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La législation relative aux marchés publics

  • Session : 2011-2012
  • Année : 2011
  • N° : 27 (2011-2012) 1

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  • Question écrite du 06/10/2011
    • de BAYET Hugues
    • à FURLAN Paul, Ministre des Pouvoirs locaux et de la Ville

    La législation sur les marchés publics est excessivement complexe, mais lorsqu’on la couple avec les obligations comptables des communes, le Code de la démocratie locale et de la décentralisation, la jurisprudence administrative et la jurisprudence du Conseil d’Etat, chaque cas particulier pourrait faire l’objet d’une thèse de doctorat …

    Que Monsieur le Ministre me permette de lui relater le cas suivant qui relève de la fiction, quoique…

    Une commune a décidé de rénover un immeuble en 2011 et a prévu les crédits nécessaires à son budget extraordinaire, soit 120.000 euros. Dans le respect du Code de la démocratie locale et de la décentralisation et de la loi sur les marchés publics, et après avoir obtenu les permis nécessaires, en septembre 2011, le Conseil communal choisit l’adjudication comme mode de passation du marché, en arrête les conditions dans un cahier spécial des charges et en fixe les moyens de financement, en l’occurrence l’emprunt.

    En novembre 2011, après examen des offres, le Collège communal attribue le marché à l’entreprise sélectionnée qui fait l’offre régulière la plus basse, soit 100.000 euros et engage la dépense à concurrence de 110.000 euros, soit 110 % du marché initial comme le permet au maximum la circulaire budgétaire depuis l’exercice 2011, afin de couvrir uniquement les révisions de prix imposées par le cahier général des charges.

    Jusqu’ici, tout se passe sans problème.

    Les travaux débutent en décembre 2011 et, fin février 2012, l’entrepreneur identifie un problème sur le chantier nécessitant des travaux supplémentaires pour un montant de 11.000 euros et en informe directement le surveillant des travaux.

    Un certain nombre de questions se posent dans un tel cas, je ne doute pas que Monsieur le Ministre pourra m’éclairer.

    A. D’un point de vue administratif

    1° Le surveillant des travaux peut-il prendre la décision de faire réaliser ses travaux  (et donc de conclure un avenant au marché initial) s’il constate que ceux-ci sont effectivement strictement nécessaires et que l’arrêt momentané du chantier serait financièrement préjudiciable pour la commune, le collège ratifiant cette décision à sa toute prochaine séance ? Dans la négative, quelle est la responsabilité du surveillant des travaux ?

    Dans l’hypothèse où cet avenant entraînerait un dépassement de plus de 10% du marché initial, le collège peut-il valablement délibérer sur cette dépense d’investissement supplémentaire sans obtenir préalablement l’accord du Conseil communal ?

    2° En cas de réponse négative à la question précédente, la théorie de l’acte détachable développée par le Conseil d’Etat n’a-t-elle pas pour conséquence que la commune reste néanmoins liée pour ces travaux supplémentaires en raison du consentement du surveillant des travaux. Dans ce cas, la commune trouve-t-elle dans cette théorie du Conseil d’Etat la base du paiement des travaux complémentaires ?

    B. Du point de vue de la comptabilité communale :

    Dans le cas où un avenant est présenté au Collège communal, préalablement aux travaux, celui-ci peut-il engager la dépense dans les cas suivants :

    - le crédit total de 110 % n’est pas encore entièrement consommé (ou utilisé) en présumant que celui ne sera pas dépassé au terme du marché ;
    - le crédit total de 110 % n’est pas encore entièrement consommé (ou utilisé), mais sachant qu’il sera dépassé au terme du marché et que tout retard dans les paiements aura pour conséquence de « stater » les travaux entraînant ainsi un risque d’intérêt de retard ou de frais divers lié à l’arrêt d’activité de l’entreprise sur ce chantier.

    1° Dans la négative aux deux cas de figure à la question précédente, une modification budgétaire est-elle nécessaire à chaque fois que des travaux complémentaires via avenant sont à réaliser ?

    2° Dans l’hypothèse où l’autorité locale ratifierait et engagerait donc des dépenses supplémentaires en l’absence de crédits suffisants (=crédits approuvés ou reportés moins les engagements à réaliser), quelle serait l’attitude de votre administration lors de l’examen des comptes annuels si elle devait constater :
    a) qu’un engagement complémentaire a été ratifié/engagé sans crédits suffisants. Cet engagement ne risque-t-il pas de faire l’objet d’une annulation ? Qu’en serait-il, dès lors, de la responsabilité personnelle du Collège ?
    b) dans le suivi et pour autant que le receveur local ait imputé une dépense reposant sur cet engagement, ne risque-t-il pas de voir son imputation rejetée, avec toutes les conséquences financières qui en découlent, si cet engagement venait à être supprimé des comptes annuels ?

