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Les données relatives à la répartition des revenus des ménages

  • Session : 2014-2015
  • Année : 2015
  • N° : 129 (2014-2015) 1

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  • Question écrite du 06/07/2015
    • de HAZEE Stéphane
    • à MAGNETTE Paul, Ministre-Président du Gouvernement wallon

    Dans nombre de politiques mises en place par le Gouvernement, il est fait référence, d'une manière ou d'une autre, au revenu fiscal via, le plus souvent, une copie de l'avertissement-extrait de rôle. C'est notamment le cas de la récente réforme des primes aux particuliers en matière de logement et d'énergie, qui varient en fonction du revenu fiscal.

    Nous ne disposons pas à ce jour d'un autre document officiel, qui soit à la fois connu et incontesté, pour établir les revenus. Pourtant, nous savons que le revenu fiscal ne donne pas une représentation correcte de l’entièreté des revenus. En effet, certains contribuables font une déclaration commune à deux membres du ménage, d'autres font des déclarations individuelles. Il est donc difficile de connaître la répartition des revenus des ménages, en fonction du nombre de membres du ménage et de la hauteur des revenus totaux du ménage.

    Afin de poser de meilleurs choix d'évolution des paramètres fiscaux wallons à l'IPP et des choix politiques plus éclairés en matière de primes, etc. ainsi que d'évaluer le coût global des dispositifs prévus, il apparaît utile de pouvoir disposer d'une banque de données permettant de déterminer les catégories de revenus et le nombre de ménages et d'ainsi répondre à des questions telles que: combien de ménages ont un revenu inférieur à tel seuil, combien de ménages ont un revenu situé entre tel et tel montant, etc. Au-delà des décideurs politiques, ces données pourraient également intéresser de nombreux chercheurs.

    Existe-t-il à ce jour un outil permettant de rassembler ces données ? Le Gouvernement a-t-il déjà examiné l'intérêt d'une telle banque de données dans le travail de réflexion et de préparation des dispositifs à mettre en place?

    Une piste pour obtenir une telle banque de données serait de coupler les données fiscales et les données du registre de la population. Ceci permettrait de disposer d'une répartition des ménages en fonction de différents niveaux de revenus. Cet exercice semble techniquement possible et pourrait ensuite recevoir l'approbation de la Commission de la protection de la vie privée.

    Le Gouvernement s'est-il déjà penché sur la possibilité de mettre en place ce type de banque de données ?

    Monsieur le Ministre-Président a-t-il pris une initiative en la matière ?

    Le cas échéant, peut-il préciser le délai dans lequel elle pourrait être mise en place ?
  • Réponse du 07/08/2015
    • de MAGNETTE Paul

    Comme le mentionne l’honorable membre, de nombreux dispositifs publics se fondent sur les revenus des ménages pour définir les publics cibles de la politique publique visée. Cette « catégorie » statistique joue dès lors un rôle important dans les modalités d’action publique. Cette situation peut s’avérer problématique dès lors que certains « ménages » n’apparaissent pas administrativement, notamment pour le fisc qui considère deux revenus séparés pour les non-mariés ou noncohabitants légaux. Cette situation fait partie des effets communément appelés « de seuil » qui sont malheureusement inhérents à la détermination de paramètres des dispositifs publics; paramètres pourtant essentiels pour cibler l’action publique de manière efficace et efficiente.

    Il convient toutefois de noter que le « ménage » n’est pas une catégorie naturelle. Dans l’absolu, il n’existe pas de critères intrinsèques à partir desquels on pourrait établir que des personnes forment ou non un ménage. Il existe, en revanche, des conventions et des critères administratifs qui définissent le ménage. Le fisc a retenu le mariage et la cohabitation légale, qui impliquent tous deux de remplir une déclaration commune de revenus. Convient-il de modifier le contour de ce que le fisc appréhende comme un ménage ? Peut-être, mais quelles que soient les modifications apportées à ces conventions, cellesci souffriront toujours des mêmes défauts que le contour actuel et connaîtront également une multitude de cas situés à ses limites. S’interroger sur la construction de la catégorie « ménage » n’a de sens que si l’objectif est d’éclairer la nature de la composition des revenus en son sein, en posant donc la question du niveau d’agrégation des personnes le plus pertinent. Dans ces conditions, dès lors que l’objectif est de mettre en évidence l’accès des personnes à des ressources, la meilleure et la plus progressiste des solutions devrait être d’individualiser les revenus plutôt que de chercher à quel niveau les agréger.

