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Le lien entre l'accès à l'emploi des jeunes et leur origine sociale

  • Session : 2014-2015
  • Année : 2015
  • N° : 118 (2014-2015) 1

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  • Question écrite du 17/02/2015
    • de LUPERTO Jean-Charles
    • à TILLIEUX Eliane, Ministre de l'Emploi et de la Formation

    Le site du journal Le Monde publiait le 29 octobre un article intitulé : « Les enfants de cadres accèdent plus facilement à l'emploi ».

    En substance, l'article du journal Le Monde fait la lumière sur les facilités d'accès à l'emploi qui touchent les enfants issus de familles dont les deux parents sont cadres. Selon cet article qui se base sur une enquête de terrain réalisée par le CEREQ (Centre d'études et de recherche sur les qualifications), il apparaît clairement que les chances d'accéder à l'emploi sont nettement liées à l'origine sociale des enfants. Les données statistiques indiquent que les enfants de cadres ont 71 % de chances d'accéder durablement à l'emploi, contre 55 % pour ceux dont les parents sont ouvriers ou employés. Le taux chute à 51 % pour les jeunes issus de l'immigration.

    Nous sommes tous d'accord pour reconnaître que l'insertion des jeunes sur le marché du travail est primordiale, mais là aussi, on peut noter un écart important. Toujours selon l'enquête du CEREQ, il apparaît que : « trois ans après leur sortie des études, le taux de chômage des jeunes dont les deux parents sont cadres est de 11 %, contre 27 % pour ceux dont les deux parents sont ouvriers ». L'étude souligne en outre que « la reproduction sociale ne connaît pas la crise. En effet, 58 % des fils et filles d'ouvriers et d'employés sont ouvriers ou employés à leur tour. Seulement 9 % ont obtenu le statut de cadre dès leurs premières années sur le marché du travail, alors que 39 % des enfants de cadres y sont parvenus ».

    Existe-t-il une enquête similaire pour la Wallonie ? Disposons-nous de statistiques liant accès à l'emploi et origine sociale ? Dans la négative, ne serait-il pas opportun d'y pourvoir ?

    Par ailleurs, Madame la Ministre ne pense-t-elle pas que la situation évoquée par cet article relève d'une forme de discrimination qui ressemble quelque peu à celle que soulignaient Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron dans les années 1970, lorsqu'ils évoquaient les héritiers ?

    Tenant compte des informations qu'apporte cet article, ne conviendrait-il pas de s'interroger différemment sur l'efficience de l'accompagnement des jeunes sur le terrain et sur la manière de rétablir un équilibre afin que chacun soit en mesure de trouver une place correspondant à ses qualifications ? Ceci nous permettrait peut-être de ne pas prendre le risque d'assister à une reproduction sans fin des origines sociales, sachant que rien n'exaspère davantage les gens que le sentiment de voir l'ascenseur social bloqué.
  • Réponse du 16/03/2015
    • de TILLIEUX Eliane

    En Wallonie, nous ne disposons pas des données administratives pour étudier la corrélation entre les catégories socioprofessionnelles des parents et l’insertion à l’emploi de leurs enfants. Étudier ces phénomènes demande de pouvoir effectivement disposer de données d’enquêtes longitudinales comme l’enquête « Générations » en France.

    Il serait possible de commander une étude croisant certaines données des enquêtes fédérales sur les Forces de Travail pour éclairer ces questions. Néanmoins se poserait la question de la représentativité de l’échantillon – surtout à l’échelle régionale.

    Dans un cadre moins ambitieux, nous pouvons d’ores et déjà tenter de faire apparaître un lien entre origine sociale, scolarité et insertion dans l’emploi en Wallonie par l’intermédiaire de deux sources :
    - Les études du FOREm sur l’insertion des jeunes demandeurs d’emploi en Wallonie,
    - Les « indicateurs de l’enseignement » sur les disparités socio-économiques dans l’enseignement secondaire et supérieur.

