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Les conflits d'intérêts en matière de marchés publics et la mutualisation des services par les intercommunales

  • Session : 2012-2013
  • Année : 2013
  • N° : 300 (2012-2013) 1

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  • Question écrite du 20/06/2013
    • de BERTOUILLE Chantal
    • à FURLAN Paul, Ministre des Pouvoirs locaux et de la Ville

    La législation relative aux marchés publics a été élaborée pour éviter des distorsions de concurrence, mais également pour prévenir tout conflit d’intérêts. L’article 10 de la loi de 1993 précise : « Il est interdit à tout fonctionnaire, officier public ou toute autre personne physique ou morale chargée d’un service public, d’intervenir d’une façon quelconque, directement ou indirectement, dans la passation et la surveillance de l’exécution d’un marché public dès qu’il a un intérêt, soit personnellement, soit par personne interposée, dans l’une des entreprises soumissionnaires. ».

    Le texte indique également la nature de cet intérêt. Il évoque la parenté, jusqu’au troisième degré, et bien sûr la notion de propriété : « Lorsque le fonctionnaire, l’officier public ou toute autre personne physique ou morale chargée d’un service public est, lui-même ou par personne interposée, propriétaire, copropriétaire ou associé actif de l’une des entreprises soumissionnaires ou exerce, en droit ou en fait, lui-même ou par personne interposée, un pouvoir de direction et de gestion. ». Toute personne concernée par au moins un de ces critères est tenue d’en informer le pouvoir compétent et de se récuser.

    Cette matière est extrêmement complexe. La loi sur les marchés publics changera à nouveau au mois de juillet et il peut parfois être très facile de se placer dans la totale illégalité sans avoir nécessairement l’intention d’une quelconque fraude.

    Ma première question concerne le cas précis d’un entrepreneur qui remporterait un marché public et qui, par la suite, deviendrait mandataire public. Monsieur le Ministre a déjà confirmé que ce marché serait parfaitement valable pour peu que la notification de l’attribution du marché soit parvenue au mandataire préalablement à sa prestation de serment. Mais qu’adviendra-t-il au moment d’un éventuel renouvellement ou d’une prolongation du marché ? Le marché public devra-t-il, dans cette hypothèse, être dénoncé au moment de son renouvellement ? Pourra-t-il être prolongé aux mêmes conditions ?

    La seconde question que j’aborderai concerne la mutualisation de certains services au sein des intercommunales. En vue de réaliser des économies d’échelle, certaines intercommunales proposent la mutualisation de services (ex : ramassage d’ordures, etc.). Qu’en est-il de la problématique des conflits d’intérêts ?

    Le marché public sera passé par l’intercommunale directement et les communes ne feront qu’accepter ou non d’adhérer au marché de services proposé. Y a-t-il conflit d’intérêts dès lors que le soumissionnaire est un conseiller communal de l’une des communes associées à l’intercommunale ? Le fait que le conseiller communal soit ou non désigné par la commune pour la représenter au sein de l’intercommunale a-t-il une incidence sur la validité du marché public ?
  • Réponse du 30/07/2013
    • de FURLAN Paul

    La notion de conflit d’intérêts est régie à la fois par la législation fédérale et par la législation régionale.

    Au niveau fédéral, l’article 8 de la nouvelle loi du 15 juin 2006 relative aux marchés publics et à certains marchés de travaux, de fournitures et de services a quelque peu modifié l’ancien article 10 de la loi du 24 décembre 1993.

    En effet, celui-ci précise notamment :

    « § 1er. Sans préjudice de l'application d'autres interdictions résultant d'une loi, d'un décret, d'une ordonnance, d'une disposition réglementaire ou statutaire, il est interdit à tout fonctionnaire, officier public ou à toute autre personne liée à un pouvoir adjudicateur de quelque manière que ce soit, d'intervenir d'une façon quelconque, directement ou indirectement, dans la passation et l'exécution d'un marché public dès qu'il pourrait se trouver, soit personnellement, soit par personne interposée, dans une situation de conflit d'intérêts avec un candidat ou un soumissionnaire. (…) ».

