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Les emplois éventuellement menacés en Belgique par la nouvelle politique américaine

  • Session : 2016-2017
  • Année : 2017
  • N° : 200 (2016-2017) 1

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  • Question écrite du 16/02/2017
    • de MOUYARD Gilles
    • à MARCOURT Jean-Claude, Ministre de l'Economie, de l'Industrie, de l'Innovation et du Numérique

    Monsieur le Ministre-Président n'est pas sans savoir que le vendredi 20 janvier dernier monsieur Donald Trump est devenu le 45ème Président des Etats-Unis. Comme annoncé durant sa campagne, ce nouveau chef d’état entend redessiner les contours des accords commerciaux, liant les Etats-Unis au reste du monde.

    Aujourd’hui, les USA appliquent une taxe moyenne de 2,1% sur les importations européennes. Mais si la nouvelle administration américaine suit les promesses électorales de son Président elle pourrait faire grimper ce taux à 5 %, voire même 15 % temporairement.

    Dans «  De Tijd  » on pouvait lire dernièrement que si le nouveau président américain instaurait des droits de douane plus élevés comme il l’avait promis, de 1.200 à 5.000 emplois seraient mis en péril en Belgique.

    De plus, de telles mesures protectionnistes pourraient également avoir un impact sur la croissance de l’économie européenne et donc de facto sur la croissance de notre royaume. Ainsi d’après les simulations effectuées par un professeur d’économie internationale de la KUL, la croissance de notre pays pourrait connaître une récession de 0,1 à 0,42 %.

    Quelle est l'analyse de Monsieur le Ministre-Président de cette situation  ? Que compte-t-il faire pour éviter une augmentation des droits de douane aux USA  ? Travaille-t-il déjà de concert avec l’Union européenne et les différents niveaux de pouvoir en Belgique pour soutenir nos exportations vers les USA ? Plus précisément, quel serait l’impact d’une augmentation des droits de douane aux USA pour notre Région  ? Quels sont les secteurs de notre économie qui seraient touchés en premier lieu ?
  • Réponse du 21/02/2017
    • de MARCOURT Jean-Claude

    La question du protectionnisme, et de son exact opposé, le libre-échange, est extrêmement intéressante d’un point de vue économique et politique, particulièrement aujourd’hui au regard des changements importants qui sont en cours sur la scène internationale, que ce soit en ce qui concerne l’élection du 45e président des États-Unis ou des négociations toujours en cours au sujet du CETA, pour ne citer que ces deux exemples.

    Posons d’abord un principe : le rôle premier des autorités publiques d’un pays ou d’une région, et en particulier celles qui ont en charge l’économie, est de mettre en œuvre des politiques en faveur du développement des territoires dont elles ont la responsabilité et donc des entreprises qui y sont implantées. Ainsi, le sens premier du plan Marshall, notamment, est bien de permettre au tissu économique wallon de s’étoffer et de créer de la richesse à travers la constitution de réseaux d’entreprises qui vont permettre de se renforcer mutuellement. La capacité d’exportation est évidemment importante, et l’économie wallonne dispose incontestablement de fleurons qu’il faut continuer de soutenir. Mais si demain, grâce aux mesures prises, une grande entreprise implantée à Liège, dans le Brabant wallon ou dans le Luxembourg, décide de travailler avec un sous-traitant wallon plutôt que de faire appel à une entreprise basée dans un autre pays, le Ministre de l’Économie estime avoir fait son travail. Si demain, parce que l’on aura réussi à développer des circuits courts, qui constituent sans doute aujourd’hui la condition de survie pour de nombreux agriculteurs, les ménages, les cantines scolaires ou les restaurateurs wallons préfèrent acheter des aliments fabriqués près de chez eux, pas parce qu’il y aurait un petit coq dessus, mais parce que le produit est de qualité et est accessible en terme de prix, là aussi, le Ministre de l’Économie estime avoir fait son travail.

