/

La suspension du délai de recours en cas de saisine du Médiateur

  • Session : 2014-2015
  • Année : 2015
  • N° : 222 (2014-2015) 1

2 élément(s) trouvé(s).

  • Question écrite du 03/09/2015
    • de HENQUET Laurent
    • à LACROIX Christophe, Ministre du Budget, de la Fonction publique et de la Simplification administrative

    La récente modification des lois coordonnées sur le Conseil d’État prévoit dorénavant la suspension du délai de 60 jours pour introduire un recours au Conseil d’État lorsque le requérant introduit une réclamation devant un Médiateur.

    Ce délai est suspendu pendant maximum 4 mois. Cette période doit permettre au Médiateur de contribuer à trouver une solution au litige opposant le citoyen à l’administration et, en cas de succès, de mettre ainsi un terme à la procédure contentieuse.

    Dans un souci d’uniformité des procédures, le Médiateur estime qu’il serait cohérent d’étendre ce mécanisme de suspension des délais de recours aux autres procédures juridictionnelles existantes de même type, dont notamment, les recours administratifs.

    Faut-il rappeler qu’étendre ce mécanisme de suspension des délais de recours relève de la compétence des législateurs wallons et de la Fédération Wallonie-Bruxelles ?

    Monsieur le Ministre trouve-t-il pertinente l’idée avancée par le Médiateur ?

    Est-il prêt à la défendre devant le Parlement via un projet de décret ou à rejoindre cette position présentée via une proposition de décret ? Si non, pourquoi ?
  • Réponse du 24/09/2015
    • de LACROIX Christophe

    Le Médiateur de la Wallonie et de la Fédération Wallonie-Bruxelles formule annuellement dans ses rapports aux Parlements diverses recommandations, dont certaines concernent une évolution du cadre normatif régissant son action, en l’occurrence l’accord de coopération conclu le 3 février 2011 entre la Communauté française et la Région wallonne portant création d’un service de médiation commun à la Communauté française et à la Région wallonne.

    Le rapport annuel 2014 n’y fait pas exception : l’examen d’un mécanisme de suspension du délai pour introduire un recours administratif en cas de saisine du médiateur y est en effet suggéré (1).

    Actuellement, l’accord de coopération du 3 février 2011 prévoit que « la réclamation [auprès du Médiateur] doit être précédée de l’exercice des recours administratifs prévus ainsi que des démarches nécessaires auprès des autorités ou services intéressés aux fins d’obtenir satisfaction » (article 12, § 2).

    En l’état, il faut donc exercer les recours administratifs gracieux et organisés avant d’introduire une réclamation auprès du Médiateur.

    Néanmoins, le texte de l’accord de coopération du 3 février 2011 est contradictoire.

    En effet, l’accord prévoit en même temps que « l’examen d’une réclamation est suspendu lorsqu’elle fait l’objet d’un recours administratif ou juridictionnel » (article 14, alinéa 1er). Or, nous l’avons vu, l’exercice des recours administratifs, gracieux et organisés, est théoriquement un préalable à la médiation.

    Par ailleurs, la notion d’« exercice des recours » est elle-même ambigüe, pouvant être interprétée de deux façons : soit comme visant simplement l’introduction du recours, peu importe qu’il ait abouti ou pas, soit comme visant l’introduction du recours et son épuisement (2).

    Ces ambiguïté et contradiction sont pointées fréquemment par la doctrine juridique (3), mais aussi par le Médiateur lui-même dans ses rapports (4).

    La loi du 20 janvier 2014 portant réforme de la compétence, de la procédure et de l’organisation du Conseil d’État a modifié, notamment, les lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973.

    Comme le souligne l'honorable membre dans sa question, les lois sur le Conseil d’État prévoient maintenant que le délai de prescription de 60 jours pour introduire un recours au Conseil d’État contre un acte ou règlement susceptible de recours est suspendu durant 4 mois maximum en cas d’introduction d’une réclamation auprès d’un médiateur (5).

