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Les taux négatifs

  • Session : 2015-2016
  • Année : 2016
  • N° : 389 (2015-2016) 1

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  • Question écrite du 17/06/2016
    • de MOTTARD Maurice
    • à MARCOURT Jean-Claude, Ministre de l'Economie, de l'Industrie, de l'Innovation et du Numérique

    Dans une interview de John Greenwood,  parue dans l’Écho du 28 mai dernier :

    « La capacité à se désendetter rapidement est la principale raison qui explique la différence entre le rythme de croissance aux États-Unis et celui enregistré en Europe et au Japon. Trop a été fait et c’est une des principales raisons de l’inefficacité de la politique monétaire menée dans ces 2 pays. Dans la zone euro, l’argent injecte a été replacé directement par les banques auprès de la Banque centrale européenne sans entrer dans le circuit économique et sans augmenter la masse monétaire en circulation, avec pour conséquence une fuite en avant des taux d’intérêt qui ont chuté en territoire négatif. Et la politique des taux négatifs n’est pas efficace pour soutenir l’économie. L’argent injecté par la Réserve fédérale américaine a été directement dirigé vers le secteur non bancaire, ce qui est la bonne manière de réaliser un assouplissement quantitatif efficace ».

    S’il en est ainsi, comme le décrit Greenwood, ne serait-ce pas un exemple à suivre que d’insister avec les autres régions d’Europe que l’argent soit directement dirigé vers le non bancaire, comme aux États-Unis, plutôt que d’être à nouveau déposé auprès de la BCE (où même un taux négatif ne parvient pas à retourner la situation) ?
  • Réponse du 24/08/2016
    • de MARCOURT Jean-Claude
    Cette question est évidemment très intéressante, car elle relève du cœur de la politique économique de relance dans l’Union Européenne. Toutefois, la Wallonie n’a que très peu de prise sur la politique monétaire qui relève de l’Eurosystème. Bien que ce sujet soit extrêmement vaste, il convient de se focaliser sur les points de votre question à savoir, d’une part, pourquoi les taux négatifs ne suffisent pas à relancer l’économie et la différence avec la politique monétaire aux États-Unis.

    Le premier élément à avoir à l’esprit est que le mandat exclusif affiché par la Banque centrale européenne (BCE) est de contenir la hausse des prix autour de 2% par an.

    Cette valeur correspondant à une hausse des prix jugée compatible avec une croissance économique durable. L’outil d’action conventionnel est le taux d’intérêt que la BCE applique aux banques commerciales, le taux étant plus ou moins élevé selon que l’activité économique est forte (il faut alors contenir les possibilités d’inflation) ou bien faible (il faut dans ce cas éviter les risques de déflation).

    Cette politique monétaire est efficace du moment que la BCE est en mesure d’orienter les anticipations des agents économiques par le biais de l’investissement pour les entreprises et de la consommation finale pour les ménages.

    La confiance et la stabilité sont donc des éléments clés pour que la politique monétaire opère correctement. Ce n’était clairement plus le cas à partir de 2008, à cause du climat de méfiance extrême qui régnait entre les banques, celles-ci ne se prêtant plus entre elles, ce qui a pour effet de bloquer les rouages permettant l’activité économique telle que le financement des entreprises.

    La BCE fut donc obligée de passer par d’autres canaux afin de préserver sa capacité à influer sur l’activité. On parle alors de « politique non conventionnelle ». Cela s’est matérialisé par une activité de prêteur en dernier ressort qu’a joué la BCE auprès des banques commerciales afin d’empêcher l’effondrement total de l’activité de crédit.




    Outre cet aspect de maintien de la transmission de sa politique se pose la question de la capacité des taux directeurs à influer sur l’économie lors d’un ralentissement très marqué. De fait, le taux d’intérêt atteint sa limite d’action lorsque sa valeur nominale atteint zéro. Pour ne rien arranger, nous nous sommes retrouvés non seulement avec une croissance négative, mais également avec une inflation extrêmement faible synonyme de risque de déflation. Soulignons que la Banque d’Angleterre et la Réserve fédérale ont pris davantage au sérieux ce risque que la BCE et ont été actives plus tôt dans leurs politiques non conventionnelles.

    De manière globale, les mesures non conventionnelles de politique monétaire peuvent être définies soit comme des mesures donnant lieu à une augmentation de la taille du bilan des banques centrales (quantitative easing) soit des mesures modifiant la structure du bilan (qualitative easing). Les politiques monétaires non conventionnelles ont en tout cas en commun d’aider au financement au-delà des horizons de très court terme des prêts interbancaires. Toute la question de cette politique non conventionnelle réside donc dans la nature et dans le volume des actifs négociés.

    La BCE s’est finalement aussi lancée dans ce type d’activité. Ainsi, depuis janvier 2015, cela s’est matérialisé par des opérations de « quantitative easing » qui consistent à racheter chaque mois des titres de dette de bonne qualité. Le montant mensuel dépensé était initialement de l’ordre de 60 milliards d’euros avant de passer à 80 milliards en mars 2016. De fait, cette opération semble avoir atteint son but puisque les taux à court terme sont très proches des taux à long terme. Cela poursuit le but de la BCE, car la détention de liquidité est pénalisée et l’on favorise l’investissement.

    Si on se pose à présent la question de l’injection de monnaie directement dans l’économie, apanage normalement de la politique budgétaire, c’est à cause des contraintes très fortes qui pèsent sur les finances des États membres. De fait, des plans de relance avaient été conduits de manière fructueuse à partir de la fin 2008. Cependant, l’embellie a été stoppée nette quand un ensemble de plans de rigueur ont été imposés dans les principaux pays de l’Union, car les politiques de relance menées au niveau international ont certes permis de maintenir le niveau d’activité, mais au prix d’un creusement des déficits, d’où l’initiative de diminuer les dettes dans l’optique de rassurer les marchés financiers.

    À titre d’exemple, ces restrictions ont varié entre 20 et 100 milliards d’économies sur les dépenses publiques en France, Italie et Allemagne (soit des montants environ 5 fois supérieurs aux montants des relances initiées fin 2008). La politique d’austérité budgétaire a été d’autant plus dommageable qu’il a été montré que vouloir diminuer les dépenses entraîne un risque déflationniste et une récession alors qu’en temps de faible croissance économique les multiplicateurs sont très élevés d’où un risque de très fort ralentissement.

    C’est en grande partie à cause de cette contrainte que la BCE a autant été mise en avant et la politique monétaire non conventionnelle tant utilisée.

    Il apparaît que ces contraintes budgétaires font qu’on se retrouve dans une situation où les taux d’intérêt sont très bas, mais les États ne peuvent pas pleinement en bénéficier, car ils sont trop endettés ; on a manifestement imposé une rigueur budgétaire trop tôt ce qui a anéanti une reprise durable.

    En fin de compte, la BCE suit, certes avec retard, la politique menée par la Réserve Fédérale américaine. Elle va même au-delà désormais avec le rachat, depuis juin 2016, de dette d’entreprise sur lequel la BCE exposera les premiers résultats à partir de juillet 2016. Il est prévu que ces achats de titres de dette d’entreprises (via des obligations) se fassent tant sur le marché primaire que sur le marché secondaire, à la différence des dettes publiques qui ne peuvent s’acquérir que sur les marchés secondaires. Le but est de faire baisser les rendements obtenus en achetant des obligations de grandes entreprises et de pousser les investisseurs à prendre plus de risque s’ils veulent obtenir de meilleurs rendements, ce qui peut se faire en achetant des titres d’entreprises de plus petite taille qui ont plus de mal à se financer.