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La procédure contradictoire ouverte aux administrés

  • Session : 2014-2015
  • Année : 2015
  • N° : 226 (2014-2015) 1

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  • Question écrite du 09/09/2015
    • de HENQUET Laurent
    • à LACROIX Christophe, Ministre du Budget, de la Fonction publique et de la Simplification administrative

    D’année en année, le Médiateur profite de son rapport annuel pour mettre en évidence l’opportunité d’un débat relatif à l’introduction d’une procédure contradictoire ouverte aux administrés.

    L’objectif avoué étant de leur permettre d’avoir recours à une contre-expertise et, dans le même temps, de leur enlever le désagréable sentiment d’être, parfois, à la merci de l’arbitraire d’un agent de l’administration.

    C’est surtout dans les domaines de l’urbanisme, de la police de l’environnement ou encore des aides au logement et à l’énergie que cette question revient fréquemment !

    Quelle est l'opinion de Monsieur le Ministre concernant cette recommandation, maintes fois répétée, du Médiateur ?
    Compte-t-il mettre enfin en place cette procédure contradictoire ?
    Si oui, quand ?
    Si non, pourquoi ?
  • Réponse du 30/09/2015
    • de LACROIX Christophe

    Il est un fait que depuis maintenant plus de dix ans, le Médiateur recommande annuellement l’institution d’une procédure contradictoire permettant aux administrés de bénéficier, notamment, d’une contre-expertise en matière administrative.

    Nous comprenons les préoccupations et l’attente du Médiateur qui, dans sa pratique quotidienne, peut régulièrement mesurer le désarroi et la frustration de certains citoyens face à la complexité et aux potentielles lacunes de l’organisation administrative.

    Avant d’exprimer ma réponse, j’aimerais toutefois rappeler quelques-uns des principes généraux du droit administratif, concourant à la protection quotidienne du citoyen face au risque de considérations arbitraires dans le chef de l’administration.

    Tout d’abord, il s’avère de rappeler qu’une autorité administrative n’agit pas en toute liberté vis-à-vis des citoyens. En effet, elle est tenue de respecter des principes généraux de « bonne administration » (1). La doctrine range au sein de ces exigences, notamment, « le devoir de minutie, le principe d’impartialité, (…), le principe de légitime confiance ou encore l’obligation de collaboration procédurale » (2).

    Parmi ces exigences de bonne administration figure également le principe général de l’audition préalable, connu également sous l’adage « audi alteram partem », qui « impose à l’autorité administrative de permettre à l’administré de faire-valoir ses observations au sujet d’une mesure grave, mais non punitive, qu’elle envisage de prendre à son encontre » (3). Quand bien même ce principe est assorti de conditions et d’exceptions, le respect de ses exigences assure la collaboration du citoyen et garantit une prise de décision en pleine connaissance de cause. Par ailleurs, lorsque l’administration se place sur le terrain du punitif pour sanctionner une personne, il conviendra de respecter les droits de la défense, dont le contenu est manifestement plus contraignant que celui du principe de l’audition préalable (4).

    Enfin, au-delà des principes généraux de droit administratif, soulignons l’existence actuelle d’une panoplie de procédés par lesquels le citoyen peut s’associer à l’élaboration de certaines décisions administratives (5). L’on pense par exemple aux réunions d’information, aux mesures particulières de publicité, à l’enquête publique, à la consultation populaire ou encore à la mise en place d’un comité d’accompagnement, à savoir un organe de dialogue entre le demandeur, les autorités publiques et la population à l'égard d'un projet autorisé (6). Ces procédés sont particulièrement développés et utilisés en matière d’urbanisme et de police de l’environnement. Plus particulièrement, dans les matières qui me concernent, au niveau de la Direction générale de la Fiscalité (DGO7), cette analyse contradictoire existe déjà en interne dans l’organisation, car chaque famille de taxes est organisée suivant les trois piliers suivants : établissement - contrôle – contentieux. Les services du contentieux sont indépendants des services d’établissement et sont donc habilités à remettre en cause une décision prise par leurs collègues, ce qui arrive de manière régulière. Si ce second avis ne rencontre pas encore les attentes du redevable, le citoyen a la faculté de saisir le médiateur de la Région qui procédera à sa propre analyse du dossier. Enfin, si une solution amiable ne peut être trouvée, il reste la voie judiciaire, comme dans toute autre compétence.

    Ainsi, l’on peut affirmer que le citoyen belge se trouve dans un État de droit au sein duquel les décisions de l’administration ne procèdent pas, par principe, de considérations arbitraires. Éclairés par ce contexte, nous doutons de la nécessité et de l’opportunité d’instituer explicitement et systématiquement la procédure contradictoire recommandée par le Médiateur.

    Elle ne semble tout d’abord pas nécessaire, vu les garde-fous entourant le pouvoir des autorités administratives. Plutôt que d’instituer une nouvelle procédure dont les principes et contours restent fondamentalement nébuleux, nous pensons qu’il convient de mettre tout en œuvre pour s’assurer, au moment de l’adoption d’un acte, que toutes les garanties et principes existants ont bien été suivis et que la décision est prise en connaissance de cause par une administration « normalement diligente, raisonnable et veillant au respect de l’intérêt général et de la légalité » (7). Dans l’hypothèse contraire, qui est et restera l’exception, il reste alors possible pour le citoyen qui se sent lésé d’utiliser ce que les juristes appellent un « recours gracieux », c'est-à-dire la possibilité de s’adresser à l’auteur de l’acte pour qu’il reconsidère sa décision. Ensuite, des recours administratifs organisés spécifiques sont également disponibles. Enfin, il peut être envisagé de saisir une juridiction indépendante et impartiale à l’encontre de l’acte potentiellement irrégulier.

    Par ailleurs, la procédure recommandée par le Médiateur ne me semble pas opportune, dans la mesure où l’instauration éventuelle d’un délai systématique permettant à la personne concernée par la décision de faire valoir ses remarques sur le projet de décision risque de freiner l’action de l’administration.



    (1) F. Piret, D. Renders, A. Trybulowski, « Les droits de la défense et les actes unilatéraux de l’administration : où l’unilatéralité ne va pas sans contradiction », Les droits de la défense, Bruxelles, Larcier, 2014, p. 64
    (2) P. Goffaux, Dictionnaire élémentaire de droit administratif, Bruxelles, Bruylant, 2006, p. 39.
    (3) Ibid., p. 27.
    (4) F. Piret, D. Renders, A. Trybulowski, op. cit., pp. 66 et 72.
    (5) Voy. Ph. Bouvier, Éléments de droit administratif, Bruxelles, Larcier, 2013, pp. 134-135.
    (6) Art. D. 29-25 du livre Ier du Code de l’Environnement, M.B., 9 juillet 2004.
    (7) P. Goffaux, op. cit., p. 39.