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Le concept de "taxe terrienne"

  • Session : 2014-2015
  • Année : 2015
  • N° : 193 (2014-2015) 1

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  • Question écrite du 09/07/2015
    • de TROTTA Graziana
    • à LACROIX Christophe, Ministre du Budget, de la Fonction publique et de la Simplification administrative

    Une équipe de professeurs de l'UCL s'est récemment penchée sur le concept de taxe terrienne qui s'apparenterait à une redevance à la collectivité en échange du droit de posséder et d'utiliser la terre (article publié dans Regards économiques de juin 2015).

    « Cette taxe admet le principe de la propriété privée de la terre, mais exige une contrepartie du propriétaire en échange du privilège de pouvoir privatiser un terrain et d'en monopoliser les services », indiquent les auteurs.

    Ces derniers, qui insistent sur le fait qu'une telle taxe ne doit s'ajouter aux charges existantes, mais être compensée par un allègement ou une suppression d'autres taxes, ont examiné les arguments plaidant en sa faveur.

    Considérant qu'elle porte sur un actif immobile, elle est difficilement éludable. La disponibilité de la terre étant fixe, il y aurait par ailleurs moins de distorsions dans les choix économiques que d'autres formes de fiscalité (notamment en termes de réduction d'activité). Une telle taxe pourrait également constituer un outil de lutte contre la spéculation et la rétention de terres qui pourraient au contraire servir pour construire des logements et des espaces d'activités économiques.

    Cette taxe serait susceptible de s'appliquer à tout type de terres, mais pourrait varier par exemple selon la surface, la valeur, la rente éventuelle. Et selon l'étude, une taxe terrienne pourrait s'appliquer sur tout un territoire – le territoire wallon par exemple – ou bien au contraire être instaurée par les pouvoirs locaux, par exemple en remplacement de la taxe sur les terrains à bâtir non bâtis.

    Les économistes ajoutent que les recettes pourraient être non négligeables. Se basant sur des chiffres de l’IWEPS, ils estiment qu'en Wallonie une taxe terrienne de 10 euros/are par an prélevée sur les zones d’habitat, d’activité économique et d’extraction rapporterait 223 millions d'euros par an. Pour sa part, une taxe terrienne de 1 euro/are par an prélevée sur les zones agricoles et forestières rapporterait 133 millions euros par an.

    Monsieur le Ministre peut-il faire part de son avis sur une telle taxe ? Cette possibilité a-t-elle déjà fait l'objet d'une analyse ou d'une étude de la part de son administration ou avec le soutien de la Région ? Dans la négative, compte-t-il faire étudier de manière multidisciplinaire une taxe de ce type, afin d'en évaluer la faisabilité à l'échelle de la Wallonie et les impacts sur les plans économique, financier, urbanistique (notamment agricole), institutionnel ou encore juridique ?
  • Réponse du 06/08/2015
    • de LACROIX Christophe

    En réponse à la question écrite de l’honorable membre, il est porté à sa connaissance les éléments suivants.

    L’article de l’équipe de professeurs de l’UCL que l'honorable membre évoque dans sa question expose de manière relativement claire et didactique les aspects économiques purs d’une taxe terrienne et votre question contient parfaitement sa conclusion, à savoir que l’étude de la faisabilité d’une telle taxe nécessiterait une analyse pluridisciplinaire élargie.

    Selon les économistes, une taxe terrienne présenterait les avantages suivants :

    • elle porte sur un actif immobile, donc sa base imposable serait non éludable et les renseignements nécessaires à sa perception seraient faciles à récolter;
    • elle n’impliquerait théoriquement pas de distorsion dans les décisions économiques;
    • elle découragerait la spéculation ainsi que les pratiques de rétention de terres;
    • elle pourrait constituer une compensation financière partielle si elle est réduite automatiquement en cas de « désutilité » de la terre.

    L’ampleur à donner à une telle taxe pourrait également être très variable selon l’ampleur qui lui serait donnée et les services qu’elle financerait. Ainsi, la possibilité de financer les pouvoirs publics au moyen d’une taxe unique sur la terre (ou, plus globalement, les ressources naturelles) en lieu et place de l’ensemble des taxes affectant négativement l’activité économique, en particulier les charges sur le travail, est évoquée. Elle s’oppose à une conception plus modeste, ne s’appliquant qu’à certaines catégories de terres (par exemple résidentielles) en excluant d’autres catégories (par exemple agricole).

    Il me semble indéniable que la réflexion concernant une telle forme de taxation n’est pas aboutie et nécessiterait une étude approfondie multidisciplinaire selon, notamment, la place qui lui serait donnée dans les sources de financement global.

    Aucune étude n’a été réalisée par mon administration. Néanmoins, je peux entendre qu’elle puisse avoir sa place dans les discussions actuelles liées au tax shift.

    Toutefois, des volets importants de la réflexion me semblent être incontestablement les aspects juridiques et institutionnels.

    En effet, la compétence en matière de fiscalité immobilière est, dans notre pays, répartie entre plusieurs niveaux de pouvoir, fédéral, régional, local et selon une déclinaison allant de la possession à la transmission en passant par les revenus, et pouvant être accompagné d’avantages ou désavantages spécifiques.

    Or, toujours selon l’étude, une taxe terrienne peut s’envisager tant sur la surface de la terre que sur sa valeur ou encore sur son revenu. Elle ne pourrait s’ajouter aux charges existantes, mais devrait être compensée par un allègement ou une suppression d’autres taxes ou charges. Selon l’option retenue, différents niveaux de pouvoir pourraient être ainsi impliqués, tant au niveau législatif que budgétaire, ce qui ne s’avérerait pas simple.

    Par ailleurs, en termes budgétaires, et par rapport à l’ampleur qui pourrait être donnée à une telle taxe par rapport aux chiffres repris dans l’article et dans la question, je ne rappellerai pas l’importance que représentent pour la Région et les pouvoirs locaux les différents impôts et taxes ayant un lien avec une telle taxe, notamment les droits de succession, les droits d’enregistrement et le précompte immobilier, dans une moindre mesure pour la Région, mais très importants pour les pouvoirs locaux.

    Les exemples repris dans l’article ne sont bien sûr que des exemples. Néanmoins, j’entrevois déjà la difficulté relevée dans l’article dès lors qu’une taxe de 100 euros/hectares, soit 1 euro/are, représenterait déjà une difficulté pour nombre d’agriculteurs propriétaires une importante réduction de leurs revenus bruts.

    En termes techniques, je rappellerai que la gestion du précompte immobilier des droits d’enregistrement et de succession est encore aujourd’hui entre les mains fédérales.

    Enfin, en tout état de cause, je pense qu’une refonte de la fiscalité immobilière ne pourra se faire au détriment de l’équité fiscale et devrait prendre en compte les objectifs de la déclaration de politique régionale en matière immobilière et de logement.