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La coopération militaire de la Wallonie avec l'Arabie saoudite

  • Session : 2017-2018
  • Année : 2017
  • N° : 45 (2017-2018) 1

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  • Question écrite du 21/12/2017
    • de MOTTARD Maurice
    • à BORSUS Willy, Ministre-Président du Gouvernement wallon

    Monsieur le Ministre-Président a signé 25 licences de ventes d’armes à l’Arabie saoudite.

    L’Arabie saoudite commet des crimes atroces au Yémen, bombarde des hôpitaux, des écoles, massacre des enfants, etc. La liste des violations des droits humains commises sur le sol saoudien est très longue.

    Que pense Monsieur le Ministre-Président de la résolution que son parti a soutenue, au Parlement fédéral, demandant la suspension de vente d’armes à l’Arabie saoudite ?

    Il dit que la Wallonie seule ne peut changer la situation, qu’il faut un embargo européen et qu'il arrêtera ce commerce quand les autres le feront.

    C’est un discours qui ne colle pas avec les propos tenus par son groupe, lorsque le MR était dans l’opposition !

    Vouloir attendre que toute l’Europe adopte une position commune en matière d’exportation d’armes, c’est opter pour une politique de l’autruche, tout en ayant la garantie qu’il faudra encore attendre des décennies pour qu’une solution soit trouvée.

    Monsieur le Ministre-Président est-il sûr et certain de ne pas violer le décret sur le commerce des armes adopté en 2012 ?
  • Réponse du 12/01/2018
    • de BORSUS Willy

    Tout d’abord, dans ce dossier des licences d’armes à destination de l’Arabie saoudite, je voudrais exprimer toute ma volonté et ma détermination à vraiment faire bouger les lignes. Néanmoins, je me dois également de faire part de ma totale conviction que nous ne pouvons nous contenter de décréter un embargo wallon tout en fermant les yeux sur les pratiques des autres pays voisins. À cet égard, il me semble totalement nécessaire de mettre en œuvre une attitude coordonnée avec les autres pays européens. Un embargo d’une seule région ou d’un seul pays n’aura hélas aucun impact international, notamment sur le respect des droits de l’homme. Si l’Arabie saoudite ne peut plus se fournir en Wallonie, elle passera alors commande en France, au Royaume-Uni ou ailleurs tant qu’une position internationale ne sera pas commune.

    Une chose est sûre, ma ligne de conduite s’appuiera toujours sur un respect scrupuleux des positions de l’Union européenne et de l’Organisation des Nations Unies qui sous-tendent d’ailleurs systématiquement l’instruction des dossiers par le Service public de Wallonie (SPW-DGO6) et Wallonie Bruxelles International (WBI).

    C’est ainsi que dans le cadre de « la volonté de faire avancer la Position commune vers un embargo européen », je peux ici rappeler qu’un troisième tour de table a été organisé en juillet 2017 au Groupe Exportation d’Armes Conventionnelles (COARM) à l’initiative de la Belgique (sur demande de la Wallonie) concernant les exportations vers l’Arabie saoudite et les pays du Golfe. Ce tour de table a été mené à la suite de la crise diplomatique avec le Qatar. Les Etats membres ont insisté sur une analyse stricte au cas par cas des dossiers introduits, avec une attention particulière pour les critères 2, 3, 4 et 7 de la Position commune 944/2008/PESC.

    Par ailleurs, en ce qui concerne les critères permettant de circonscrire les pays visés par l’article 17 du décret du 21 juin 2012, il y a lieu de préciser que les entreprises informent la Région wallonne de tous les nouveaux clients et pays, conformément au décret, afin de connaître les orientations de la Région wallonne à ce sujet. Un travail en amont très important est mené par l’administration (WBI et la DGO6) afin d’étudier les projets de contrats concernant de nouveaux pays destinataires, surtout en ce qui concerne ceux qui ont fait l’objet de refus ces dernières années de la part de la Région wallonne.