    Le champ d’application des situations d’incompatibilités a été étendu.

    Sur base de l’exposé des motifs de la nouvelle loi, l’incompatibilité vise non seulement le personnel sous statut, mais également toute personne liée au pouvoir adjudicateur de quelque manière que ce soit.

    Elle vise aussi les personnes physiques ou morales liées au pouvoir adjudicateur par un marché public de services, lorsque ces dernières exercent une mission de conception et de contrôle de l’exécution d’un marché public ou remplissent, auprès de ce pouvoir adjudicateur, une mission de consultant leur permettant d’influencer son choix.

    Enfin, le champ d’application des situations d’incompatibilités a été étendu aux entreprises candidates, car c’est déjà à ce stade que le conflit d’intérêts peut surgir.

    Compte tenu de ce qui vient d’être mentionné, je tiens à préciser que le principe selon lequel, le nouveau mandataire est autorisé à terminer l’exécution du contrat en cours conclu avant son installation, est un principe issu de la jurisprudence du Conseil d’État sur base de l’ancienne réglementation.

    Toutefois, le champ d’application des interdictions ayant été élargi à l’exécution (et non plus à la surveillance de l’exécution) dans la nouvelle réglementation, il s’agira de voir comment le Conseil d’État va se positionner à l’avenir.

    À ce jour, il est trop tôt pour se prononcer sur les modalités d’application de la nouvelle disposition par la juridiction précitée, ce d’autant plus que chaque cas d’espèce est un cas particulier pour lequel il faut vérifier si toutes les conditions exigées par la réglementation sont remplies pour conclure à l’existence d’un conflit d’intérêts.

    En tout état de cause, il s’agira de rester vigilant sur les modalités d’application de l’article 8 de la loi du 15 juin 2006 dans la mesure où son application est intimement liée à l’application des articles relatifs au conflit d’intérêts du Code de la démocratie locale et de la décentralisation qui concernent les pouvoirs locaux dont font partie les communes et les intercommunales.

    À cet égard, au niveau régional wallon, il faut se référer aux interdictions prévues dans le Code de la démocratie locale et de la décentralisation (CDLD).

    Pour répondre à la question de l’existence d’un éventuel conflit d’intérêts dans le cadre d’un renouvellement ou d’une prolongation de marché qui concerne un mandataire nouvellement installé, mais désigné, préalablement, en tant qu’adjudicataire à un moment où aucun mandat ne lui était confié, il s’agit, dans un premier temps, d’avoir égard aux articles L1122-19 et L1125-10, 1° du CDLD.

    La première disposition porte sur l’interdiction, pour le mandataire communal, de participer à la discussion et de voter. En effet, elle prévoit, notamment, qu’il est interdit à tout membre du Conseil et du Collège communal d’être présent à la délibération sur des objets auxquels il a un intérêt direct, soit personnellement, soit comme chargé d’affaires, avant ou après son élection, ou auxquels ses parents ou alliés jusqu’au quatrième degré inclusivement ont un intérêt personnel ou direct.

    La seconde interdit, entre autres, à tout membre du Conseil et du Collège communal de prendre part, directement ou indirectement, dans aucun service, perception de droits, fourniture ou adjudication quelconque pour la commune et donc lui interdit de soumissionner.

    Il s’agit, ensuite, de distinguer plusieurs hypothèses.

    La première vise le cas où le pouvoir adjudicateur doit faire réaliser des travaux ou services complémentaires ou se faire livrer des fournitures complémentaires.

    Sur ce point, les articles 26, §1er, 2°a) et §1er, 3°, b) et c) de la loi du 15 juin 2006 prévoient qu’il peut être lancé un marché public de travaux, de fournitures ou de services par procédure négociée sans publicité.

