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La prévention des assuétudes et les salles de consommation de drogue à moindre risque

  • Session : 2016-2017
  • Année : 2017
  • N° : 413 (2016-2017) 1

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  • Question écrite du 12/01/2017
    • de DENIS Jean-Pierre
    • à PREVOT Maxime, Ministre des Travaux publics, de la Santé, de l'Action sociale et du Patrimoine

    On le sait tous, le Gouvernement fédéral n’est pas en faveur d’une révision de la loi du 24 février 1921 qui s’applique aux substances psychotropes et stupéfiantes et punit systématiquement quiconque facilite l’usage de stupéfiant. Ainsi, la création de salles de consommation à moindre risque dans lesquelles les héroïnomanes peuvent venir consommer plus sainement leur produit tout en étant suivis, ne peut voir le jour.

    La ville de Liège est à l’avant-garde pour la lutte en faveur d’une réduction des risques liés à la toxicomanie, notamment avec l’expérience Tadam (projet pilote de traitement assisté par diacétylmorphine) de traitement avec de l’héroïne pharmaceutique (2011-2013). Malheureusement, d’autres initiatives similaires ne peuvent voir le jour étant donné cette réticence du Fédéral qui permettrait de rendre légale la tenue de pareils projets.

    Cependant, la ville de Liège aurait trouvé le moyen de créer une salle de consommation à moindre risque, car son bourgmestre estime que pour raisons médicales, scientifiques ou d’intérêt public, le projet entre dans les conditions d’une dérogation ministérielle.

    Monsieur le Ministre soutient-il le projet de la ville de Liège ? Dans quelle mesure une aide de la Région wallonne pourrait-elle intervenir en sa faveur ?

    Dans un article de presse paru récemment, les associations de terrain se plaignent de ne plus avoir de budget suffisant pour faire leur travail. Ainsi, les échanges de seringues et autres politiques de réduction des risques complémentaires aux traitements et à la prévention ne seraient plus suffisamment financés.

    La ville de Liège voit sa situation se dégrader sur le terrain. Par exemple, les actes de consommation sont de nouveau visibles dans l’espace public. Ce constat est très probablement visible dans toutes les grandes villes wallonnes et pas uniquement.

    Pour y faire face et maintenir une politique de prévention efficace, Monsieur le Ministre compte-t-il revoir le financement des associations de terrain ?
  • Réponse du 30/01/2017
    • de PREVOT Maxime

    Comme l'honorable membre est la quatrième personne à m'interpeler sur ce sujet en ce mois de janvier, je reprends dans ma réponse de nombreux éléments que j'ai déjà formulés.

    Je le rappelle donc encore, les salles de consommation à moindres risques sont des concepts que je soutiens, de même que le traitement assisté par diacétylmorphine, c'est-à-dire par héroïne pharmaceutique. Ces deux offres d'aide et de soins, bien distinctes, restent des éléments importants dans la panoplie possible des soins offerts en Wallonie.

    D'une manière générale, à l’instar de mes collègues bruxellois en charge de la santé, je confirme être favorable à une politique de réduction des risques, destinée à protéger, non seulement les consommateurs, et particulièrement les publics les plus vulnérables comme les jeunes ou les personnes sévèrement dépendantes, mais également l’ensemble de la société. Il faut en effet protéger ceux-ci des dommages liés à la consommation de substances psychoactives.

    N'oublions pas que les consommateurs aussi désinsérés qu'ils le paraissent ont toujours des relations avec d'autres personnes : des amis, une famille, une compagne ou un compagnon, parfois des enfants. Bref, s'ils contractent une infection grave comme l'hépatite C ou le HIV, leurs relations risquent d'en souffrir également d'une manière ou d'une autre. Toute la société est dès lors concernée par cet enjeu de la réduction des risques.

    Dans ce domaine, je soutiens particulièrement les projets qui ont fait la preuve de leur efficacité. Ce sont d’ailleurs les projets les plus controversés qui ont dû le plus faire leurs preuves, tels que les salles de consommation à moindres risques, le traitement assisté par diacétylmorphine ou l'échange de seringues.

    Il faut par contre veiller à ne pas confondre les différents projets. Les salles de consommation à moindres risques n'ont pas encore été testées en Belgique et le projet TADAM, qui s'est déroulé à Liège de 2011 à 2013, était un traitement assisté par diacétylmorphine. Ce projet consistait à prescrire de l'héroïne pharmaceutique à des personnes sévèrement dépendantes qui continuaient à consommer de l'héroïne de rue malgré un ou plusieurs essais de traitement par méthadone.

    La prescription médicale et l'auto-administration de ce produit pharmaceutique, la diacétylmorphine, n'ont lieu que dans un centre spécifique, sous la surveillance attentive d'une équipe composée de médecins et d'infirmiers. Ce traitement, très contrôlé et planifié, n'est réservé qu'à un groupe cible particulièrement dépendant de l'héroïne de rue.