    Au regard de l’étude 2013 du FOREm, sur l’insertion des jeunes demandeurs d’emploi wallons (1), on observe clairement un lien entre un faible niveau d’études et des difficultés d’insertion dans l’emploi. En effet, les personnes avec le moins bon taux d’insertion proviennent de l’enseignement primaire et secondaire de base (22,9 %) et de l’enseignement secondaire deuxième degré (35,5 %). À l’inverse, les jeunes demandeurs d’emploi avec les meilleurs taux d’insertion sont issus de l’enseignement supérieur (65,5 %) ou de l’apprentissage (66,2 %).

    En ce qui concerne les indicateurs sur les disparités socio-économiques dans l’enseignement secondaire, un indice socioéconomique (ISE) a été attribué à chaque élève sur la base des caractéristiques socioéconomiques du quartier1 où il vit. Celles-ci intègrent, par exemple, le revenu moyen par habitant, le revenu médian par habitant, le niveau des diplômes, le confort des logements, le taux de chômage, le statut de la personne et l’activité professionnelle.

    L’analyse de ces indices fait apparaître une disparité importante selon, d’une part, le degré d’enseignement et, d’autre part, selon que l’élève fréquente l’enseignement professionnel, technique de qualification, l’enseignement technique de transition ou l’enseignement général. Ainsi, les élèves se destinant à l’enseignement supérieur (6e année générale ou 6e année de transition) ont les indices socio-économiques les plus avantageux.
    À l’inverse, les élèves du premier degré différencié ont un indice socio-économique très défavorable.

    Cette reproduction sociale est confirmée par une étude du GIRSEF de 2008 (2). En effet, il semblerait que « le handicap lié au fait de commencer ses études universitaires avec une ou plusieurs années de retard est généralement d’autant plus important que l’étudiant est issu d’une classe sociale moins favorisée ». Ainsi, en croisant des éléments socio-économiques avec le parcours antérieur des étudiants (retard scolaire ou options plus ou moins fortes), les chercheurs du GIRSEF montrent une corrélation entre origine sociale et réussite dans le supérieur- universitaire ou non - qui, je viens de l’évoquer, est un des principaux sésames vers l’emploi.

    Complémentairement aux deux études belges que je viens d’évoquer, nous pouvons également considérer l’étude SILC menée par Eurostat sur les conditions de vie des Européens qui s’est, entre autres sujets, penchée sur le niveau de pauvreté des enfants en fonction du niveau de diplôme des parents. Cette étude nous apprend que la Belgique se situe dans la moyenne européenne. Elle montre également qu’en Belgique, dans une famille où le diplôme le plus élevé est le secondaire inférieur, le risque de pauvreté des enfants de moins de 18 ans est de 59,3 %, contre 60,5 % au niveau européen (3).

    De la même façon, la thématique de la mobilité sociale intergénérationnelle a été étudiée par l’enquête European social Survey (ESS). Y sont notamment mis en relation la catégorie socioprofessionnelle des adultes, avec les catégories socioprofessionnelles de leurs parents. Un constat est également tiré sur une société belge inégalitaire et dans laquelle les inégalités se reproduisent. Ainsi, selon ces chercheurs, en Belgique, un enfant de père sans emploi aura 16 fois moins de chances de devenir cadre supérieur à son tour, et 16 fois plus d’être sans emploi qu’un enfant de cadre supérieur. Dans le même sens, les enfants des classes aisées ont plus de chance d’accéder à des positions supérieures.
    Enfin, grâce au dispositif PISA notamment, on connaît l’influence du niveau socio-économique des familles sur les performances des élèves telles que mesurées par les tests. On sait par exemple que la Belgique est un des pays où le milieu familial explique une part importante de la variance de la performance en compréhension de l’écrit.
    Le dispositif mis en place en France auquel le GIRSEF fait référence porte sur un élément des trajectoires individuelles, à savoir la transition-école/vie active. Il implique de mener des enquêtes rétrospectives régulières auprès d’un vaste échantillon de jeunes (80 enquêteurs mobilisés pendant 4 mois pour interroger plus de 30.000 étudiants).

