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Les mesures à prendre pour lutter contre le dumping social dans certaines fonctions qualifiées

  • Session : 2016-2017
  • Année : 2016
  • N° : 52 (2016-2017) 1

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  • Question écrite du 23/11/2016
    • de DREZE Benoit
    • à TILLIEUX Eliane, Ministre de l'Emploi et de la Formation

    Un journal a consacré un dossier à l’afflux de travailleurs étrangers pour occuper des fonctions hautement qualifiées en Wallonie. Il met en évidence le cas de travailleurs indiens, les plus nombreux au cours des dernières années à y avoir obtenu un permis de travail B, le plus souvent pour des missions temporaires dans le secteur informatique. Interviewé, l’administrateur-délégué d’Agoria, explique que les entreprises doivent se tourner vers l’étranger pour trouver les profils recherchés, vu le nombre trop faible de diplômés en informatique sur notre marché de l’emploi.

    Pour avoir évoqué plusieurs fois le problème ici, nous savons que cette explication ne suffit pas. Nous sommes confrontés à une forme insidieuse de dumping social. En raison d’une convention avec l’Inde en ce qui concerne la Sécurité sociale, les employeurs trouvent un avantage certain à recruter de jeunes indiens, dont le niveau de qualification n’est pas forcément des plus sûrs, pour ne pas parler de sérieux soupçons quant à des trafics de diplômes dans leur pays. Par ailleurs, s’agissant de fonctions réputées hautement qualifiées, le permis de travail pour le détachement de ce type de main-d’œuvre peut être obtenu sans devoir prospecter notre marché du travail, pour autant que la rémunération soit supérieure à un certain seuil réglementaire…

    Interviewée par ce quotidien, Madame la Ministre évoque elle-même ce phénomène.

    Pourrait-elle agir utilement pour le contrecarrer dans le cadre des compétences exercées par la Région en matière de permis de travail  ?

    Une mesure efficace ne serait-elle pas de relever le plafond de rémunérations exigé, pour rendre ces recrutements moins tentants  ?

    Y a-t-il vraiment pénurie ? Quels sont les moyens budgétaires et technologiques déployés par le FOREm pour y remédier  ? Avec quel taux de réussite et d'emploi ?
  • Réponse du 05/01/2017
    • de TILLIEUX Eliane

    La législation en matière de délivrance du permis de travail établit que si la rémunération du travailleur est supérieure au seuil fixé par les Régions (39.802 euros en 2016 ; 40.124 euros en 2017) et si le dossier est complet sur les autres points (lettre de mission précisant la période de détachement, contrat de prestations de services, diplôme, certificat de détachement, documents annexes), le permis pour personnel hautement qualifié (« PHQ ») est octroyé.

    Cette délivrance s’opère sans examen préalable du marché du travail. On ne vérifie donc pas si, sur le marché de l’emploi wallon, un travailleur est apte à occuper de façon satisfaisante et dans un délai raisonnable l’emploi envisagé.

    Ce type de détachement est limité à 4 ans et peut être renouvelé. Au renouvellement, un contrôle renforcé est opéré afin de vérifier si l’ensemble des conditions d‘octroi a été respecté tout au long du détachement. L’Inspection sociale, sur demande de la Direction des Permis de travail, contrôle le respect de la législation du 30 avril 1999 relatif à l’occupation des étrangers pendant le détachement initial.
    Dès que certains indices laissent supposer qu’il y a quelque chose d’anormal dans un dossier de travailleur « personnel hautement qualifié », un contrôle renforcé est exercé.

    En ce qui concerne les travailleurs indiens, la convention relative à la sécurité sociale, conclue au niveau fédéral, avec l’Inde, en 2006, prévoit notamment que le régime de sécurité sociale belge s’applique aux travailleurs étrangers, sauf en cas de détachement, notamment.

    Pour rappel, au regard des chiffres cités par AGORIA dans les articles évoqués (besoin annuel de 8.000 informaticiens en Belgique, dont 4.500 trouvés sur le marché de l’emploi belge), il apparaît que les solutions trouvées par les employeurs font davantage appel à l’occupation de ressortissants de l’Union européenne (avec dispense de permis de travail pour ces personnes) voire à des entreprises européennes et à leurs travailleurs détachés (liberté de service en application de la directive 2006/123/CE), qu’à la migration économique, dont la gestion relève, depuis 1980, de la Région wallonne qui doit, par ailleurs, composer avec les accords nationaux et internationaux conclus par l’autorité fédérale.

    Au niveau régional, la révision de la loi du 30 avril 1999 relative à l’occupation des travailleurs étrangers et de son arrêté royal d’exécution a pour objectif premier de transposer les directives européennes, dont celle relative au Permis unique. J’ai tenu à profiter de cette révision des textes pour mieux baliser la mobilité des travailleurs détachés et lutter ainsi contre le dumping social, tout en restant attentive à ne pas bouleverser un système qui place la Belgique parmi les meilleures nations européennes pour attirer les personnes hautement qualifiées sur son territoire.

    L’arrêté proposé en 1re lecture, au Gouvernement wallon, le 21 juillet 2016 comporte ainsi une limitation du recours à l’engagement ou à l’utilisation de personnel hautement qualifié pour un même profil plus de dix fois en cinq ans, et son conditionnement, à la participation de l’employeur aux plans, programmes et mesures du Gouvernement wallon en matière d’emploi et de formation professionnelle.

