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Les ventes de feuillus en gré à gré

  • Session : 2014-2015
  • Année : 2015
  • N° : 113 (2014-2015) 1

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  • Question écrite du 11/02/2015
    • de GONZALEZ MOYANO Virginie
    • à MARCOURT Jean-Claude, Ministre de l'Economie, de l'Industrie, de l'Innovation et du Numérique

    Il nous revient de la part de nombreuses communes que cette année, les ventes de bois marchands ont été assez particulières dans la mesure où ces ventes au rabais ont été adjugées dès la mise à prix. Et, paradoxalement, beaucoup de nos scieries manquent de matière première.

    La filière bois est directement impactée par la hausse du prix du bois sur pied et on perd, année après année des débouchés locaux.

    Pour permettre à nos scieries de s'approvisionner, l'Office économique du bois a mis en place un nouveau modèle de vente publique de bois avec un objectif : maintenir nos scieries.

    Quel bilan Monsieur le Ministre dresse-t-il de cette initiative ? A-t-elle permis de sauvegarder des scieries en Wallonie ? Peut-on généraliser ce type d'initiative à l'ensemble des pouvoirs publics sans nuire au principe de neutralité financière pour les communes ?
  • Réponse du 07/05/2015
    • de MARCOURT Jean-Claude

    Rappelons tout d’abord que les ventes au rabais ne constituent plus le type de ventes le plus régulièrement pratiqué par les propriétaires publics. Ces ventes sont certes spectaculaires, mais elles ne reflètent pas toujours la réalité économique.

    Dans l’engouement et le stress qu’elles génèrent, les acheteurs vont parfois au-delà du raisonnable par crainte de rater un lot qui leur tient à cœur. Ce risque, joint à la difficulté de fixer la mise à prix explique que ce mode de vente soit de plus en plus remplacé par des soumissions, plus transparentes, ou une combinaison des deux systèmes. La vente par soumission est beaucoup plus riche en enseignements, car elle offre la possibilité de faire une analyse sur l’ensemble des offres. Par ailleurs, le gain du vendeur n’est jamais bridé par une mise à prix trop basse.

    Il est également utile de souligner que les difficultés d’approvisionnement que rencontrent les scieries de bois feuillus et les scieries de bois résineux n’ont pas la même origine et ne sont pas de même nature.

    Le nombre de scieries de résineux a diminué ces dernières années, mais les unités restantes se sont fortement développées. Elles ont acquis une capacité de sciage très importante, supérieure la production de la forêt wallonne.

    Ce déséquilibre, qu’accentuent les exportations non négligeables vers l’Allemagne et la France, crée des tensions importantes à l’achat de la matière première.

    Le nombre de scieries de feuillus a diminué dans une mesure encore plus importante, mais sans être accompagné par un processus de concentration.

    Les unités sont restées de taille modeste, et leur capacité n’a cessé de régresser.

    La production de la forêt wallonne est largement supérieure à leurs besoins, mais leur faible compétitivité ne leur permet plus d’acheter le peu de bois qu’elles peuvent encore transformer, d’autant que le marché des sciages de feuillus est déprimé et très occupé par leurs concurrents étrangers (qui ne sont pas nécessairement asiatiques).

    Les grumes wallonnes sont alors mobilisées par des traders et souvent envoyées vers l’Asie pour nous revenir, mais en partie seulement, car la demande locale est très importante, sous forme de produits semi-finis ou finis. C’est pour freiner cette tendance, pour garder un savoir-faire, une main d’œuvre, pour éviter une trop grande dépendance vis-à-vis de l’Asie, pour rapatrier la plus-value et pour développer les circuits courts qu’une adaptation du système des ventes de gré à gré a été étudiée au sein de l’Office économique wallon du bois.

    Le décret modifiant les modalités de ventes de gré à gré des bois feuillus fixait, par scierie, un quota égal au tiers de leur approvisionnement annuel moyen calculé sur les cinq dernières années.

    Toutes les scieries de bois feuillus (25 unités), mixtes feuillus/résineux (8 unités) et mobiles (9 unités) ont été interrogées par l’Office économique wallon du bois afin d’établir lesdits quotas.

    Quatorze d’entre elles, dont les plus importantes, ont manifesté le souhait de pouvoir bénéficier de cette initiative. La capacité globale de ces quatorze scieries est de 50.000 m³ ; le quota global établi s’élève donc à 16.500 m³ et l’essence plébiscitée est le chêne.

    Les ventes étant généralement préparées de longue date par le Département Nature et Forêt du Service public de Wallonie (DNF), la mise en œuvre de cette nouvelle formule requiert un certain temps. La diligence du SPW a toutefois permis que de premières ventes en gré à gré puissent avoir lieu dès la fin 2014. Il n’en reste pas moins que ce type de ventes n’en est qu’à ses premiers balbutiements et qu’il serait sans doute hâtif, à ce stade, de se risquer à un bilan.

