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La problématique des chasseurs de brevets et leur influence sur l'innovation industrielle

  • Session : 2014-2015
  • Année : 2015
  • N° : 294 (2014-2015) 1

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  • Question écrite du 17/07/2015
    • de ZRIHEN Olga
    • à MARCOURT Jean-Claude, Ministre de l'Economie, de l'Industrie, de l'Innovation et du Numérique

    Le phénomène des chasseurs de brevets est bien connu aux États-Unis. Ces « Patent privateers » sont des firmes qui gèrent ou achètent les droits liés aux brevets en proposant des licences ou en entamant des actions judiciaires. Plusieurs personnes, par exemple l'Américain Gérard Haas ou, plus près de chez nous, l'économiste Paul Belleflamme, se sont penché sur ces pratiques, qui permettent à des firmes de développer des actions judiciaires ou négocier l'usage de brevets, souvent pour des sommes très importantes.

    Suivant les analyses, notamment du professeur Belleflamme, ces guerres de brevets nuisent à l'innovation, de par les sommes colossales englouties par les batailles juridiques plutôt que dans la recherche et développement.

    Surtout actives aux États-Unis, ces pratiques tendent à se développer en Europe.

    La recherche fait l'objet d'une attention particulière par le Gouvernement wallon, nous l'avons encore vu lors de l'adoption du récent décret. Le développement économique, notamment basé sur l'innovation, doit intégrer ces paramètres.

    Comment sont perçues les activités de ces chasseurs de brevets, ou de ces corsaires de brevets (lorsqu'ils agissent en sous-main pour les firmes industrielles) en Europe et singulièrement en Wallonie ? De quelle manière s'est-on penché sur cette problématique et quels sont leur coût et leur influence sur l'innovation industrielle ?
  • Réponse du 18/07/2015
    • de MARCOURT Jean-Claude

    Les chasseurs de brevets, ou « patent trolls » en anglais, sont des acteurs qui ont acquis des brevets non pas dans le but de les exploiter industriellement, mais uniquement dans le but d’en tirer profit. Pour ce faire, ceux-ci recourent à des actions ou à des menaces d’actions en justice envers des entreprises utilisant, parfois sans le savoir, une technologie protégée.

    L’activité des chasseurs de brevets est favorisée aux États-Unis par plusieurs facteurs :

    1. le coût très élevé des procédures judiciaires, qui pousse les sociétés à céder au chantage ;

    2. la possibilité d'obtenir d'un contrefacteur des sommes bien plus importantes qu'en Europe ;

    3. le fait que ces conflits soient jugés dans certains États par des jurys publics, qui ont une connaissance faible, voire nulle, en matière de brevets ;

    4. la taille du territoire couvert par un même brevet.

    En Europe, la situation est différente : il faut actuellement attaquer un brevet européen dans chaque pays où il a été validé, ce qui multiplie le nombre de procédures à mener pour arriver au même résultat qu'aux États-Unis.

    L’entrée en vigueur du brevet unitaire européen devrait changer la donne. Celui-ci sera accompagné de la constitution d’une Cour européenne des brevets. Elle disposera d’une compétence exclusive en matière de litiges concernant le brevet européen à effet unitaire. Il sera alors possible, lorsque les États membres auront ratifié le traité instituant cette cour unique, d’attaquer un brevet auprès d’une seule juridiction internationale. Le jugement aura alors un effet pour l’ensemble des pays signataires du traité.

    De plus, les procédures sont moins coûteuses en Europe qu'aux États-Unis.

    En outre, les juges en charge de cette problématique sont de plus en plus spécialisés. Ainsi, la Cour unifiée des brevets devrait justement inciter plus de sociétés à passer devant un tribunal plutôt que de céder au chantage.

    Par ailleurs, les indemnités perçues en cas de contrefaçon sont moins élevées qu'aux États-Unis.

    Enfin, l’Europe, et particulièrement la Belgique et la France, dispose du mécanisme de licence obligatoire, actuellement réglementé par l’article 31 de la loi belge sur les brevets d’invention.

    Ce système offre la possibilité d’obtenir une licence obligatoire dans plusieurs cas :

     ou bien en cas de défaut d’exploitation sans motif légitime pendant une certaine période ;

     ou bien lorsqu'une invention, couverte par un brevet appartenant au demandeur de la licence, ne peut être exploitée sans porter atteinte à un brevet antérieur, pour autant que le brevet dépendant du demandeur de licence apporte un progrès technique important.

    À l’échelle de la Wallonie, plusieurs outils ont été développés pour aider à protéger les entreprises innovantes. PiCarré apporte un support d’analyse d’antériorité en marques et brevets et fournit des services spécialisés en matière de propriété intellectuelle. L’administration wallonne de la recherche participe au financement de brevets. L’AEI finance des chèques « propriété intellectuelle » pour aider les entreprises à protéger systématiquement leurs connaissances.

    De plus, WSL, l’incubateur wallon des sciences de l’ingénieur, développe depuis plusieurs années des outils pilotes pour protéger la propriété intellectuelle des entreprises wallonnes. Ainsi, WSL n’a pas hésité à défendre en justice des sociétés incubées, avec lesquelles il était copropriétaire de brevets, pour défendre ses intérêts en matière de propriété intellectuelle. Je parle ici d’une vingtaine de procès, qui ont tous été gagnés.

    Ces jugements ont fait jurisprudence et ont par ailleurs été largement diffusés dans les milieux spécialisés. Cette diffusion a permis d’avertir les cabinets juridiques du volontarisme wallon en matière de protection de sa propriété intellectuelle.

    Fort de cette expérience, un modèle d’assurance brevet est actuellement testé sur la communauté des startups de WSL. Lorsqu’il sera affiné, ce modèle pourra être généralisé aux entreprises wallonnes. C’est un concept totalement original et novateur qui est en cours d’essai.

    De surcroit, il convient de rappeler que seuls 10 % des inventions font aujourd’hui l’objet d’une protection par un brevet. Cette statistique de la Commission européenne permet donc de relativiser l’impact des chasseurs de brevets sur l’économie européenne. En effet, le brevet ne constitue pas, en définitive, la meilleure protection possible. Ainsi, la mise au point de procédés ou de processus innovants ne nécessite pas toujours de dépôt d’un brevet et ce dépôt ne vise jamais qu’à rendre publique une technologie nouvelle !