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La restitution de biens expropriés

  • Session : 2014-2015
  • Année : 2014
  • N° : 92 (2014-2015) 1

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  • Question écrite du 14/11/2014
    • de STOFFELS Edmund
    • à PREVOT Maxime, Ministre des Travaux publics, de la Santé, de l'Action sociale et du Patrimoine

    Sous le titre "La justice restaurant un droit octroyé à la personne expropriée", la presse nous informe que la Cour constitutionnelle a décidé que la disposition de la loi de 1970, qui exclut l'application du droit de rétrocession, viole la constitution. Les propriétaires sont donc en droit de réclamer la restitution de leurs biens non affectés à l'utilité publique.

    Il s'agit évidemment d'une décision qui doit intéresser le ministre des Travaux publics. En effet, je connais des chantiers qui ont été annoncés il y a une dizaine ou plusieurs dizaines d'années, mais qui, à ce jour, n'ont toujours pas été commencés. Citons à titre d'exemple la RN 62. Pendant des années 1960, des propriétaires ont été expropriés en vue de construire une route de délestage. Les maisons expropriées sont vides depuis lors, et se transforment en ruine. L'arrêt de la Cour constitutionnelle offre une voie royale aux propriétaires qui souhaiteraient se voir restituer leur bien. Ils pourraient également réclamer un dédommagement.

    Quelle analyse Monsieur le Ministre fait-il de cet arrêt ? Y voit-il d'importantes conséquences budgétaires éventuelles ?
  • Réponse du 04/12/2014
    • de PREVOT Maxime

    Cette question est hautement juridique et je vais m’efforcer d’y répondre le plus simplement possible.

    En guise d’introduction, il convient d’exposer ce qu’est le droit de rétrocession.

    C’est le droit, pour un ancien propriétaire (ou ses ayants droit), de racheter le bien qu’il lui a été exproprié pour un prix ne pouvant dépasser le montant reçu à titre d’indemnité d’expropriation (1). Ce droit de rétrocession ne lui est ouvert que si le but d’utilité publique poursuivi par l’expropriation n’a pas été réalisé totalement par le pouvoir expropriant (2).

    Ce droit de rétrocession est prévu explicitement par l’article 23 de la loi du 17 avril 1835 sur l’expropriation pour cause d’utilité publique. La jurisprudence et la doctrine estiment que ce droit est également d’application dans le cadre de la loi du 26 juillet 1962 relative à la procédure d’extrême urgence en matière d’expropriation pour cause d’utilité publique.

    Ce droit est cependant exclu par diverses lois d’habilitation (lois qui permettent à la puissance publique de procéder à une expropriation dans des circonstances déterminées et suivants des modalités particulières), dont la loi du 30 décembre 1970 sur l’expansion économique.

    Ensuite, quant à l’arrêt de la Cour Constitutionnelle du 25 septembre 2014 qu'évoque l'honorable membre, celle-ci a répondu à une question préjudicielle du Tribunal de Première Instance de Termonde et portait sur le fait de savoir si l’exclusion de l’invocation du droit de rétrocession par l’article 30, de la loi du 30 décembre 1970 sur l’expansion économique ne violait pas les principes d’égalité et de non-discrimination.

    En son arrêt, la Cour a estimé que la question préjudicielle appelait une réponse affirmative.

    Quant à la portée d’un arrêt de la Cour Constitutionnelle rendu sur une question préjudicielle, celui-ci a une autorité relative, en tant qu’elle est limitée au procès ayant donné lieu au renvoi de la question (3). Cependant, cette autorité relative est dite « renforcée », en tant qu’elle s’étend à « toute autre juridiction, saisie d’un litige ultérieur, qui serait confrontée à la même question que celle ayant donné lieu à l’arrêt préjudiciel » (4).

    Il est à noter que l’article 30 de la loi du 30 décembre 1970 sur l’expansion économique, a été presque intégralement abrogé en Région wallonne, le 24 novembre 2004, par l’article 24 du décret du 11 mars 2004 relatif aux infrastructures économiques.

    En termes budgétaires, comme souligné ci-avant, le droit de rétrocession est une faculté ouverte au propriétaire exproprié de racheter son bien. Ce rachat suppose néanmoins le paiement par l’exproprié d’une contrepartie au pouvoir expropriant, fixée au maximum au montant de l’indemnité d’expropriation.

    Il n’y a donc, à priori, pas de conséquence budgétaire à cet arrêt pour répondre à la question, d’autant plus que l’usage de l’expropriation est réservé à des projets que nous souhaitons effectivement exécuter. L'honorable membre reprend un exemple parmi quelques autres, à savoir la RN 62 près de Saint-Vith, qui n’a pas pu être réalisé jusqu’à présent, mais rien ne dit qu’il ne le sera pas.



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    (1) E. Causin, « L’expropriation », in X., Guide de droit immobilier, VII.2bis.1.5, Waterloo, Kluwer, 1998, pp. 158-159.
    (2) V. Defraiteur, « Le droit de rétrocession en matière d’expropriation », J.T., 2012, p. 514.
    (3) M. Verdussen, Justice constitutionnelle, Bruxelles, Larcier, 2012, p. 281.
    (4) Id., p. 284.