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Le dépôt des conclusions de l'avocat général suite aux questions préjudicielles sur le DAR introduites par le Conseil d'Etat devant la Cour de justice

  • Session : 2010-2011
  • Année : 2011
  • N° : 954 (2010-2011) 1

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  • Question écrite du 28/06/2011
    • de de LAMOTTE Michel
    • à HENRY Philippe, Ministre de l'Environnement, de l'Aménagement du Territoire et de la Mobilité

    Le Conseil d'État avait introduit une série de questions préjudicielles devant la Cour de Justice dans le cadre de six recours contestant plusieurs permis d'urbanisme accordés entre 2003 et 2006 relatifs à des projets axés sur le développement des activités aéroportuaires rentrant dans le champ d'application du décret DAR.

    Les questions déférées par le Conseil d'Etat portent sur l'interprétation de la réglementation européenne relative à l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement et, en particulier, de la directive 85/337/CEE telle que modifiée par la directive 2003/35/CE. en rapport avec le décret DAR du 17 juillet 2008.

    Il me revient à ce propos que l'Avocat général auprès de la Cour de Justice vient de rendre ses conclusions.

    Monsieur le Ministre a-t-il pris connaissance de ces conclusions ? Qu'en pense-t-il ? Dans quel sens vont-elles ? Quelle lecture l'Avocat général fait-il du décret DAR ? Est-ce de bon augure pour la suite ? Autrement dit, si la Cour fait siennes les conclusions de l'Avocat général, quelles en sont les conséquences.

    Par ailleurs, il semblerait que la Cour de Justice préfère dissocier l'examen des présentes questions préjudicielles posées par le Conseil d'Etat de celles posées par la Cour Constitutionnelle dont l'objet est pourtant quasi identique. Monsieur le Ministre a-t-il des informations à ce sujet ?
  • Réponse du 29/09/2011
    • de HENRY Philippe

    « À propos de la requête tendant à la suspension de l’exécution du permis d’environnement octroyé par la SAB en vue d’exploiter l’aéroport de Liège-Bierset, le Conseil d’État a, dans un premier arrêt, décidé de rejeter la demande de suspension au motif que l’entrée en vigueur, le 25 juillet 2008, de l’article 5 du décret du 17 juillet 2008 relatif à quelques permis pour lesquels il existe des motifs impérieux d'intérêt général, avait pour conséquence, eu égard à l’article 14 des lois coordonnées sur le Conseil d’État, de dessaisir celui-ci de la demande de suspension (C.E., 11 août 2008, n°185.645, Deneye.). Par ailleurs, le Conseil d’État rappelle que si, saisie d’un recours en annulation à l’encontre de ce décret, la Cour constitutionnelle venait à en annuler l’article 5, une procédure en rétractation de l’arrêt de dessaisissement du Conseil d’État pourrait être introduite en application de l’article 17 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d’arbitrage. Un tel recours, qui doit être introduit dans les six mois de la publication de l’arrêt de la Cour constitutionnelle, ferait obligation au Conseil d’État de réexaminer l’affaire à la lumière de l’état du droit tel qu’il résulterait de l’arrêt prononcé par la juridiction constitutionnelle. Désormais dépourvu de sa qualité d’acte à portée législative, le permis contesté pourrait à nouveau entrer dans le domaine des compétences du Conseil d’État tel que circonscrit par l’article 14 des lois coordonnées sur le Conseil d’État.

    Dans d’autres arrêts, en revanche, le Conseil d’État a considéré que pour juger de sa propre compétence (déclinatoire de juridiction), il devait au préalable s’assurer de la constitutionnalité du décret du 17 juillet 2008, en particulier en ce qu’il ratifie les permis dont il était déjà saisi au moment de l’entrée en vigueur de ce décret. Plusieurs arrêts décident en conséquence de surseoir à statuer et posent des questions préjudicielles à la Cour constitutionnelle. La plupart de ces arrêts du Conseil d’État sollicitent également la Cour de justice de l’Union européenne par voie préjudicielle. L’objectif est de contrôler la validité du décret du 17 juillet 2008 par rapport à la directive 85/337/C.E.E. concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement (notamment, ses articles 1er, 1.5, 5, 6, 7, 8 et 10bis) ainsi que par rapport à la Convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement conclue le 25 juin 1998 (notamment son article 9). » (1)

