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"les régions ont de la marge"

  • Session : 2010-2011
  • Année : 2011
  • N° : 639 (2010-2011) 1

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  • Question écrite du 26/04/2011
    • de STOFFELS Edmund
    • à ANTOINE André, Ministre du Budget, des Finances, de l'Emploi, de la Formation et des Sports

    Dans une communication dans la presse, on peut lire que le professeur d’économie Robert Deschamps mesure le degré d’autonomie fiscale des entités fédérées. Cette question n’est pas sans intérêt.

    Les partis flamands pensent que les entités fédérées ne sont « pas assez responsabilisées, précisément faute d’autonomie fiscale suffisante ».

    Les Régions sont pourtant responsables pour les droits de succession, droits d’enregistrement sur les donations, et disposent d’une marge d’autonomie sur l’impôt des personnes physiques (IPP). « La réforme de l’État de 2001 leur a, en effet, donné la possibilité de diminuer ou d’augmenter de 6,75 % la feuille d’impôt des contribuables domiciliés sur leur territoire. ».

    Les Régions disposent donc d’une autonomie fiscale à ne pas sous estimer – selon le professeur d’économie. La Région wallonne perçoit « 2,2 milliards d’impôts propres et dispose d’une marge d’autonomie fiscale sur l’IPP de 682 millions d’euros. En tenant compte des 50 millions dont elle s’est privée en supprimant la redevance sur les radios et la taxe « débit de boisson », on arrive à un montant 2,9 milliards ».

    C’est plus ou moins le montant de la dotation que le fédéral accorde à la Région. Le degré d’autonomie fiscale de la Région wallonne est donc - selon M. Deschamps - de 50 %.

    Quelle est l'analyse de Monsieur le Ministre de la question ? Disposons-nous d’une autonomie fiscale suffisante ou devrons-nous l’étendre, comme le demandent les partis flamands ?

    Et dans quelle mesure est-ce que nous utilisons nos marges pour relancer l’économie et l’emploi au niveau de la Région wallonn ? Une évaluation des politiques fiscales sous l’angle de vue de leur efficacité par rapport à la relance économique et au soutien de l’emploi est-elle prévue ?
  • Réponse du 04/07/2011
    • de ANTOINE André

    Les chiffres que l'honorable membre cite proviennent d'une publication du professeur Deschamps, intitulée «Les Régions disposent d'une large autonomie fiscale - Inventaire des compétences et estimations chiffrées ».

    Cette publication fait partie de la série « Politique Economique» (n°52) des Facultés Universitaires Notre-Dame de la Paix à Namur. J'en profite pour rappeler que ces publications, qui ont pour but de « nourrir la réflexion des autorités publiques, des milieux socio-économiques et des citoyens sur les réalités économiques de nos régions et sur les enjeux d'une recomposition du paysage institutionnel belge », sont disponibles gratuitement sur le site internet des facultés.

    Comment le Professeur Deschamps mesure-t-il le degré d'autonomie fiscale des entités fédérées ?

    Le CERPE fait tout d'abord l'inventaire des compétences fiscales des Régions. Ils distinguent (1) les impôts régionaux énumérés par la Loi spéciale du 13 juillet 2001, les (2) taxes spécifiques à chaque région et (3) les marges d'autonomie permises par les régions par rapport au produit de l'IPP. Pour rappel, ces marges sur l'IPP sont de 3,25% jusqu'au 31 décembre 2003 et 6,75% à partir du 1er janvier 2004. Les régions sont donc autorisées à instaurer des centimes additionnels proportionnels généraux, et des réductions d'impôt générales, forfaitaires ou proportionnelles, différenciés ou non par tranche d'impôt et à mettre en œuvre des réductions et des augmentations générales d'impôt. Ces marges portent sur le produit de l'IPP fédéral localisé dans chaque région.

    L'objectif du CERPE est de comparer (4) le montant de recettes sur lesquelles la région dispose d'une autonomie fiscale au (5) montant de recettes totales de celle-ci.

    Le (4) est appelé le pouvoir fiscal de la région. Ce montant se compose bien évidemment des éléments (1) (2) et (3) identifiés ci-dessus, mais il importe également de tenir compte des modifications de législation intervenues depuis la régionalisation des compétences fiscales: le CERPE prend en compte une recette fictive pour la taxe sur les débits de boissons (1) et un surplus de taxe pour compenser la diminution de la taxe redevance radio et télévision (2). Le pouvoir fiscal de la Région wallonne est estimé à 2.990 M euros en 2010.

