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Les marchés publics liés aux prestations de coiffure, pédicure et esthétique au sein des maisons de repos et de soins dépendant du CPAS

  • Session : 2016-2017
  • Année : 2016
  • N° : 83 (2016-2017) 1

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  • Question écrite du 19/10/2016
    • de KNAEPEN Philippe
    • à FURLAN Paul, Ministre des Pouvoirs locaux, de la Ville, du Logement et de l'Energie

    Nombreuses sont aujourd’hui les maisons de repos qui proposent des services annexes, dont les plus demandés sont notamment les services de coiffure, d’esthétique et de pédicure. Ces services sont utiles à de nombreux points de vue, en cela qu’ils permettent aux personnes âgées de se sociabiliser tout en renouant avec des activités «  du quotidien  ».

    Cependant, il me revient que de nombreuses maisons de repos et de soins, dépendant des CPAS, ne respectent pas les lois en vigueur sur les marchés publics, et, par voie de conséquence, ne sont soumises à aucune forme de mise en concurrence.

    Outre une mise en concurrence via l’établissement de marchés par types de prestations, d’autres solutions plus souples existent pourtant, dont les formules de concessions.

    Les prestations, qui ne se fondent sur aucun marché ou concession et qui ne font l’objet d’aucune délibération des organes décisionnels, entrent néanmoins dans la comptabilité des CPAS dans la mesure où elles sont mensuellement refacturées aux pensionnaires des maisons de repos et de soins.

    Monsieur le Ministre confirme-t-il ces informations  ? Quel type de contrôle peut-être mis en place afin d’empêcher ce phénomène préjudiciable  ? Il semble à tout le moins anormal qu’un directeur financier d’un CPAS puisse payer les prestations d’un fournisseur qui n’ait fait l’objet d’aucune mise en concurrence ni d’aucune délibération  ?

    D’autre part, pourrait-il nous éclairer sur la responsabilité des autorités de ces CPAS en cas de litige entre les prestataires et les pensionnaires étant entendu qu’in fine les prestations sont facturées par les centres ?

    Enfin, Monsieur le Ministre pourrait-il nous indiquer les mesures qu’il a prises pour rappeler aux CPAS l’obligation de respecter les lois sur les marchés publics et la nécessaire mise en concurrence qui doit intervenir dans le cadre de ces prestations  ?
  • Réponse du 09/11/2016
    • de FURLAN Paul

    La problématique soulevée n’est pas neuve.

    En effet, l’organisation de services annexes à l’hébergement de résidents tels que des prestations de coiffure, de pédicure et d’esthétique par les pouvoirs adjudicateurs (CPAS, intercommunales,…) qui gèrent les maisons de repos/et de soins, pose souvent question en matière de respect ou non de la réglementation sur les marchés publics.

    D’aucuns soutiennent que ce type d’opération est soumis à la réglementation sur les marchés publics tandis que d’autres considèrent qu’il n’en est rien.

    En tout état de cause, ce que l’on peut d’emblée constater, c’est qu’il existe autant de montages juridiques possibles qu’il existe de situations de fait différentes. Cela signifie que, pour qualifier juridiquement une situation, il s’agira d’avoir égard à tous les éléments de fait susceptibles d’avoir une influence sur ladite qualification.

    Vu l’impossibilité d’être exhaustif, je vais, dans un premier temps, repréciser les grands principes imposés par la réglementation en matière de marchés publics afin de voir si celle-ci s’applique ou non et, dans un second temps, analyser quelques hypothèses rencontrées par les pouvoirs adjudicateurs.


    1) Les grands principes :

    L’article 3, 4° de la loi du 15 juin 2006 relative aux marchés publics et à certains marchés de travaux, de fournitures et de services définit le marché public de service comme étant : le contrat à titre onéreux conclu entre un ou plusieurs pouvoirs adjudicateurs et un ou plusieurs prestataires de services et qui a pour objet la prestation de services visés à l'annexe II de la présente loi.


    Pour que ces prestations constituent un marché public, plusieurs conditions cumulatives doivent donc être remplies :

    - La conclusion d’un contrat entre le CPAS et le coiffeur, la pédicure ou l’esthéticienne.
    En d’autres termes, la convention ne peut être conclue entre le résident et le coiffeur, la pédicure ou l’esthéticienne.
    - Le caractère onéreux du contrat
    La relation contractuelle entre le CPAS et le coiffeur ou l’esthéticienne ou encore la pédicure n’est pas gratuite, elle nécessite l’existence d’une contrepartie qui peut être en argent (paiement d’une somme à titre de rémunération) ou en nature via l’octroi d’un avantage.
    - Répondre aux besoins du CPAS
    La conclusion du contrat trouve son fondement dans la volonté dans le chef du CPAS de mettre en place ce type de service au profit des résidents de la maison de repos/et de soins.



    2) Analyse de quelques situations concrètes :

    Première situation : Le prestataire de service est engagé par le CPAS dans le cadre d’un contrat de travail ou est un agent statutaire :

    Il n’est évidemment nullement question, dans pareil cas, de marché public, dans la mesure où le prestataire de service est un membre du personnel du pouvoir local.