    Cela implique que le Conseil communal doit se prononcer sur le lancement du marché et fixer les conditions essentielles, que le Collège communal invite l’adjudicataire principal à remettre offre, que celui-ci dépose une offre, et, qu’in fine, le même Collège communal se prononce sur son attribution.

    Si l’adjudicataire est devenu entretemps mandataire communal, il ne peut donc plus soumissionner, le pouvoir adjudicateur étant alors contraint de relancer un nouveau marché.

    Dans cette hypothèse, il n’existe plus aucun conflit d’intérêts. Il n’est donc plus question d’appliquer l’article L1122-19 du CDLD à l’égard du nouveau mandataire local.

    La deuxième vise le cas où le pouvoir adjudicateur doit faire réaliser des travaux ou services similaires conformément à l’article 26, §1er, 2°, b) de la loi du 15 juin 2006.

    Il s’agit d’opérer le même raisonnement que pour l’hypothèse précédente.

    La troisième vise le cas de la reconduction tacite. Dans cette hypothèse, il faut vérifier ce que mentionne le contrat conclu. Si le contrat est rédigé en manière telle qu’il n’y a pas lieu à l’adoption d’une nouvelle décision, mais d’une simple prolongation du contrat aux mêmes conditions, la question du conflit d’intérêts ne se pose pas. Les conditions du marché sont exécutées purement et simplement sans être modifiées.

    La quatrième vise la conclusion d’un avenant (comprenant une prolongation de délai). Selon l’importance financière de l’avenant, le Conseil ou le Collège communal sont compétents sur base des articles L1222-3 et L1222-4 du Code de la démocratie locale et de la décentralisation.

    Dans cette hypothèse, le nouveau mandataire ne peut pas participer au vote s’il est membre de l’organe qui doit se prononcer. Pour le surplus, il s’agit d’exécuter le contrat et il n’est plus question de nouvelle soumission.

    En conclusion, je souhaite tout de même rappeler que l’application de la disposition fédérale étant intimement liée à l’application des dispositions régionales, il s’agit de tenir compte de la remarque formulée plus haut.


    Pour répondre à la question de l’existence éventuelle d’un conflit d’intérêts lors de la passation d’un marché public par une intercommunale, lorsqu’un conseiller communal d’une commune associée veut soumissionner.

    Je suppose que, dans un premier temps, l'honorable Membre fait allusion à la mise en place de centrales pour lesquelles les conseils communaux des communes associées doivent se prononcer sur l’adhésion éventuelle à ladite centrale.

    Dès lors qu’il s’agit d’une délibération portant uniquement sur l’adhésion ou non de la commune associée à la centrale, il n’est question d’aucun conflit d’intérêts, aucun marché n’ayant encore été lancé.

    Pour ce qui concerne la possibilité, pour un conseiller communal d’une commune associée, de soumissionner dans le cadre du marché lancé par l’intercommunale, il faut avoir égard à l’article L1531-2 du CDLD qui prévoit qu’il est interdit à tout administrateur de prendre part, directement ou indirectement, à des marchés passés avec l’intercommunale. Cette interdiction de soumissionner vise donc tout administrateur, conseiller communal ou non, et rien que lui.

    Il s’agit enfin de voir si un conseiller communal, sans être administrateur, peut soumissionner dans le cadre d’un marché lancé par l’intercommunale à laquelle est associée la commune qu’il représente.

    Sur ce point, l’article L1125-10 du CDLD interdit, entre autres, à tout membre du Conseil et du Collège communal de prendre part, directement ou indirectement, dans aucun service, perception de droits, fourniture ou adjudication quelconque pour la commune et donc lui interdit de soumissionner.

    Se pose donc la question de l’étendue du terme « indirectement ». Cette hypothèse doit s’apprécier au cas par cas en fonction de la nature du contrat afin de voir s’il y a dans les faits, un conflit d’intérêts.