    Le protectionnisme, surtout tel qu’il est revendiqué par le FN français ou, en frisant parfois la caricature, par le Président américain, est synonyme de repli sur soi et de rejet de l’autre. En tant que telle, cette politique est mortifère. Mais, il est important de souligner que son opposé, le libre-échange donc, démontre chaque jour ses limites à travers les dégâts sociaux et environnementaux qu’il provoque. Pensons à Caterpillar ou à Truck technic, pour ne prendre que ces deux exemples récents et médiatisés. Ces deux entreprises sont largement rentables, mais leurs actionnaires n’hésitent pas à les fermer pour augmenter encore leurs marges au détriment des travailleurs et de leurs familles, et des régions où elles sont implantées.

    En clair, si croire que c’est en limitant les importations via des tarifs douaniers exorbitants que l’on sauve l’économie d’un pays est une ineptie, croire que la compétition de tous contre tous est l’alpha et l’oméga de la création de richesses l’est au moins tout autant.

    L’histoire des économies occidentales n’est malheureusement pas suffisamment enseignée ni étudiée. Relevons que les décollages économiques de l’Angleterre victorienne et de l’Allemagne bismarkienne, au XIXe siècle, ont été réalisés dans des contextes dits protectionnistes. Le « New Deal » de Roosevelt, dans les années 1930, dont aucun économiste sérieux, qu’il soit de droite ou gauche, ne conteste la pertinence, comportait certes un important volet d’investissements publics, mais il comportait aussi des mesures protectionnistes visant à limiter l’exposition d’industries trop fragiles pour supporter une concurrence internationale. Plus proche de nous, rappelons que l’Europe, surtout entre le traité de Rome et le traité de Maastricht, a mis en place des mesures que l’on peut qualifier de « protectionniste ». En effet, qu’est-ce que la Politique agricole commune, sinon une politique visant à protéger nos agriculteurs des fluctuations du marché international ? Et c’est justement sa remise en cause progressive, en autre, depuis deux décennies, qui provoque les crises que traverse le monde agricole…

    Nous sommes aujourd’hui au XXIe siècle. La révolution industrielle générée par les technologies de l’information, par le « numérique », bouleverse l’économie, la mondialisation et les relations internationales, à tout point de vue. Il ne peut être question dans un tel contexte de fermer des frontières ou de dresser des murs. Le Ministre de l’Économie a pour devoir de promouvoir un savoir-faire et une qualité, de travailler dans le but de permettre à nos producteurs et à nos entreprises de mieux se différencier sur des marchés qui resteront ouverts et concurrentiels.

    Il relève de la responsabilité publique de faire en sorte que, dans le cadre des traités européens, notre assise économique et sociale soit renforcée en privilégiant, en protégeant donc d’une certaine manière, les entreprises implantées sur notre territoire, à fortiori si elles respectent des normes - sociales, environnementales - de nature à garantir la pérennité de notre modèle social.

    Pour en venir aux décisions du nouveau président des États Unis, il est beaucoup trop tôt pour s’alarmer, en tout cas sur cet aspect de sa politique. Les femmes, les minorités sexuelles ou ethniques et les malades habitant ce beau pays sont beaucoup plus directement menacés par celle-ci. Il est strictement impossible, en l’état, d’évaluer sérieusement l’impact que la politique économique de Monsieur Trump aura sur les économies européennes. Les chiffres concernant les éventuelles pertes d’emplois doivent être pris avec beaucoup de précautions. Encore une fois, les chantres du libre-échange absolu utilisent fréquemment cet argument pour défendre leurs intérêts directs.

    Cependant, la menace est présente et il ne faut pas la nier. Ce sera donc aux institutions européennes de dialoguer avec l’administration américaine afin de maintenir et de renforcer des relations équilibrées et profitables à tous, aux entreprises comme aux citoyens, de chaque côté de l’Atlantique. Ou, si ce dialogue s’avère impossible, d’adopter les mesures de rétorsion légales qui s’imposeront en conséquence.