    Les salles de consommation à moindres risques ne sont pas destinées uniquement à ce public, mais également, par exemple, à des consommateurs de cocaïne. La cocaïne est un produit qui peut induire une consommation très compulsive ce qui, bien sûr, multiplie les risques liés à cette consommation, surtout en cas d'injection.

    Les salles de consommation à moindres risques doivent, selon moi, être basées sur une concertation avec les différents acteurs impliqués – intervenants de l'aide et du soin, riverains, autorités communales et police notamment – et offrir des garanties de sécurité suffisantes pour les consommateurs en impliquant des intervenants professionnels de la santé, formés aux usages des consommateurs de drogues de rue.

    Même s'il ne s'agit pas d'une salle de consommation, le projet TADAM a déjà répondu avec succès à ces différentes conditions. Indépendamment de ses aspects très contrôlés, du protocole scientifique et de l'évaluation conduite de façon rigoureuse par l'Université de Liège, deux raisons peuvent expliquer qu'il se soit si bien inséré dans le tissu urbain : l'attitude très proactive d'un éducateur de rue expérimenté tant vis-à-vis des riverains que des patients et la proximité du commissariat de police dont les agents avaient été sensibilisés au projet.

    Je soutiens a priori dès lors la demande du Bourgmestre de Liège et j'essayerai de soutenir le projet au niveau budgétaire au moins en partie, mais je ne peux pas me prononcer sur un budget en l'absence d'un projet concret, d'une date de début du projet et, évidemment, d'un accord du Gouvernement wallon.

    Au niveau légal, comme le Gouvernement fédéral refuse de modifier la loi du 24 février 1921 et qu'un changement de loi est nécessaire pour avancer, il appartient maintenant aux parlementaires fédéraux soucieux de soutenir les propositions de loi déjà déposées ou désireux d'en faire de nouvelles de se mettre en action.

    Le Bourgmestre de Liège demande cependant une autorisation de la Ministre fédérale de la Santé. J'attends donc l'avis de ma collègue, la Ministre Maggie De Block. Mais, dans l'intérêt des intervenants et des usagers, je ne soutiendrais ce projet que s'il est légal et s'il est destiné à durer sur le long terme.

    L'arrêt de ce type d'expérience est en effet très préjudiciable à tous les niveaux : pour les usagers qui se sont investis dans une démarche de réduction des risques, pour les intervenants qui ont développé un savoir-faire, mais aussi pour les pouvoirs publics qui ont subventionné le projet.

    Pour le reste, le bourgmestre de Liège sait – et je le répète à nouveau grâce aux questions – qu'il pourra compter sur mon soutien y compris budgétaire, le moment venu.

    En ce qui concerne les autres actions dans le domaine des assuétudes, contrairement à ce que pourrait laisser supposer la question, je n'ai jamais diminué le budget global consacré par la Wallonie aux assuétudes dans le domaine de la santé. S'il y a une diminution du budget, elle a d'autres causes.

    En ce qui concerne l'échange de seringues, non seulement je n'ai jamais diminué les montants octroyés, mais je les ai au contraire augmentés en 2016. J'ai en effet donné une nouvelle subvention facultative de 27.000 euros à l'ABSL Modus Vivendi qui est chargée de distribuer les seringues aux différentes associations de réduction des risques (en concertation avec celles-ci). Cette subvention sera renouvelée en 2017.

    Mon Cabinet a en outre reçu récemment (ce 10 janvier) les principaux acteurs chargés de l'échange des seringues en Wallonie : Modus Vivendi, la Fédito Wallonne et Le Comptoir de Charleroi (trois acteurs que je subventionne par ailleurs) ainsi qu'un représentant de la Ville de Liège.

    Suite à cette réunion, mon Cabinet étudie la possibilité d'augmenter en 2017 le montant donné en 2016. Le budget de 2017 est – l'honorable membre le sait – très limité, mais, selon moi, ces actions de réduction des risques qui ont fait leurs preuves font partie des priorités, d'autant plus qu'elles sont conduites par des acteurs expérimentés qui connaissent bien le terrain. J'ajouterais encore que ces acteurs travaillent ensemble dans la concertation, au niveau de tout le territoire wallon, dans l'intérêt des bénéficiaires et de la population wallonne dans son ensemble.

    Grâce à ces actions, le taux de récupération des seringues usagées par rapport aux seringues neuves est de plus de 95 % en Wallonie. À Liège, le taux en 2015 était de 98 % et même de 101 % en 2014. Ce pourcentage s'explique parce que certains usagers ramènent plus de seringues qu'ils n'en demandent aux comptoirs d'échange de seringues : certains usagers collectent des seringues auprès d'amis ou rendent des seringues achetées en pharmacies.

    Ces taux impressionnants montrent l'implication des intervenants et surtout des usagers dans les actions de réduction des risques. Ils témoignent du succès de ce type d'action.