    L’utilisation des revenus des ménages conduit, en effet, souvent à ne pas prendre en compte des inégalités de genre qui persistent au sein des ménages. Les données concernant ceux-ci sont particulièrement intéressantes du point de vue du genre compte tenu du fait que les inégalités entre hommes et femmes dans différents domaines (emploi, violence, pauvreté….) sont généralement liées à la situation familiale. Dès lors que les analyses de genre se basent presque toujours sur des statistiques ventilées par sexe, les données relatives aux ménages constituent un problème. Le taux de pauvreté en fournit un bel exemple. Il est traditionnellement estimé sur base de l’hypothèse forte d’une mise en commun et d’un partage intégral de tous les revenus entre les membres d’un ménage, quel que soit leur apport propre. Selon cette approche, une personne est pauvre si elle appartient à un ménage pauvre, quels que soient ses revenus personnels.

    Si l’on met en question cette hypothèse, en admettant que les membres d’un même ménage peuvent avoir un niveau de bien-être différent, alors, la majorité des estimations de la pauvreté sont inexactes et les politiques mises en œuvre pour la combattre risquent d’être mal calibrées. Les politiques traditionnelles risquent de renforcer les inégalités de genre et s’avérer inaptes à augmenter le niveau de vie d’une partie de la population.

    Pour établir des analyses de genre, on regrette souvent le fait de ne pas disposer de données individuelles dans les principales bases de données pouvant être utilisées pour étudier les ressources et les consommations. Par exemple, il n’est pas possible d’établir, sur base de l’enquête sur le budget des ménages, qui dépense combien, pour quoi et quelles sont les différences sexuées au niveau de la consommation.

    Cette vision particulière et partielle de la société qui correspond à celle du modèle unitaire de la famille qui agit « comme un seul homme », ignorant les besoins et les ressources respectifs de chacun de ses membres, se retrouve aussi dans le fait que les droits sociaux ne sont toujours pas des droits individuels et dans la manière dont sont calculés les indicateurs de suivi des politiques.

    Les implications de cette option sont fortes. Comment lutter efficacement contre les inégalités hommes/femmes, si l’on ne mesure pas ces inégalités à l’aune des revenus individuels ? Comment lutter contre la pauvreté des femmes si celleci est dissimulée, car enfouie au sein d’un ménage ?

    L’utilisation des revenus du ménage  quelle qu’en soit la définition  pour poser des choix politiques comporte donc des risques importants. Alors que ce choix peut se justifier pour concevoir des aides publiques telles que les primes d’énergie, qui sont plus liées aux résidences ou infrastructures, il se justifie indéniablement beaucoup moins pour ce qui concerne les avantages sociaux liés à la personne, ses caractéristiques sociodémographiques et sa situation sur le marché du travail.

    Ces éléments de réflexion n’enlèvent rien à la pertinence de la question sur la possibilité d’apporter des renseignements sur les revenus des ménages (tout en laissant la possibilité de distinguer entre les situations individuelles des différents membres).

    Ces enjeux soulignent donc combien l’interfédéralisation de l’INS offre une opportunité précieuse à la Wallonie de faire valoir dans les instances de production des données statistiques nationales, des approches complémentaires qui, si elles peuvent être considérées sous un angle technique, prennent tout leur sens lorsqu’on les place dans une logique de philosophie de l’action publique et de soutien actif à la production des dispositifs de cette action publique visant à construire une société plus équitable.

    Au-delà de cette interfédéralisation, l’Iweps est d’ores et déjà pleinement conscient de ces enjeux et veille à individualiser au mieux les données statistiques en sa possession.

    De même, en l’état des développements statistiques, plusieurs sources peuvent déjà être mobilisées pour estimer la répartition des revenus des ménages, même si elles reposent sur des définitions de ménage souvent différentes entre les enquêtes, ce qui réduit leur pertinence en tant que « ressources » pour l’action publique.

    À titre d’exemple, on trouve des informations sur les répartitions des revenus selon les types de ménages dans les enquêtes suivantes :

     SILC (possibilité de calculer à la fois les revenus des ménages et de leurs membres) ;

     Household Finance and Consumption Survey : https://www.nbb.be/fr/articles/structure-et-repartition-du-patrimoie-des-menages-une-analyse-sur-la-base-de-la-hfcs (données belges) (informations uniquement sur les revenus des ménages, sans possibilité de descendre aux revenus individuels de leurs membres) ;

     Household Budget Survey : http://statbel.fgov.be/fr/statistiques/collecte donnees/enquete/budget des menages/ (données régionales) (informations uniquement sur les revenus des ménages sans possibilité de descendre aux revenus individuels de leurs membres).