    C’est la réglementation relative au contrat de travail (en cas de travailleur contractuel) ou le statut (en cas d’agent statutaire) qui s’applique.



    Deuxième situation : Le prestataire de service est désigné, hors contrat de travail ou statut par le CPAS :

    Si le CPAS organise des services de soins au sein de la maison de repos/et de soins et fait appel à un prestataire, il faut distinguer selon que le prestataire assume ou non le risque lié à l’exploitation du service.

    En effet, si le prestataire désigné par le CPAS est en tout état de cause rémunéré par lui et que ce dernier prend en charge le risque de ne pas être remboursé par le résident, il s’agit d’un marché public. Il y a donc lieu d’appliquer la réglementation y relative et d’organiser une procédure de mise en concurrence entre plusieurs prestataires.

    Par contre, si le prestataire désigné par le CPAS est rémunéré directement par les résidents qui recourent à ses services et que le CPAS fixe préalablement des conditions relatives au fonctionnement du service (tarifs,…), il s’agira, dans ce cas, non pas d’un marché public, mais d’une concession de service.

    Si l’octroi des concessions de service échappe – jusqu’à la transposition en droit belge de la Directive européenne 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur l’attribution de contrats de concession - à toute législation spécifique, il importe de respecter les grands principes de droit administratif tels les principes d’égalité, de non-discrimination, de motivation, etc. Le respect de ces principes implique notamment l’organisation préalable d’une procédure de mise en concurrence.



    Troisième situation : Le CPAS appelle un prestataire de service à la demande d’un résident :

    Il en va tout autrement si le CPAS fait appel aux services d’un coiffeur, d’une pédicure ou d’une esthéticienne à la demande d’un résident en particulier et que le CPAS avance l’argent pour ensuite le récupérer en le refacturant dans la facture mensuelle.

    Dans ce cas, le contrat est conclu entre le prestataire et le résident, le CPAS n’intervenant que comme intermédiaire entre les deux parties. En d’autres termes, en cas de contestation, les parties devront pouvoir apporter la preuve que le contrat est conclu entre le résident et le prestataire de services.

    À cet égard, le Conseil d’État s’est prononcé, à deux reprises, dans le cadre d’un litige portant sur l’achat de médicaments.

    Un premier arrêt n°218.803 date du 2 avril 2012, le second arrêt n° 220.945 datant quant à lui du 10 octobre 2012.

    Voici les éléments importants de l’arrêt du 2 avril 2012 :

    « (…) En dépit de la qualification donnée au contrat litigieux par l’autorité adjudicatrice, ainsi que de la procédure qu’elle a menée pour l’adoption de l’acte attaqué, il ressort nettement des clauses de cette convention qu’il ne s’agit pas d’un marché public. Il résulte en effet de ce contrat que l’acquisition des médicaments n’est pas opérée par le pouvoir adjudicateur, mais l’est directement par les pensionnaires de la maison de repos gérée par le Centre public d’Action sociale. Le pouvoir adjudicateur n’a conclu cette convention qu’en tant que mandataire des pensionnaires précités, en leur nom et pour leur compte, comme l’y autorise l’article 26bis de l’arrêté du 31 mai 1885 approuvant les nouvelles instructions pour les médecins, pour les pharmaciens et pour les droguistes.
    (…)
    Ce contrat ne lie donc pas le Centre public de l’Action sociale à la pharmacie, mais est noué entre cette pharmacie et les pensionnaires de cette maison de repos lesquels ne constituent pas un pouvoir adjudicateur. Il ne s’agit donc pas d’une convention passée avec un pouvoir adjudicateur au sens de l’article 1er de la loi du 24 décembre 1993 relative aux marchés publics et à certains marchés de travaux, de fournitures et de services et , en conséquence, elle n’est pas un marché public. (…) »

    Quant à l’arrêt du 10 octobre 2012, il est intéressant en ce qu’il confirme que si l’on veut faire état d’un contrat de mandat passé entre le résident et la maison de repos / de soins, soit le CPAS, celui-ci ne se présume pas, il faut donc signer une convention écrite de mandat.



    Quatrième situation : Le CPAS met un local à disposition du prestataire de soins :

    La mise à disposition d’un local au sein de la maison de repos/et de soins, par le CPAS au profit d’un prestataire ne constitue pas un marché public.

    Il y a lieu de procéder à une mise en concurrence en vue de respecter les grands principes de droit administratif tels les principes d’égalité, de non-discrimination, de motivation, etc..



    En conclusion :

    Cette analyse démontre à suffisance qu’il existe de nombreux types d’organisation qui obéissent à des régimes juridiques distincts.

    Avant de qualifier juridiquement un montage, il faut prendre connaissance de tous les éléments de fait qui constituent l’opération afin de voir à quelle catégorie juridique la rattacher.

    En tout état de cause, si l’on ne peut, à un moment donné, qualifier un montage de marché public, il faut toujours se référer aux grands principes de droit administratif tels les principes d’égalité, de non-discrimination, de motivation des décisions adoptées par le CPAS, etc..

    Pour le surplus, j’attire l'attention sur le fait que la tutelle sur les décisions des CPAS est exercée par le Gouverneur de la Province compétent sur le territoire où se situe ledit CPAS.