    Tel est bien le contexte dans lequel il convient de se situer. Plus précisément, les questions déférées à la Cour de justice sont les suivantes:

    «A. L’article 1er, paragraphe 5, de la directive peut-il être interprété comme excluant de son champ d’application une législation – telle que le décret du 17 juillet 2008 – qui se limite à énoncer que les ‘motifs impérieux d’intérêt général sont avérés’ pour l’octroi des permis d’urbanisme, des permis d’environnement et des permis uniques relatifs aux actes et travaux qu’elle énumère et qui ‘ratifie’ des permis pour lesquels il est énoncé que ‘les motifs impérieux d’intérêt général sont avérés’?

    B.1. Les articles 1er, 5, 6, 7, 8 et 10 bis de la directive EIE, telle que modifiée, s’opposent-ils à un régime juridique où le droit de réaliser un projet soumis à évaluation des incidences est délivré par un acte législatif contre lequel n’est pas ouvert un recours devant une instance juridictionnelle ou un autre organe indépendant et impartial établi par la loi permettant de contester, quant au fond et quant à la procédure suivie, la décision qui ouvre le droit de réaliser le projet ?
    B.2. L’article 9 de la Convention d’Aarhus doit-il être interprété comme imposant aux États membres de prévoir la possibilité de former un recours devant une instance juridictionnelle ou un autre organe indépendant et impartial établi par la loi pour pouvoir contester la légalité, pour toute question de fond ou de procédure relevant tant du régime matériel que du régime procédural d’autorisation des projets soumis à évaluation des incidences, des décisions, des actes ou omissions tombant sous le coup des dispositions de l’article 6?
    B.3. Au regard de la Convention d’Aarhus, l’article 10 bis de la directive EIE, telle que modifiée, doit-il être interprété comme imposant aux États membres de prévoir la possibilité de former un recours devant une instance juridictionnelle ou un autre organe indépendant et impartial établi par la loi pour pouvoir contester la légalité des décisions, des actes ou omissions pour toute question de fond ou de procédure relevant tant du régime matériel que du régime procédural d’autorisation des projets soumis à évaluation des incidences?»


    C’est dans ce contexte que l’avocat général Sharpston a présenté ses conclusions le 19 mai dernier dans les affaires jointes C-128/09, C-129/09, C-130/09, C-131/09, C-134/09, C-135/09.

    Avant cela, les parties, dont la Région wallonne - par l’intermédiaire du gouvernement belge - et la Commission ont eu l’occasion de produire des observations écrites et de présenter des observations orales lors de l’audience qui s’est tenue le 8 juin 2010.

    La remarque essentielle qui mérite d’être relevée tient en ce que, dans le cadre des questions préjudicielles qui sont posées, l’Avocat Général ne remet pas en cause le principe même d’un décret de ratification.



    Quant à savoir si le mécanisme échappe au champ d’application de la directive (question A)

    Conformément à son article 1er, paragraphe 5, la directive 85/337/C.E.E. ne s’applique pas «aux projets qui sont adoptés en détail par un acte législatif national spécifique, les objectifs poursuivis par la […] directive, y compris l’objectif de la mise à disposition d’informations, étant atteints à travers la procédure législative».

    L’Avocat Général s’est employée à cerner le lien ambigu créé par la directive entre l’exclusion des projets qui sont adoptés en détail par un acte législatif national spécifique et la réalisation des objectifs de la directive à travers la procédure législative. Cette ambiguïté donne lieu à deux interprétations possibles. Selon une première interprétation, il y aurait une présomption selon laquelle la procédure législative garantirait automatiquement la réalisation des objectifs de la directive 85/337/C.E.E. Selon une autre interprétation, cette disposition devrait être entendue en ce sens qu’elle exprimerait une condition préalable d’atteinte par l’acte législatif national spécifique des objectifs de la directive à travers la procédure législative.

    Au départ de l’analyse de la jurisprudence communautaire rendue en la matière, l’Avocat Général a montré que la seconde interprétation devrait, selon elle, être retenue : les deux conditions seraient rattachées à un double critère de l’efficacité législative.