    Voici cependant un descriptif chiffré des ventes effectuées à ce jour :

    * 2 ventes ont été organisées fin 2014 pour un volume total de 721 m³. Les bois, de qualité très moyenne, ont été vendus pour montant total de 29.725 euros.
    * 2 ventes ont été organisées depuis le début 2015 pour un volume total de 1.345 m³. Les bois ont été vendus pour un montant total de 155.860 euros.
    * La vente d’un lot de 40 m³ n’a pas reçu d’offres sans doute du fait d’une qualité très élevée (tranchage) très difficile à valoriser en Wallonie. Rappelons que les bois se destinent obligatoirement à une transformation locale et que l’industrie du tranchage a disparu en Wallonie.
    * 3 ventes étaient encore programmées en février pour un volume de 792 m³. La limite des abattages de bois feuillus étant traditionnellement fixée à la fin avril dans les forêts publiques, ces ventes pourraient être les dernières avant l’automne.

    Le processus, répétons-le, ne fait que s’amorcer : seules 4 scieries sur les 14 inscrites ont pu acheter des bois, et encore en quantités relativement réduites.

    Il faut aussi rappeler l’objectif de l’initiative et ses limites. Il ne s’agit pas de substituer le gré à gré aux adjudications publiques, mais de fournir une bouffée d’oxygène aux scieries de bois feuillus en sécurisant une partie de leur approvisionnement. En réduisant le risque de ne pas avoir de bois, les ventes de gré à gré apportent aux scieries une certaine sérénité dans leur campagne d’achats, ce qui affecte positivement toute leur activité.

    Cette initiative est nécessaire, mais pas suffisante, car il faut traiter le problème dans sa globalité, sans croire qu’il est possible de restaurer la marge bénéficiaire des scieries et leur compétitivité uniquement en achetant la matière première à de meilleures conditions.

    C’est ce à quoi l’Office économique wallon du bois s’attache en agissant dans les domaines suivants :
    - procédés de fabrication : amélioration des techniques de sciage, diversification…
    - produits : bois modifiés thermiquement (BMT), hêtre dans la construction…
    - commercialisation : film de présentation du secteur pour l’exportation, coaching, rencontres producteurs/acheteurs, réflexion sur la mise en place d’une plateforme commerciale…

    Pour atteindre leurs objectifs, les ventes en gré à gré, qui jusqu’à présent n’ont concerné que des forêts domaniales, devront porter aussi sur des bois communaux (qui représentent plus de 70 % des forêts publiques).

    Mais l’initiative n’est en rien contraignante pour les communes qui ne s’y associeront que sur une base volontaire, comme c’est le cas pour la Ville de Bouillon qui a mis en vente un lot de 243 m³ le 27 février.

    Les ventes de gré à gré sont en réalité des ventes par adjudication avec appel d’offres restreint, pour conserver les effets d’une concurrence. L’analyse des premières ventes montre que les prix obtenus pour les lots vendus en 2014 étaient inférieurs à l’estimation, vraisemblablement en raison d’un nombre trop faible de soumissionnaires. Les premières ventes de 2015, avec un appel d’offres plus large, ont été nettement plus satisfaisantes ; les prix obtenus ont dépassé les estimations du DNF.

    Mais l’évaluation du revenu communal ou régional ne doit bien entendu pas s’arrêter aux seules rentrées qu’entraîne ce type de vente. Dès lors qu’une activité économique locale est maintenue, il faut prendre en compte toutes ses retombées dans la mesure des effets de l’action.

    En bref, la vente à l’export générera sans doute, pour le propriétaire, des revenus légèrement supérieurs (si ce n’était pas le cas, cela signifierait que les prix proposés par les scieurs sont compétitifs, et les ventes de gré à gré n’auraient pas de raison d’être), mais réduira l’activité économique et les emplois locaux. Il faut ajouter à cela que le maintien d’une activité locale de transformation du bois met les communes à l’abri d’un risque majeur : celui d’être pieds et poings liés aux acheteurs asiatiques. Si l’outil de transformation disparaît, la situation de monopole dans laquelle se trouvera l’acheteur asiatique lui permettra d’acquérir la matière première à vil prix. Les faibles pertes que pourraient entraîner les ventes de gré à gré éviteront ainsi aux communes de beaucoup plus grosses pertes. Les marchés asiatiques sont en outre particulièrement volatils. Si les acheteurs asiatiques se détournent des bois belges après avoir provoqué la disparition des scieries, l’avenir des bois feuillus wallons deviendra plus qu’incertain…