    Un motif de refus et de retrait du permis de travail a également été intégré dans le texte lorsque de fortes présomptions existent que la demande consiste principalement à opérer un transfert vers l’étranger d’un savoir-faire qui aurait pour conséquence la cessation des activités de cette entreprise en Région de langue française.

    Le Conseil d’État a toutefois remis plusieurs avis dont l’avis 59.926 du 07/09/2016 en ce qui concerne la Région wallonne, sur les avant-projets de décrets relatifs à l’occupation des travailleurs étrangers ainsi que sur l’avant-projet de loi modifiant la loi séjour et les projets d’arrêtés des Gouvernements flamand et de la Région de Bruxelles-Capitale visant à transposer la Directive Permis Unique. Ces avis reprennent notamment l’observation suivante:

    « Dans la mesure où la directive 2011/98/UE contraint l’autorité fédérale et les Régions d’établir une procédure de demande unique, l’autorité fédérale et les Régions devront coopérer afin de mettre en œuvre la directive 2011/98/UE, sous peine de transgresser la directive 2011/98/UE ….
    En effet, compte tenu de la répartition des compétences en la matière, un accord de coopération est le seul instrument qui offrira une garantie suffisante pour adopter une réglementation coordonnée visant à transposer les trois directives européennes précitées. »

    En effet, la réglementation en matière de séjour est et reste une compétence fédérale. Les régions ne peuvent donc agir en matière de migration économique que via des accords de coopération au sens de l’article 92 bis de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980 et via des accords d’exécution.

    Seule une approche commune des différentes entités fédérées pour lutter contre le dumping social est envisageable pour l’encadrement des travailleurs hautement qualifiés détachés. Cette approche doit également être conçue dans le strict respect du droit européen et, en particulier, des directives 2006/123/CE (libre circulation des services) et 2014/66/UE (transferts intra-groupe).

    C’est pourquoi, dans le cadre des négociations sur l’accord de coopération qui devra transposer la Directive Permis Unique, je propose aux autres Ministres régionaux d’avancer sur un meilleur encadrement des détachements des travailleurs hautement qualifiés via les mesures que j’avais initialement intégrées dans l’arrêté d’exécution du décret relatif à l’occupation des travailleurs étrangers.

    Par ailleurs, comme évoqué dans ma réponse à la question orale de Madame De Bue, le 6 décembre dernier, sur les informaticiens en Wallonie, pour satisfaire à une demande en permanente évolution de diplômés en informatique, le FOREm et les centres de compétence participent à une régulation du marché wallon qui présente ses spécificités (TPE, peu de grands comptes ou de grandes entreprises de services informatiques …)

    Parmi les offres qu’il a gérées en 2015, le FOREm a identifié 59 métiers en pénurie parmi lesquels deux catégories de métiers liés à l’informatique : gestionnaire d’exploitation informatique, d’une part, développeur(se) informatique, analyste informatique et Web développeur(se), d’autre part. Si le gestionnaire d’exploitation informatique n’apparaît qu’une fois en pénurie sur les 5 dernières années, la pénurie est davantage récurrente pour la catégorie de métiers liée au développement, ce malgré un potentiel de jeunes demandeurs d’emploi disposant des certifications et diplômes recherchés pour les postes à pourvoir. L’inadéquation entre le profil attendu et les profils disponibles met donc en évidence l’augmentation du niveau d’exigence des entreprises et le fait que l’expérience est un critère important de recrutement demandé par l’entreprise.

    Pour maîtriser et actualiser en permanence sa connaissance des besoins de compétences des entreprises et y apporter les réponses les plus adéquates en termes de formation, le FOREm, via son service d’analyse du marché de l’emploi et de la formation, a développé pour le secteur du numérique, comme pour les autres domaines d’activités stratégiques (DAS) des tables rondes regroupant les experts du domaine, dont les représentants d’AGORIA.

    Les plans stratégiques qui seront présentés par les centres de compétence avant fin décembre devront s’insérer dans cette dynamique de réponse et d’adaptation aux besoins de compétences identifiés pour chaque DAS. Il en est de même désormais pour les projets de formation déposés par les pôles de compétitivité.

    D’ores et déjà, dans le cadre de l’axe 5 du Plan Marshall 4.0, le FOREm et les centres de compétence proposent de nouvelles formations alternées de demandeurs d’emploi et, notamment, une formation en développeur.net chez Technocité (2017), orientée vers des profils « junior », une formation d’analyste informatique (analyste fonctionnel) chez Technofutur TIC (fin 2016), orientée vers des profils « expérimentés » et, en particulier, des travailleurs issus des cellules de reconversion.

    Enfin, le FOREm met en place des outils de positionnement numérique et informatique (programmation) pour objectiver les compétences des demandeurs d’emploi wallons. Il utilise en outre les référentiels européens de compétences (métiers de l’informatique) et digicomp (compétences numériques) pour visibiliser et valoriser toutes les expériences numériques des bénéficiaires et faciliter le dialogue entre offre et demande.

    Les moyens du Plan Marshall dédiés au financement des Centres de Compétence TIC (18.500.000 euros pour l’ensemble de la législature) ont permis de former, de janvier 2015 à mars 2016, 618 demandeurs d’emploi dans une série de métiers clés de la transition numérique dont une bonne partie est liée au développement et à la programmation. Le bilan 2016 devrait tourner autour des 3.000 demandeurs d’emploi formés.

    Les taux d’insertion après ces formations sont supérieurs à 75 %, ce qui est un résultat intéressant compte tenu du niveau d’exigence de plus en plus élevé des employeurs et des évolutions (dont le recours aux travailleurs indiens) dans les deux autres régions.