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La question de savoir si la dégressivité renforcée des allocations de chômage est une mesure pour activer les chômeurs

  • Session : 2014-2015
  • Année : 2015
  • N° : 88 (2014-2015) 1

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  • Question écrite du 16/01/2015
    • de STOFFELS Edmund
    • à TILLIEUX Eliane, Ministre de l'Emploi et de la Formation

    Est-ce que la dégressivité renforcée des allocations de chômage aura pour effet d'activer les chômeurs et de les rendre plus disponibles pour le marché d'emploi ? La question peut paraître surprenante si on se met dans la position de ceux qui prônent la doctrine qu'il suffit d'activer le chômeur et que dès qu'il est activé, il trouve un emploi. J'admets que chacun de nous trouvera toujours un ou l'autre exemple à l'aide duquel il va pouvoir illustrer que cette doctrine tient la route. Mais est-ce suffisant pour pouvoir généraliser sur l'ensemble de la population qui est à la recherche d'un emploi? Ou est-ce un moyen pour stigmatiser et culpabiliser la grande majorité des demandeurs d'emploi qui cherchent réellement?

    Le fait que la dégressivité s'applique non seulement au cohabitant, mais aussi au chef de ménage et aux personnes isolées durant la deuxième période d'indemnisation, va-t-il activer la recherche d'emploi ?  Le fait, que les chefs de ménage et les isolés, durant la troisième période d'indemnisation tout comme les cohabitants, descendent à des montants forfaitaires équivalents au minimum de l'allocation de chômage, va-t-il le rendre plus actif dans la recherche d'un emploi ? Le fait que la dégressivité renforcée touche plus rapidement qu'avant les cohabitants durant la deuxième période d'indemnisation va-t-il les activer ? Le fait que la dégressivité touche tous les chômeurs indépendamment de leur situation familiale augmente-t-il les chances que cette personne trouve effectivement un emploi?

    La mention d'activation est évidemment à définir en relation avec la proactivité de recherche d'emploi du chômeur avant la réforme, à moins que l'on considère que par définition tout chômeur est un fainéant. Je pense que si certains ne le disent pas ouvertement, c'est quand même le message qu'il souhaitent transporter de façon sous-entendue dans l'opinion publique. La définition est qu’un chômeur est quelqu'un qui a perdu son travail ou qui est resté sans emploi de façon involontaire. La dégressivité renforcée des allocations de chômage se base, par contre et, à mes yeux,  sur la thèse suivante: plus longtemps on est sans emploi, plus il y a une probabilité que cela soit volontaire et que l'on soit responsable de sa propre situation. Cependant, il est légitime que l'assurance chômage tienne aussi compte de la responsabilité de la société à la fois en ce qui concerne la perte du travail, la persistance du chômage et le peu de chances de trouver effectivement un nouveau travail.

    La probabilité de trouver un nouvel emploi dépend-elle du niveau des allocations de chômage ? Si cela peut être le cas dans certaines situations particulières,  force est de constater - cela est démontré par de nombreuses études en la matière - que la chance de trouver un emploi dépend nettement plus du niveau d'éducation, du profil professionnel de la qualification, de l'état de santé et de l'âge de la personne.

    La dégressivité renforcée des allocations de chômage a-t-elle un effet positif sur ces paramètres? Poser la question, c'est illustrer tout le ridicule de ce dogme qu'il suffit d'exposer les chômeurs au risque de la pauvreté pour qu'ils bougent.

    Je souhaite informer tous ceux qui ne fatiguent pas de considérer le chômeur comme quelqu'un qu'il faut activer - pour rester dans des propos polis, alors que l'expression les concernant est de plus en plus de nature à les déprécier - du nombre de personnes qui sont à la recherche d'un emploi et qui envoient des courriers et des curriculum vitae par dizaines et certains par centaines sans jamais recevoir ne fut-ce qu'un accusé de réception. C'est cela que la plupart des chômeurs vivent au quotidien. C'est cela la réalité dans toute sa brutalité. Et cette réalité est très différente par rapport à la réalité de ces moutons noirs qui - il est vrai - existent parmi les bénéficiaires des allocations de chômage.