    Pour ce qui est de la suspension des délais pour introduire un recours administratif organisé, l’accord de coopération du 3 février 2011 prévoit que « l’introduction et l’examen de la réclamation (auprès du médiateur) ne suspendent ni n’interrompent les délais de recours (administratifs) » (article 14, alinéa 3, de l’accord de coopération du 3 février 2011).

    Certains auteurs estiment néanmoins que cette règle devrait être modifiée afin que la saisine du Médiateur suspende les délais pour introduire un recours administratif (6) afin de donner toutes ses chances à la médiation, tout en soulignant néanmoins que « pour ne pas prolonger exagérément l’incertitude que la perspective de recours fait peser sur la validité d’une décision administrative, cette suspension (…) devrait être limitée dans le temps » (7).

    La question peut donc recevoir la réponse suivante.

    L’accord de coopération du 3 février 2011 ne prévoit pas, actuellement, la possibilité de principe de saisir le Médiateur avant l’exercice des recours administratifs organisés. Dès lors, pour que l’idée d’une suspension des délais de recours administratifs organisés en cas de saisine du Médiateur ait un sens, il faudrait préalablement modifier l’accord de coopération pour permettre incontestablement une intervention du Médiateur avant tout recours administratif organisé.

    Si une telle modification de l’accord de coopération était actée, l’idée d’une suspension des délais pour introduire un recours administratif organisé pourrait seulement être examinée. Il conviendrait dans ce cadre d’analyser les conséquences d’une telle suspension. Comme souligné, la perspective d’un recours fait peser une incertitude quant à la validité de la décision administrative en cause, incertitude qui serait prolongée par une médiation retardant un réexamen en légalité dans le cadre d’un recours organisé. Par ailleurs, l’impact sur les réglementations prévoyant des recours administratifs organisés devrait être évalué et dûment pris en compte.

    Au-delà, il est à souligner que les recours administratifs organisés ne présentent pas les mêmes caractéristiques que le recours devant le Conseil d’État, notamment en termes de longueur de procédure ou de coût. De plus, le recours administratif n’est pas un recours juridictionnel, mais un recours devant l’administration active. L’opportunité de mettre en place un mécanisme prévoyant l’intervention du médiateur avant le recours administratif organisé est dès lors peut-être moins grande que celle de prévoir l’intervention du médiateur avant un recours devant le Conseil d’État.

    Au vu de ces éléments, je ne me prononce pas positivement sur l’introduction d’une suspension du délai pour introduire un recours administratif en cas de saisine du Médiateur.



    (1) Rapport annuel 2014 au Parlement wallon et au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Doc. parl., Parl. w., sess. 2014-2015, n° 183/1, p. 24.
    (2) Rapport annuel 2003-2004 au Parlement wallon, Doc. parl., Parl. w., sess. 2004-2005, n° 78/1, p. 32. Voy. aussi M.-J. Chidiac, « À propos des recours administratifs et démarches préalables précédant la saisine du Médiateur : analyse des articles 9, 10 et 11 du décret du 22 décembre 1994 portant création de l’Institution de Médiateur de la Région wallonne », C.D.P.K., 2004, p. 154, col. 2.
    (3) M.-J. Chidiac, art. cit., p. 151, note 2 ; D. Renders, Précis de droit administratif. Tome III. Le contrôle de l’administration, Bruxelles, Larcier, 2010, p. 154, note 677.
    (4) Rapport annuel 2003-2004 au Parlement wallon, Doc. parl., Parl. w., sess. 2004-2005, n° 78/1, p. 32.
    (5) Article 19, alinéa 3, des lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973.
    (6) M. Leroy, « Comment agencer médiation et juridiction ? », in Un médiateur fédéral consolidé pour le 21e siècle : des réformes nécessaires ?, Limal, Anthemis, 2011, p. 81.
    (7) M. Leroy, op. cit., p. 81.