    Le raisonnement implique ensuite d’appliquer ce double critère aux cas de figure présentés par les permis ratifiés par le Parlement wallon en application du D.A.R. À cet égard, ce qui est suggéré à la Cour, c’est de considérer que le juge national, pour conclure que le projet échappe au champ d’application de la directive 85/337/C.E.E., doit examiner les aspects suivants :

    a) en amont : les informations qui ont été portées à la connaissance du législateur étaient-elles suffisamment détaillées et pertinentes pour lui permettre d’évaluer les potentielles incidences du projet proposé sur l’environnement ?
    b) en matière de procédure : la procédure appropriée a-t-elle été respectée et les temps de préparation et de discussion ont-ils été suffisants pour qu’il soit plausible de conclure que les représentants élus du peuple ont réellement pu examiner le projet proposé et en débattre ?
    c) en aval : l’acte législatif qui en résulte (lu, le cas échéant, en combinaison avec les documents complémentaires auxquels il renvoie expressément) énonce-t-il clairement ce qui est autorisé ainsi que toutes les limitations ou les contraintes qui sont imposées ?

    L’Avocat Général ajoute que la procédure législative pourrait parfaitement satisfaire à ces exigences tout en impliquant, comme ce fut le cas pour les permis concernés par le litige, que le législateur s’appuie sur des éléments d’instruction réalisés précédemment par un organe administratif.

    En conclusion, « dès lors que le législateur dispose des informations requises et qu’il remplit correctement et efficacement son rôle démocratique, la procédure législative atteindra les objectifs poursuivis par la directive EIE, telle que modifiée. Permettre que la procédure législative bénéficie de l’exclusion visée à l’article 1er, paragraphe 5, et sorte du champ d’application de la directive EIE n’entraîne donc aucune lacune en termes de protection.

    À l’inverse, une procédure législative qui se bornerait à avaliser formellement une procédure administrative antérieure au terme de laquelle les décisions pertinentes ont d’ores et déjà été adoptées effectivement n’apportera pas les mêmes garanties que celles fournies par la directive EIE. Elle ne saurait donc bénéficier de l’exclusion visée à l’article 1er, paragraphe 5. » (points 87 et 88 des conclusions)



    Quant aux questions liées aux possibilités de contester devant une juridiction la légalité des décision relevant du régime d’autorisation des projets soumis à évaluation pour toute question de fond ou de procédure

    Pour l’Avocat Général, rapportées au décret du 17 juillet 2008, ces questions peuvent se résumer comme suit : si une juridiction telle que le Conseil d’État n’est pas compétente pour examiner une mesure telle que le décret du 17 juillet 2008 aux fins de déterminer si cette mesure est valable à l’aune de la convention d’Aarhus ou de la directive 85/337/C.E.E., doit-il être compétent pour l’examiner aux fins de déterminer si cette mesure tombe dans le champ de l’exclusion des actes législatifs, étant donné que, dans les faits, la nature de l’examen est essentiellement la même dans les deux cas? Et, à défaut pour le Conseil d’État de pouvoir procéder à la vérification du double critère d’efficacité législative, une autre juridiction, telle que la Cour constitutionnelle, doit-elle être compétente pour examiner la compatibilité de cette mesure avec la convention d’Aarhus et la directive 85/337/C.E.E.?

    Deux principes dominent en la matière. D’une pat, à moins que les règles de compétences ne soient dictées par le droit de l’Union, il n’appartient pas à la Cour d’indiquer les règles nationales qui doivent être appliquées en la matière. D’autre part, afin d’assurer que les objectifs d’accès à la justice sont atteints, il faut qu’au moins une juridiction soit compétente pour examiner un recours formé contre un acte législatif national spécifique au motif qu’il ne relève pas de l’exclusion visée à l’article 2 de la convention d’Aarhus ou à l’article 1er, paragraphe 5, de la directive 85/337/C.E.E.