    Si la dégressivité renforcée des allocations de chômage a pour effet d'activer effectivement le demandeur d'emploi, le résultat sera-t-il autre chose que de l'encourager à écrire encore plus de lettres et de recevoir encore moins d'accusés de réception ? Posons la question. Elle est d'ailleurs illustrée à merveille dans le cadre d'une étude que le service de lutte contre la pauvreté, la précarité exclusion sociale a rédigé à la demande du gouvernement wallon. Le rapport est paru au mois d'août 2014.

    Laissons l'idéologie et le mainstream pendant quelques moments de côté, mais penchons-nous sur ce que vivent les demandeurs d'emploi. Les constats sont éloquents. Les personnes pauvres alternent souvent des périodes de chômage avec des emplois à court terme, ou des emplois à temps partiel, etc. Ceci ne résulte pas uniquement de la crise économique, qui revête de plus en plus un caractère structurel, mais également et notamment du retard du demandeur d'emploi (moins qualifié et exposé au risque de pauvreté) sur le plan de la formation scolaire et de la qualification professionnelle. De façon un peu provocatrice, je dirais que nous sommes à l'heure actuelle en train de "produire" les nouveaux allocataires de chômage de demain. En effet, les études successives Pisa démontrent que le nombre de jeunes de 15 ans qui n'ont pas les compétences élémentaires en lecture, en mathématiques et en sciences naturelles augmente d'étude à étude.

    Tous ces jeunes, à quelques exceptions près et espérons qu'elles soient nombreuses,seront, demain, dans une économie où on recherche des travailleurs de haute qualification, avec une forte probabilité des allocataires sociaux sans aucune ou avec peu de chances de trouver un job.

    Il me semble donc que le meilleur moyen de lutter efficacement contre le chômage structurel n'est pas de réduire les allocations de chômage de ceux qui aujourd'hui sont sans emploi. Mais d'investir dans la qualification de ceux qui demain arrivent comme demandeur d'emploi dans les entreprises avec l'espoir de trouver un emploi. C'est ce que les jeunes savent et savent faire qui peut servir de tremplin pour l'emploi et non pas le risque de pauvreté qui les motivera à chercher plus activement.

    Citons l' OCDE qui souligne "qu'en Belgique, en terme d'inadéquation de l'offre et de la demande, les offres d'emploi sont essentiellement destinées à des travailleurs qualifiés, alors que 80 % des demandeurs d'emploi sont faiblement ou moyennement qualifiés, et qu'environ la moitié d'entre eux sont des chômeurs de longue durée. On estime que 22 % de l'ensemble des personnes ayant un emploi sont surqualifiés par rapport aux fonctions qu'elles exercent. Les travailleurs moins qualifiés, qui ont plus de mal à trouver un emploi ou qui doivent se contenter d'emplois précaires, seront davantage incités à accepter de tels emplois. L'impact de la dégressivité renforcée sur les femmes, davantage orientées vers les emplois précaires, doit également être pris en compte.

    À cette fin, je conseille à Madame la Ministre de lire le rapport 2013 du Conseil supérieur de l'emploi portant le titre "les personnes faiblement qualifiées sur le marché du travail."  Certains chercheurs vont jusqu'à dire que la mesure où aura l'effet tout à fait contraire de ce qu'elle cherche : face aux allocations de plus en plus faibles,  face aux emplois précaires et à la concurrence entre les travailleurs, le risque augmente de voir les chômeurs se tourner vers le travail au noir parce qu'ils sont exclus, parce qu'il leur reste seulement quelques euros pour vivre chaque jour quand ils ont payé leur loyer et la facture énergie. Les stratégies de survie seront, plus que jamais, nécessaires pour vivre dignement. Demain plus qu'aujourd'hui, il s'agira de sauver sa peau.

    Pour les personnes occupant une position faible sur le marché de l'emploi, les conditions d'accès risquent d'être encore plus sévères. Ces personnes occuperont souvent des emplois de très courte durée en alternance avec des périodes de chômage prolongées. De plus, il faudra toujours un parcours beaucoup plus long à temps partiel qu'à temps plein pour retrouver ses droits après une période de travail et ainsi remonter à l'allocation complète. Les conséquences de la dégressivité sont plus lourdes pour les travailleurs à temps partiel, principalement les femmes (46 % des femmes salariées le sont à temps partiel).