    Compliquons encore un peu le modèle. Si les travaux s’étalent sur plusieurs années qu’en est-il des crédits à reporter ? Ceux-ci pourront-ils être supérieurs aux crédits initialement engagés.

    Enfin, ne serait-il pas plus judicieux, en vertu de l’autonomie communale, de permettre aux communes d’engager les travaux pour le montant qu’elle juge justifié, tenant compte, non seulement, des révisions, mais également des travaux supplémentaires présumés et complémentaires qui pourraient s’avérer indispensables et non prévus au cahier des charges.

    Je pense que les réponses de Monsieur le Ministre à ces questions seront particulièrement appréciées par les mandataires communaux, mais également par les receveurs et secrétaires.
  • Réponse du 29/03/2012
    • de FURLAN Paul

    La question de l’honorable membre est complexe et appelle diverses précisions.

    Je rencontre dès lors ci-après les différents points soulevés.

    A. Point de vue administratif

    1°) rôle du surveillant des travaux

    Il faut rappeler que, par application de l’article 1er du cahier général des charges (annexe à l’arrêté royal du 26 septembre 1996 fixant les règles d’exécution des marchés publics) le cahier spécial des charges applicable à chaque marché doit préciser la personne qui assume le rôle de fonctionnaire dirigeant.

    Cette personne est en réalité le délégué du pouvoir adjudicateur et elle est chargée de surveiller « au jour le jour », si nécessaire, l’exécution du marché.

    Il s’agit le plus souvent d’un fonctionnaire du pouvoir adjudicateur ou d’un tiers tel l’auteur du projet.

    Au niveau des communes, ces personnes agissent sous l’autorité du collège communal qui, suivant le Code de la démocratie locale et de la décentralisation, assume la direction des travaux.
    Sur le plan strictement juridique, le fonctionnaire dirigeant n’a donc aucune compétence pour autoriser l’exécution de travaux supplémentaires ou modificatifs au marché attribué.

    C’est donc seulement les autorités communales compétentes – le collège ou le conseil communal suivant que les modifications au contrat atteignent ou dépassent 10% par rapport au montant attribué – qui peuvent décider, par un acte administratif antérieur auxdits travaux supplémentaires, les modifications concernées.

    Dans la pratique, cette chronologie ne peut pas toujours être respectée car l’interruption des travaux peut être préjudiciable à la commune.

    Dans ce cas, il peut se concevoir que le collège communal – ou un de ses membres – autorise verbalement les travaux supplémentaires nécessaires étant bien entendu que seule la décision administrative que le collège prendra et qui sera formalisée dans un acte administratif aura des effets de droit.

    Si le collège n’entérinait pas le choix opéré par un de ses membres – par exemple pour des raisons budgétaires – la commande communale pour les travaux supplémentaires poserait problème car l’intéressé pourrait être tenu pour seul responsable de la dette contractée.

    Enfin, si l’avenant dépasse 10%, deux hypothèses sont possibles.
    - soit il n’y a pas urgence impérieuse : dans ce cas, seul le conseil communal est compétent.
    - soit il y a urgence : dans ce cas, le Collège peut décider les travaux supplémentaires sous réserve de ratification par le conseil lors de sa prochaine séance.


    2°) Commande des travaux supplémentaires par le surveillant des travaux

    La théorie de l’acte détachable suppose que, par un acte administratif, la commune a donné explicitement son consentement pour la conclusion du contrat (marché).

    Dès lors, une commande orale du surveillant des travaux n’ayant pas donné lieu à une décision explicite du collège communal n’est pas susceptible d’engager la commune, sauf décision contraire d’un tribunal civil.



    B. Point de vue comptabilité communale


    1° Dans le cas où un avenant est présenté au collège communal, préalablement aux travaux, celui-ci peut-il engager la dépense lorsque le crédit total de 110 % n’est pas encore entièrement utilisé, en présumant que celui-ci ne sera pas dépassé au terme du marché ?

    Oui. La circulaire budgétaire précise que le montant comptable de l’engagement d’un marché est celui découlant de l’attribution de ce marché. Elle tolère toutefois la prévision d’un montant d’engagement égal à 100 % de l’attribution du marché majoré de 10 % (maximum - la commune pouvant mettre moins) lié à la révision légale du marché, si celle-ci est bien prévue textuellement dans le cahier des charges (afin de se rattacher à un élément objectif et éviter des dérives). Il convient évidemment que les 110 % (maximum) soient bien prévus dans la décision d’attribution du collège communal comme montant à engager (cette tolérance ne dispensant pas la commune du respect des principes classiques de la comptabilité).

    2° Dans le cas où un avenant est présenté au collège communal, préalablement aux travaux, celui-ci peut-il engager la dépense lorsque le crédit total de 110 % n’est pas encore entièrement utilisé, mais sachant qu’il sera dépassé au terme du marché et que tout retard dans les paiements aura pour conséquence de « stater » les travaux entraînant ainsi un risque d’intérêt de retard ou de frais divers lié à l’arrêt d’activité de l’entreprise sur ce chantier ?

