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Un fédéralisme asymétrique

  • Session : 2010-2011
  • Année : 2011
  • N° : 140 (2010-2011) 1

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  • Question écrite du 26/04/2011
    • de CRUCKE Jean-Luc
    • à DEMOTTE Rudy, Ministre-Président du Gouvernement wallon

    Dans la Libre Belgique du 29 mars, le professeur de droit constitutionnel Delpérée plaide la mise en place d'un fédéralisme asymétrique qui permettrait à la Flandre de gérer de manière autonome de nouvelles compétences, tandis que la Wallonie et Bruxelles garderaient ces mêmes compétences dans le giron fédéral.

    Monsieur le Ministre-Président a-t-il pris connaissance de la théorie du professeur Delpérée ? Que pense-t-il de cette proposition ? Considère-t-il qu'elle est d'un intérêt quelconque pour la Wallonie et que nous pourrions travailler dans un pays aux compétences variables dans le cadre des entités fédérées ?

    Le gouvernement est-il disposé à suivre la note Delpérée ? Monsieur le Ministre-Président en a-t-il discuté ou entend-il le faire ?
  • Réponse du 04/05/2011
    • de DEMOTTE Rudy

    Il n'est pas dans mes intentions de commenter tous les projets, tous les modèles et toutes les architectures institutionnelles que des acteurs ou des observateurs formulent dans la presse.

    Toutefois, comme l'honorable membre, je les lis et je me réjouis même souvent du fait que ces sorties coïncident généralement avec un temps de pause dans une actualité humainement plus dramatique.

    Mais, comme ministre-président, je n'ai pas à prendre position face à chacune de ces opinions versées au débat, un débat démocratique auquel chaque citoyen est en droit de contribuer.

    Très brièvement, et sans porter le moindre jugement, si tous les modèles sont concevables, celui que l'honorable membre évoque trouve généralement son application naturelle à des états intégrant en leur sein des composantes atypiques.

    Atypiques pour des raisons diverses:
    - les Iles Féroé, il faut reconnaître que ce n'est pas tout à fait comme le Danemark;
    - les populations autochtones du Canada, il est logique qu'on ne les fonde pas dans le même moule que le reste des Canadiens;
    - sans aller jusque là, au Canada toujours, la spécificité francophone que constitue le Québec dans un univers anglophone, induit un traitement particulier;
    - plus près de nous, au Royaume-Uni comme en Espagne, les composantes dotées d'une identité et d'une conscience nationale affirmée disposent d'une autonomie plus forte que celles s'inscrivant davantage dans une logique d'Etat nation. L'Ecosse n'est pas le Pays de Galles, la Catalogne n'est pas l'Aragon;
    - et en France, dans un Etat unitaire, ce sont les DOM-TOM qui imposent leur différence. Effectivement, Mayotte, ce n'est pas exactement la Picardie.


    Deux choses sont donc à la base de ces modèles : Une «différence» objective, géographique ou humaine mais qui se manifeste aussi, généralement, dans le cadre d'un Etat constitué de composantes multiples.

    Est-ce le cas en Belgique?

    Sûrement pas pour les composantes multiples: au maximum, on pourrait arriver à quatre.

    En ce qui concerne la différence objective entre les entités, on nous dira que la Flandre a une conscience nationale plus profonde que les autres régions qui raisonnent toujours davantage dans le cadre belge. C'est un fait.

    Mais est-ce à ce point marquant qu'il faille concevoir pour y répondre des statuts fédérés différents? C'est peut-être aller loin et affirmer cela, n'est-ce pas conclure un peu vite que la Wallonie n'a pas d'identité, pas de conscience collective ?

    Personnellement, je ne le pense pas et j'ajouterais que je ne le souhaite pas car il y a un lien trop fort entre la conscience collective, la confiance collective et le projet collectif. Un projet qui s'incarne aussi à travers des structures politiques, économiques et sociales correspondantes; cela vaut pour la Wallonie et pour Bruxelles.

    Bruxelles dont nous ne cessons de répéter qu'elle doit être considérée comme une région à part entière et qu'un tel modèle déclasse, finalement, en la ramenant à un élément diffus de la « non-Flandre ».