    Puis-je demander à Madame la Ministre de nous faire savoir si elle partage les analyses que je viens de développer et de nous dire quelles sont les conclusions qu'elle en tire ? N'est-ce pas plutôt en développant des offres de formation dans la perspective d'organiser une meilleure adéquation entre l'offre et la demande sur le marché de l'emploi, qu'on a des chances d'augmenter le taux d'emploi et de réduire le taux de chômage que d'organiser la dégressivité renforcée des allocations de chômage? En aura-t-elle les moyens pour répondre ne fut-ce qu'à la pénurie d'emploi en organisant un ensemble de formations ciblées à l'issue desquels il y a au moins une probabilité de trouver un emploi? Et comment faire face aux craintes que j'ai exprimées lors ce que je dis que ceux parmi les jeunes qui ne savent pas lire et écrire seront demain les allocataires sociaux ?
  • Réponse du 11/02/2015
    • de TILLIEUX Eliane

    La politique en matière de dégressivité des allocations de chômage relève des compétences exclusives de l’État fédéral. Toutefois, il convient de rester attentif aux effets qu’elle induit auprès des demandeurs d’emploi en Wallonie et d’en corriger, autant que possible, les aspects néfastes.

    Dans le cadre des compétences dont j’ai la charge en matière d’emploi et de formation, je privilégie les actions renforçant l’accompagnement, la formation, le développement et la reconnaissance des compétences professionnelles, ainsi que l’acquisition d’expériences et de savoir-faire en milieu professionnel. Mes objectifs pour cette législature s’inscrivent dans cette démarche volontariste et respectueuse de la situation, du profil, des objectifs et du parcours de chacun.

    C’est pourquoi, comme le Gouvernement s’y est engagé dans sa Déclaration de Politique régionale, j’entends, durant toute cette législature, développer la formation en alternance comme filière d’excellence, renforcer la qualité de l’accompagnement individualisé des demandeurs d’emploi par le FOREm et ses partenaires, accroître l’offre de formation en lien avec les secteurs porteurs et les métiers d’avenir et développer une offre d’orientation coordonnée en amont des choix de filières d’emploi et de formation.

    Enfin, dans le cadre du transfert vers les régions du contrôle de la disponibilité des chômeurs, le Gouvernement wallon a pris la décision de confier cette mission au FOREm et, dans le cadre de la Déclaration de Politique régionale, a demandé au Comité de gestion du FOREm de proposer les modalités pratiques du contrôle de la disponibilité des chômeurs. Ces modalités devront être fondées sur des principes de transparence, de loyauté, d’équité, d’humanité et d’efficience.

    Lorsque toutes les dispositions auront été prises pour intégrer le contrôle au sein du FOREm, cette compétence sera exercée dans un service à gestion distincte, mais articulée à l’accompagnement, afin de permettre la mise en place de processus de travail cohérents entre le contrôle et l’accompagnement des demandeurs d’emploi.

    L’objectif visé est d’éviter de faire du contrôle une démarche administrative inadaptée aux caractéristiques des personnes et du marché du travail. Le FOREm travaille, dès lors, sur les données socio-économiques qui permettront d’objectiver les situations propres à chaque bassin et secteur.

    Il ne s’agit pas de diminuer le contrôle, mais de sortir de la seule logique quantitative de la recherche d’emploi (consistant, par exemple, à vérifier le nombre de candidatures spontanées envoyées par semaine) et d’intégrer une approche plus qualitative de la disponibilité sur le marché de l’emploi.

    Ceci signifie aussi que les exigences devront être adaptées, notamment en fonction du temps nécessaire à certains demandeurs d’emploi pour reconstruire un projet professionnel et du caractère multidimensionnel des problèmes rencontrés par certains publics. Une articulation étroite avec le dispositif d’accompagnement permettra ainsi de disposer d’éléments d’évaluation suffisants pour exercer un contrôle de la disponibilité, davantage personnalisé.