    Ce montant est ensuite rapporté à l'ensemble des recettes de la Région wallonne. Les résultats sont présentés au tableau 1. En 2010, l'autonomie fiscale de la Région wallonne est donc estimée à environ 49%.

    Tableau 1 : Calcul du degré d'autonomie fiscale (milliers euros)


    2010 ajusté

    Impôts régionaux 2.186.736
    Impôts autonomies 66.460
    RRTV fictive 50.381
    Taxe débit boissons fictive 3.474
    Marges d'autonomie fiscale IPP 682.450
    Total (1) 2.989.502

    Recettes en provenance du Fédéral 3.543 174
    Total des recettes hors tsf CF (2) 6.064.663
    Total des recettes incluant tsf CF (3) 6.502.995

    Autonomie hors tsf CF (1) 1 (2) 49,29%
    Autonomie incluant tsf CF (1) / (3) 45,97%

    Sources: Cahiers du CERPE n°52 – 2011/01



    Ce même calcul est réalisé par le CERPE pour l'entité francophone Région wallonne et Communauté française. La communauté n'ayant pas de compétence fiscale, le pouvoir fiscal des deux entités est identique. Le total des recettes perçues est d'environ 14 milliards d'euros, ce qui permet d'estimer le ratio d'autonomie fiscale des deux entités francophones prise conjointement à +- 21%.

    Cette même différence se retrouve bien entendu au sein de l'entité «Communauté flamande », ou l'on passe d'un ratio de 62% à un ratio de 29% si l'on tient compte des compétences communautaires de la Communauté flamande.



    Pour répondre à la question sur l'analyse de cette situation, plusieurs points me semblent devoir être avancés.

    Au préalable, il faut remarquer que c'est bien souvent uniquement sur base de ce dernier résultat (ratio de la Communauté flamande prise dans sa globalité) que l'on se base au nord du pays pour fustiger le manque d'autonomie; ceci ne reflète donc que partiellement la situation.

    En outre, il se fait que, comme l'honorable membre le mentionne, on argumente souvent que les entités fédérées ne sont pas assez responsabilisées, précisément faute d'autonomie fiscale. Si ces deux caractéristiques sont liées (3), la responsabilisation d'une entité n'est pas qu'une question d'autonomie fiscale. Il est tout à fait possible d'avoir un système de financement qui relève à 100% de la responsabilité des entités fédérées, sans pour autant que celles-ci aient une quelconque compétence fiscale. Par exemple, un système de dotations versées par le fédéral aux entités fédérées, sans autonomie fiscale, et dont les montants seraient calculés uniquement sur base d'indicateurs régionaux, serait un système tout à fait responsabilisant.

    Enfin, ce qui est certainement le plus important est de regarder dans quelle mesure les compétences fiscales ont été utilisées par les régions. A ce jour, notamment sur l'IPP, les modifications ont été minimes.

    Sur base de ces éléments, il me semble que la question de l'élargissement de l'autonomie fiscale ressort plutôt de l'ordre du symbolique que d'une réelle nécessité.

    Ce qui est sûr, c'est que si dans le cadre des négociations institutionnelles en cours, il s’avérerait indispensable d'accéder à cette demande flamande, il importera impérativement de veiller à ce que cela n'entraîne pas de risque de concurrence fiscale.

    Concernant l'utilisation des marges fiscales pour relancer l'emploi, le choix des Gouvernements wallons successifs a plutôt été de privilégier l'octroi de subventions directes. Une évaluation sur le lien entre politique fiscale et emploi n'est pas prévue à ce jour. Ce type d'analyse ayant pour but d'isoler l'impact d'une mesure fiscale sur la croissance économique est particulièrement difficile à mettre en œuvre et nécessiterait certainement l'appui des milieux académiques.



    (1) Taxe mise à zéro à partir du 1er janvier 2007.
    (2) Suppression de la redevance sur les radios à partir du 1er octobre 2008 et taxe télé-redevance ramenée à 100 euros à partir de l'exercice 2009.
    (3) Pour rappel, la responsabilité financière d'une entité est définie comme « une situation où les recettes de la région sont prélevées exclusivement à charge de ses propres citoyens ou agents économiques ». l'autonomie fiscale quant à elle est définie comme « la possibilité pour les entités fédérées de lever et d'affecter librement les ressources financières ». PAGANO G., Le Financement des régions et des communautés, 1970-2002, CRISP.