    Aussi, pour Madame Sharpston, « si la Cour constitutionnelle est compétente, en vertu du droit belge, pour déterminer si le décret du 17 juillet 2008 relève de la définition de l’«acte législatif national spécifique» au sens de l’article 1er, paragraphe 5, de la directive EIE, tel qu’interprété par la Cour, et si elle seule a compétence pour le faire, alors il n’existe aucune lacune en la matière et les objectifs de l’article 10 bis de ladite directive (et de l’article 9 de la convention d’Aarhus) sont suffisamment atteints – sous réserve, dans des circonstances telles que celles de l’espèce, que la juridiction saisie d’un recours contre les autorisations administratives sous-jacentes soit en mesure d’obtenir une décision de la Cour constitutionnelle sur ce point. Il ressort de la décision de renvoi qu’une procédure préjudicielle de ce type est ouverte.
    Cependant, si les compétences de la Cour constitutionnelle devaient se limiter, par exemple, à un examen de constitutionnalité et ne pouvaient être étendues à la possibilité d’examiner si un acte législatif donné relève de la définition de l’article 1er, paragraphe 5, de la directive EIE, il serait alors nécessaire que le Conseil d’État puisse examiner cette question et, le cas échéant, écarter le décret du 17 juillet 2008 afin de se prononcer sur la légalité, quant au fond ou à la procédure, des autorisations administratives elles-mêmes. » (points 100 et 101)



    Propositions de réponse aux questions préjudicielles

    À la lumière des considérations qui précèdent, l’Avocat Général a estimé qu’en réponse aux questions déférées par le Conseil d’État, la Cour devrait statuer comme suit :
    « A. L’article 1er, paragraphe 5, de la directive 85/337/CEE du Conseil, du 27 juin 1985, concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement, telle que modifiée par la directive 2003/35/CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 mai 2003, prévoyant la participation du public lors de l’élaboration de certains plans et programmes relatifs à l’environnement, et modifiant, en ce qui concerne la participation du public et l’accès à la justice, les directives 85/337/CEE et 96/61/CE du Conseil, exclut uniquement du champ d’application de cette directive les actes législatifs pour lesquels les objectifs de la directive ont, pour l’essentiel, été atteints par l’organe législatif.
    Lorsqu’une juridiction nationale est saisie d’un recours contestant des autorisations administratives accordées pour des projets soumis à la directive 85/337 et que ces autorisations sont ensuite ratifiées par un acte législatif, il est nécessaire de prendre en considération non seulement le libellé de l’acte concerné, mais également le contenu de la procédure législative – notamment les informations mises à disposition du législateur et l’examen auquel elles ont été soumises – afin de déterminer si ces objectifs ont été atteints. S’ils n’ont pas été atteints, l’acte législatif devra être écarté par le juge national et la légalité des autorisations administratives devra être examinée en tant que telle.
    B. Dans le cadre d’un tel recours, l’article 10 bis de la directive 85/337 et l’article 9 de la convention d’Aarhus exigent que la juridiction concernée soit en mesure d’établir, d’office ou sur renvoi à une autre juridiction disposant de la compétence requise, si l’acte législatif est exclu du champ d’application de ces instruments, au motif que la procédure législative a atteint les objectifs en question. » (point 102).
    De manière très synthétique, l’on pourrait retenir, à ce stade, que l’Avocat Général Sharpston estime, d’une part, qu’un décret pris sur base du D.A.R. échappe au champ d’application de la directive si et seulement si l’on perçoit qu’il a été entouré de toutes les garanties lui permettant d’atteindre les objectifs poursuivis par la directive. Par ailleurs, le droit belge sera conforme aux exigences tirées du droit communautaire dérivé et du droit international en matière d’évaluation et de participation si une juridiction est habilitée, dans l’ordre interne, à examiner un tel décret au regard des objectifs précités.

    À ce jour, la juridiction communautaire n’a pas encore statué sur les questions préjudicielles. Il est donc prématuré de tirer d’éventuelles conséquences immédiates des conclusions commentées ci-dessus.



    (1) B. GERVASONI, Décret du 17 juillet 2008 relatif à quelques permis pour lesquels il existe des motifs impérieux d’intérêt général  (D.A.R.) : Aperçu des contentieux », Environnement et Gestion, août 2010, n°14, pages 1 à 5.