    Au-delà de ces éléments, toujours sans porter de jugement, il y a quelque chose qui me dérange un peu dans cette construction et, surtout, dans la conception qui la sous-tend.

    Il s'agit du fait qu'on laisse entendre que l'autonomie serait bonne pour la Flandre, capable de prendre ses responsabilités. Une Flandre qui ferait mieux ce qu'elle fait seule.

    Et qu'à côté de cela, il y a d'autres composantes qui sont « mieux comme elles sont », quand une instance supérieure ou tutélaire décide pour elles. Là encore, le message est négatif et il est injuste :
    - car il ignore le succès du port de Liège, troisième port intérieur européen, courtisé par Anvers comme par Rotterdam;
    - il ne salue pas à l'essor impressionnant de nos aéroports régionaux;
    - il ne rend pas hommage au travail remarquable des acteurs économiques et de la recherche qui font vivre nos pôles de compétitivité;
    - et il ne reconnaît pas l'action de nos opérateurs internationaux qui ont remis nos exportations sur la voie d'une croissance accélérée et ont refait de la Wallonie une région vraiment attractive.


    Et tous nos partis y ont contribué depuis dix ans.

    Rien de tout cela dans le montage que l'honorable membre évoque. Plutôt l'inverse, le cliché selon lequel tout allait mieux du temps de l'Etat unitaire.

    Un cliché dont chacun, ici, sait combien il est sans fondement – je propose de relire le professeur Quévit - et, surtout, combien il peut nuire à la mobilisation des Wallons.

    Fallait-il entendre que les Flamands - qui se seraient retirés du fédéral pour un certain nombre de matières - continuent de cogérer celles-ci pour la Wallonie et Bruxelles? Il semble que non.

    Ce ne serait que les ministres et les députés fédéraux francophones et, là, cela rappelle des souvenirs.

    Cela nous ramène à avant 1980, avant la naissance effective des régions, lorsque des organes régionaux avaient été créés, à titre provisoire, au sein même du Gouvernement national.

    C'était le temps de la gestation, les embryons régionaux étaient localisés dans le placenta ou dans la poche marsupiale du national.

    La Wallonie a fêté ses 30 ans l'année dernière.

    Bien sûr, la Wallonie et Bruxelles n'ont pas envie de quitter la maison Belgique mais elles n'ont pas, pour autant, envie de regagner le sein national.

    Il y a en Wallonie et à Bruxelles des institutions fédérées adultes et responsables qui ont fait la preuve de leur efficacité; majorité et opposition peuvent en témoigner.

    Ces entités, ce sont les régions et la communauté qui gèrent leurs compétences spécifiques et qui collaborent partout où cela s'avère mutuellement profitable, tantôt via l'institution commune, tantôt sur une base bi-régionale.

    Je ne vois pas vraiment pourquoi il faudrait créer un troisième type de compétences pseudo-fédérées, gérées par d'autres élus, dans d'autres enceintes.

    Nos efforts ont visé à donner plus de cohérence et de transversalité à nos stratégies, en veillant à composer plus largement les instances communautaires communes - parlement et gouvernement - à partir de députés ou de ministres régionaux.

    Créer une nouvelle catégorie de représentants «fédéraux-fédérés» ne me semble pas forcément aller dans le sens d'une cohérence accrue, ni d'une visibilité accrue, ni donc d'une responsabilité ou d'un contrôle démocratique accru.

    La Wallonie ne craint pas d'assumer de nouvelles compétences, justement financées et dans le cadre d'une solidarité globale.

    Nous souhaitons que ces compétences prennent le chemin des régions, afin de renforcer le pôle de développement qu'elles constituent et d'affirmer Bruxelles dans son statut de région à part entière.

    Sur cette base, il nous appartiendra de développer les meilleures synergies pour gérer le plus efficacement l'ensemble de nos matières, au bénéfice de nos concitoyens.

    Nous ne sommes pas, moins que d'autres, capables d'assumer nos responsabilités.

    Je préférerai toujours me préparer à construire mon avenir dans le dynamisme, plutôt que de chercher refuge dans le passé et un ersatz de statu quo; simplement, parce que je crois en la Wallonie et dans la capacité de ses citoyens à forger leur destin.