    En Belgique francophone, l’accord de coopération organisant la mise en œuvre d’un cadastre des parcours éducatifs et postéducatifs, conclu le 20 mars 2014 entre la Fédération Wallonie-Bruxelles, la Région wallonne, la COCOF et la Communauté germanophone permettra, lorsque le cadastre sera opérationnel, de donner des informations sur les positions occupées sur le marché du travail, sur une période de plusieurs années après la sortie des études, de cohortes successives de jeunes issus de tous les niveaux de l’enseignement. Ce dispositif, basé sur des données administratives, pourra donc renseigner sur l’influence du niveau de diplôme et du parcours scolaire sur les trajectoires individuelles d’insertion, tout en ne permettant cependant pas de prendre en considération la variable de l’origine sociale.

    Comme l'honorable membre le sait, l’emploi des jeunes constitue une priorité pour le Gouvernement wallon. La Déclaration de politique régionale wallonne met la priorité sur la mise en œuvre et l’amplification du dispositif de la « Garantie jeunes », en Wallonie, qui, dans l’esprit de la recommandation européenne, vise à offrir à tous les jeunes au sortir des études un stage, un emploi ou une formation au plus tard quatre mois après leur inscription, avec une attention particulière donnée aux moins diplômés et aux jeunes éloignés du marché du travail.

    La garantie devra notamment permettre une adaptation des méthodologies et des techniques d’accroche des jeunes dans l’accompagnement individualisé, avec un mode d’accompagnement adapté à ces générations, caractérisées par une recherche constante de connectivité, de flexibilité et de souplesse. Cette démarche demande un investissement important dans les modes de communication avec les jeunes qui devront être davantage orientés vers les médias sociaux, les SMS, le téléphone – canaux beaucoup plus souples et réactifs.

    De nouveaux modes d’accompagnement pourront être expérimentés, tels que le projet « parrainage » qui permettra aux jeunes de bénéficier de l’appui et de conseils de mentors, travailleurs avertis, salariés ou indépendants. Le but étant d’apporter à ces jeunes un soutien personnalisé, une approche de mise en réseau, une réflexion sur le parcours d’insertion et un appui dans la découverte du monde de l’entreprise, de sa culture, ses codes et ses usages.

    Par ailleurs, la garantie jeunesse s’appuiera sur la prise en charge rapide de chaque jeune qui sort de l’école, par un conseiller référent du FOREm qui, en fonction des besoins spécifiques, activera les outils adéquats et efficaces qui aideront le jeune à s’insérer durablement sur le marché de l’emploi. Il pourra notamment s’agir de mesures permettant d’intensifier les liens avec l’entreprise et de multiplier l’accès rapide aux stages en entreprise, - entre autres de transition - , et à la formation alternée, deux dispositifs particulièrement adaptés au public jeune.  

    Le Gouvernement wallon et moi-même sommes résolument déterminés à améliorer la situation de l’emploi en Wallonie et, en particulier, celle des jeunes qui connaissent des difficultés à s’insérer professionnellement.



    (1) Le FOREm, L’INSERTION AU TRAVAIL DES JEUNES DEMANDEURS D’EMPLOI WALLONS SORTIS DE L’ENSEIGNEMENT EN 2013, septembre 2014.
    (2) M. VAN CAMPENHOUDT, F. DELL’AQUILA, V. DUPRIEZ, La démocratisation de l’enseignement supérieur en communauté française de Belgique : Etat des lieux dans Les Cahiers de Recherche en Éducation et Formation - n° 65 - décembre 2008, p. 28-29.
    (3) http://epp.eurostat.ec.europa.eu/portal/page/portal/income_social_inclusion_living_conditions/data/database