    En ce qui concerne le risque allégué que les armes se retournent contre les populations au Yémen, je puis indiquer que la Région wallonne n’accorde plus de licences au Ministère de la Défense d’Arabie saoudite depuis l’année 2017. Les destinataires des licences octroyées par la Région wallonne à l’Arabie saoudite sont La Garde nationale et La Garde royale de cet État. La Garde nationale a pour mission de protéger les frontières et les lieux stratégiques du pays. La Garde royale, quant à elle, a pour mission de protéger la famille royale d’Arabie saoudite, composée d’environ 15.000 personnes. La Garde nationale et La Garde royale ne sont dès lors aucunement destinées à mener des opérations militaires en dehors de l’Arabie saoudite.

    Quant à la question du détournement potentiel des armes exportées en Arabie saoudite vers des acteurs armés non étatiques en Syrie, à ce jour, aucune preuve formelle d’un tel comportement n’a officiellement été portée à ma connaissance. C’est par contre bien le cas pour les Émirats Arabes Unis pour lesquels dès lors, plus aucune licence d’exportation n’est encore accordée aujourd’hui.

    Si les dispositions légales en vigueur m’accordent un large pouvoir discrétionnaire dans l’évaluation des facteurs pertinents liés à l’octroi de licences d’exportation d’armes, je reste particulièrement attentif à ceux-ci et ils sont d’ailleurs analysés en profondeur par la Commission d’avis. J’ai toujours tenu compte de ceux-ci, des intérêts de la Région wallonne en matière de sécurité nationale et internationale, des antécédents de l’Arabie saoudite en matière de droits fondamentaux, ainsi que du conflit au Yémen, avant d’octroyer les licences d’exportation d’armes vers l’Arabie saoudite.

    Concernant l’instruction des dossiers débouchant sur l’octroi ou le refus d’une licence d’exportation, je tiens à indiquer qu’ils sont examinés au cas par cas, de manière extrêmement minutieuse et l’avis du COARM, le groupe "Exportations d'armes conventionnelles" qui est chargé des questions ayant trait aux contrôles des exportations d'armes conventionnelles, est très souvent sollicité. Le COARM fait aussi office de lieu d'échanges où les États membres communiquent et partagent des informations sur leurs politiques d'exportation vers les pays non membres de l'UE et sur leurs décisions de rejeter des demandes de licences d'exportation vers ceux-ci. La preuve en est que j’ai par ailleurs refusé plusieurs licences sur base de différents éléments qui avaient été portés à ma connaissance.

    Le Gouvernement wallon et moi-même sommes bien conscients de l’importance des enjeux éthiques liés à la vente d’armes. Dès lors, nous rejoignons totalement la volonté de mettre en place un embargo européen. C’est pourquoi notre Gouvernement a lancé un signal clair en répondant favorablement à la sollicitation du Fédéral en vue d’entreprendre une démarche vis-à-vis de l’Europe et de l’ONU afin qu’un embargo concerté au niveau européen puisse être obtenu vis-à-vis de l’Arabie saoudite.

    Si la Wallonie tient à défendre fermement cette position, elle doit le faire en permettant à son industrie de l’armement une sortie échelonnée dans le temps qui ne la mettra pas face à des obligations contractuelles intenables financièrement au point d’entraîner des drames sociaux. C’est ainsi que j’ai vivement recommandé aux entreprises wallonnes productrices d’armement d’élaborer et de mettre en œuvre, le plus rapidement possible, un plan de diversification de leur clientèle et de leurs marchés à échéance de 5 ans maximum.

    Dans l’immédiat, sur base des éléments exposés ci-avant, il m’apparait inopportun d’arrêter de délivrer des licences d’exportation d’armes vers l’Arabie saoudite dès lors que nous respectons toutes les dispositions légales en vigueur et que nous veillons à ne pas fournir son Ministère de la Défense impliqué sur le théâtre d’opérations au Yémen.

    Pour terminer, je tiens à souligner que notre approche raisonnée ne va pas du tout à l’encontre de la position défendue par mon groupe politique au Parlement fédéral dès lors qu’elle poursuit le même objectif à atteindre. Ce constat est d’ailleurs parfaitement étayé par notre total soutien à l’initiative de concertation européenne et « onusienne » initiée par la Belgique.