    Non. Les crédits nécessaires et suffisants doivent être été prévus au budget (et, pour rappel, être définitivement approuvés par la tutelle – article L1311-4 du Code de la démocratie locale et de la décentralisation), sauf le cas des dépenses impérieuses et imprévues visées par l’article L1311-5 du Code précité.

    3° Dans la négative aux deux cas de figure dans les questions précédentes, une modification budgétaire est-elle nécessaire à chaque fois que des travaux complémentaires via avenant sont à réaliser ?

    Dans le premier cas évoqué, le crédit budgétaire existe.
    En ce qui concerne le second cas de figure, le montant total du marché doit être prévu dans le cadre d’une modification budgétaire.

    4° Dans l’hypothèse où l’autorité locale ratifierait et engagerait donc des dépenses supplémentaires en l’absence de crédits suffisants, quelle serait l’attitude de votre administration lors de l’examen des comptes annuels si elle devait constater :
    a) Qu’un engagement complémentaire a été ratifié/engagé sans crédits suffisants. Cet engagement ne risque-il pas de faire l’objet d’une annulation ? Qu’en serait-il dès lors de la responsabilité personnelle du collège ?
    b) Dans le suivi et pour autant que le receveur local ait imputé une dépense reposant sur cet engagement, ne risque-t-il pas de voir son imputation rejetée, avec toutes les conséquences financières qui en découlent, si cet engagement venait à être supprimé des comptes annuels ?

    Un engagement complémentaire engagé sans crédits suffisants entraîne nécessairement une annulation et donc un rejet aux comptes.

    Précisons ici qu’il ne peut y avoir d’engagement que s’il y a des crédits suffisants. La situation d’un engagement sans crédit suffisant n’est pas légale sauf au service ordinaire dans le cadre de l’application de l’article 11 du Règlement général de la comptabilité communale. A ce stade, le receveur n’a pas procédé au paiement de la dépense. C’est donc le collège, qui a attribué le marché et rendu l’engagement illégal, qui est responsable.

    Lors du rejet au compte d'une dépense par la tutelle, le receveur est présumé responsable par le Code de la démocratie locale et de la décentralisation. L’article 1124-42, par. 3, dudit Code stipule en effet que lorsque la vérification de l’encaisse fait apparaître un déficit notamment à la suite du rejet de certaines dépenses de comptes définitivement arrêtés, le collège communal invite le receveur, par une lettre recommandée à la poste à verser une somme équivalente dans la caisse communale.
    Quand le collège communal lui a notifié par voie recommandée le constat du déficit de caisse (entendu en tant que montant rejeté par la tutelle entraînant une discordance comptable), et « l'invitation » à combler ledit déficit, le receveur peut introduire un recours devant le collège provincial (délai de 60 jours à compter de cette notification) aux fins de se voir déclarer non responsable (en tout ou partie). Il peut appeler en intervention le collège communal aux fins de répartir cette responsabilité ou de s'en voir exonérer.

    En application de l’article 60 du RGCC, dès que le receveur communal est en possession des documents établissant les droits de la commune, il contrôle la régularité de ces documents et de leurs justificatifs, ainsi que leur inscription en comptabilité budgétaire et générale. En cas de désaccord, il les renvoie au collège avec remarques.

    Le non-respect de cet article, soit le paiement des mandats irréguliers, exposerait le receveur à une responsabilité pécuniaire.

    Notons que depuis la réforme du Règlement Général de la Comptabilité Communale et de son article 60 en particulier, en cas de désaccord sur une facture ou une pièce de dépense, le collège peut décider que la dépense doit être imputée et exécutée sous sa responsabilité, et restitue immédiatement le dossier, accompagné de sa décision motivée, au receveur communal pour exécution obligatoire sous la responsabilité du collège communal. Dans ce cas, la délibération motivée du collège sera jointe au mandat de paiement.

    5° Si des travaux s’étalent sur plusieurs années, qu’en est-il des crédits à reporter ? Ceux-ci pourront-ils être supérieurs aux crédits initialement engagés ?

    Seuls les crédits engagés sont imputés font l’objet d’un report dans les comptes. En cas d’insuffisance des crédits reportés, le conseil communal devra présenter une modification budgétaire adaptant les crédits aux montants des travaux.

    6° Ne serait-il pas plus judicieux, en vertu de l’autonomie communale, de permettre aux communes d’engager les travaux pour le montant qu’elle juge justifié, tenant compte, non seulement des révisions, mais également des travaux supplémentaires présumés et complémentaires qui pourraient s’avérer indispensables et non prévus au cahier des charges ?

    Non. Cette éventualité ouvrirait la porte à toute sorte de dérive et serait contraire à l’esprit du Code de la démocratie locale et de la décentralisation et du Règlement communal de la comptabilité communale.