notamment ouvrir la voie à l'intimidation, puis-je demander à Monsieur le Ministre comment il interprète cette situation? Une information des communes wallonnes de l'existence et du contenu des arrêts du Conseil d'Etat et de la Cour de Cassation serait-elle, selon lui, opportune ? Ne faudrait-il pas que les communes, conformément à l'arrêt de la Cour de Cassation qui, pour rappel, fait jurisprudence, inscrivent dans leur Règlement particulier de police concernant la propreté sur la voie publique une disposition claire selon laquelle la distribution ou la mise en vente d'imprimés peut être subordonnée à une autorisation préalable de l'autorité communale aux seules fins d'éviter, en certains lieux ou à certains moments, d'entraver la circulation, de nuire à la propreté des rues, voire de provoquer des encombrements ?
  • Réponse du 08/01/2009
    • de COURARD Philippe

    La question posée par l'honorable Membre a retenu ma meilleure attention.

    Je souhaite d'emblée préciser que la réponse que j'apporterai à la question de l'honorable Membre sur la distribution d'imprimés sur la voie publique se voudra générale et sans référence à ce qui s'est passé à Namur et qu'elle rappelle en appui de sa question.

    Comme l'honorable Membre, j'ai pris connaissance des arrêts de la Cour de Cassation et du Conseil d'Etat, mais j'estime que l'enseignement tiré de ceux-ci n'est peut-être pas si conciliable qu'il y paraît.

    Ainsi, selon la Cour de Cassation, subordonner la distribution ou la mise en vente d'imprimés à une autorisation préalable de l'autorité communale n'est pas contraire à la Constitution si cela vise à éviter qu'en certains lieux ou à certains moments, la distribution ou la mise en vente d'imprimés soient de nature à entraver la circulation, à nuire à la propreté des rues voire à provoquer des encombrements.

    Pour le Conseil d'Etat, les mesures préventives, c'est-à-dire les mesures qui imposent certaines conditions ou formalités auxquelles il faut satisfaire avant de pouvoir exercer effectivement le droit concerné, ne peuvent être imposées pour l'exercice des libertés d'expression et de la presse; on peut cependant assortir l'exercice de ces libertés garanties par la Constitution de certaines conditions, dans la mesure où celles-ci n'ont pas de caractère préventif.

    Il serait dès lors intéressant d'informer ou de rappeler le contenu desdits arrêts aux communes.

    La question posée met donc en avant la délicate cohabitation des concepts fondamentaux que sont l'Etat de droit et la liberté de manifester ses opinions en toutes matières, mais dans les limites imposées par la Constitution, d'une part, et le respect et le maintien de l'ordre public dont le Bourgmestre est le garant, d'autre part.

    Le règlement général de police devrait idéalement concilier ces deux éléments.

    Pour satisfaire à la jurisprudence du Conseil d'Etat, il me paraît plus prudent de ne pas soumettre à autorisation préalable la distribution de tracts, mais de faire apparaître dans le règlement communal des dispositions relatives à la manière dont la distribution s'organisera, a savoir:

    - distribution de la main à la main et non à la volée;
    - interdiction d'accoster, de suivre ou d'importuner les passants ou d'entraver la circulation;
    - faire apparaître sur le tract la mention "ne peut être jeté sur la voie publique" ;
    - rappeler que la distribution d'imprimés ne peut porter atteinte à l'ordre, la propreté et la sécurité publiques;
    - interdire l'apposition de feuillets imprimés sur les véhicules (la Commune peut, à juste titre, argumenter que le fait de placer des publicités entre le pare-brise et l'essuie-glace des véhicules peut mener à un état incontrôlable de malpropreté des rues).

    Ces obligations ne sauraient être qualifiées de préventives, étant donné qu'elles ne peuvent être constatées qu'au moment de la diffusion même des tracts. Il me paraît également prudent de rappeler dans le règlement communal que l'exercice de ce droit est garanti, sauf la répression des délits commis à l'occasion de l'usage de ces libertés, règle inscrite à l'article 19 de la Constitution.

    Enfin, je confirme à l'honorable Membre qu'aucune forme d'intimidation ne pourrait, dans l'absolu, justifier une entrave préventive à l'exercice normal d'un droit constitutionnel. Cependant, ce qui pourrait être ressenti comme une intimidation peut aussi s'expliquer comme une démarche prudente de la part du bourgmestre.

    En effet, dans certains cas d'espèce, la démarche du Bourgmestre peut avoir pour but d'éviter le risque de sanction à l'intéressé, risque inscrit à l'article 19 de la Constitution qui, après avoir rappelé le principe inconditionnel de la "liberté de manifester ses opinions en toute matière", précise " sauf la répression des délits commis à l'occasion de l'usage de ces libertés". En d'autres termes, si chaque Belge se voit garantir le droit de manifester ses opinions en toute matière, l'exercice de ce droit constitutionnel n'est plus garanti lorsqu'à l'occasion de l'usage de ce droit, des délits sont commis.