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La fragilisation des personnes handicapées en formation au travail

  • Session : 2017-2018
  • Année : 2018
  • N° : 253 (2017-2018) 1

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  • Question écrite du 28/02/2018
    • de LUPERTO Jean-Charles
    • à GREOLI Alda, Ministre de l’Action sociale, de la Santé, de l’Egalité des chances, de la Fonction publique et de la Simplification administrative

    Une société est par définition inclusive vis-à-vis des populations qui la constituent, notamment les publics les plus fragiles. C'est ainsi que notre pays et notre Région particulièrement ont, depuis de nombreuses années, soutenu l'inclusion des personnes handicapées dans la vie active.

    De cette inclusion, il en résulte tout à fait logiquement l'ouverture à des droits inaliénables pour cette population devenue active. Mais, comme le souligne la publicité, cela c'était avant. En effet, ce mardi 30 janvier 2018, nous pouvions prendre connaissance de l'opinion d'une maman et d'une travailleuse sociale sur une énième mesure du Fédéral dont la finalité a pour effet de fragiliser un peu plus des publics déjà fragiles à la base.

    L'article en question évoquait les nouvelles dispositions concernant la formation au travail des personnes handicapées et plus précisément un arrêté royal adopté le 15 octobre 2017 mettant fin à l'assujettissement à la sécurité sociale, des indemnités de formation, avec effet rétroactif au 1er octobre 2017.

    Cela induit, selon les auteurs, qu'il n'y aura plus de cotisations de sécurité sociale ni à charge de l'employeur, ni à charge du travailleur. De sorte que ces personnes percevront un salaire, imposable fiscalement, mais sans que celui-ci n'ouvre des droits aux allocations de chômage, aux indemnités de maladie, aux allocations familiales pour salariés, et à la pension. Auparavant, ces cotisations sociales étaient prises en charge à 70 % par l'AViQ, et 13,07 % par l'employeur.

    Monsieur le Ministre est-il informé de cette mesure ? La confirme-t-il ? Le cas échéant, peut-il me dire ce qu'il en est des dispositions wallonnes vis-à-vis de cette situation ? Quelles mesures envisage-t-il au niveau régional pour remédier ou compenser la situation et garantir le droit au travail pour les personnes handicapées ?
  • Réponse du 15/03/2018
    • de GREOLI Alda

    Je suis effectivement informée de l’entrée en vigueur de cet Arrêté royal du 15 octobre 2017. Concrètement, cet arrêté abroge 2 alinéas de l'article 3 de l'arrêté royal du 28 novembre 1969 pris en exécution de la loi du 27 juin 1969 révisant l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs. Ceux-ci visent le champ d’application de la loi sur la sécurité sociale et l’abrogation précitée en supprime :
    - (3, 6°) les personnes handicapées dans les liens d’un contrat d’apprentissage spécial pour la réadaptation professionnelle des handicapés ou d'un contrat de formation ou de réadaptation professionnelles ainsi qu'aux personnes et centres avec lesquels ils ont conclu le contrat;
    - (3, 7°) les personnes qui sont engagées dans les liens d'un contrat de formation professionnelle accéléré, prévu aux articles 96 et suivants de l'arrêté royal du 20 décembre 1963 relatif à l'emploi et au chômage, ainsi qu'aux centres avec lesquels ils ont conclu le contrat.

    Il est regrettable qu’en tant que Ministre ayant en charge la politique des personnes handicapées en Région wallonne, je n’ai pas été consultée ni même informée à l’occasion de la publication de cette mesure. Il en va de même pour mon prédécesseur.

    Par ailleurs, j'apporte quelques informations sur ce qui semble avoir mené à sa publication ainsi que sur les conséquences pour les stagiaires wallons.

    En effet, la publication de cet arrêté royal met fin à un litige survenu au milieu des années 80 – il y a plus de trente ans – relatif à ce qui devait être assujetti à la sécurité sociale dans le cadre des formations supervisées par le Fonds National de Reclassement Social des Handicapés, compétent à l’époque en la matière. Celui-ci - ainsi que ses successeurs - a toujours considéré que l’article 3,6° de l’arrêté royal du 28 novembre 1969 ne s’appliquait pas aux personnes handicapées bénéficiant d’une allocation de chômage ou d’une indemnité d’invalidité, puisqu’elles bénéficient déjà, de par leur qualité d’allocataires sociaux, de l’assujettissement à la sécurité sociale. L'ONSS, quant à lui, ne rejoignait pas cette position et a donc toujours assujetti sur cette base l’ensemble des personnes handicapées répondant au prescrit de la disposition, les faisant cotiser tant sur l’allocation de chômage que sur le complément.

    S’en est suivi, en 1987 l’émergence d’un contentieux entre l’ONSS et les entités fédérées : la Wallonie - comme d’ailleurs les autres entités fédérées devenues compétentes en matière d’intégration professionnelle des personnes handicapées – a redéfini les modalités d’octroi des indemnités de formation (nouvelle appellation) perçues par les stagiaires sous contrat d’adaptation professionnelle ou suivant un programme de formation en centre de formation professionnelle agréé par l’AWIPH (ex AViQ). Cela n’a pas suffi à apaiser l’ONSS, qui considérait que les entités fédérées avaient outrepassé leurs compétences en procédant de la sorte. Entretemps, les entités fédérées ont fait valoir que le 7° de l’article incriminé de la législation de 1969, qui prévoyait l’assujettissement des revenus de formation des stagiaires de l’ONEM (puis en Wallonie, du FOREm), n’était pas appliqué. L’ONSS poursuivait donc les employeurs de stagiaires handicapés, situation entraînant des demandes de régularisation ayant pour conséquence l’interdiction d’accès à certaines aides.

    En 2005, les organismes régionaux ont plaidé pour une exclusion complète de toutes les personnes handicapées liées par un contrat d’adaptation professionnelle ou en formation professionnelle (article 3, 6°), par analogie avec la décision de l’ONSS, depuis la régionalisation du placement des chômeurs, de ne plus percevoir, dans les faits, de cotisations pour les personnes valides en formation professionnelle (article 3,7°) (par exemple : les formations « Plan Formation-Insertion », les formations F70bis (formations classiques du FOREm), les formations en Communauté flamande, les formations professionnelles individuelles (FPI) de Bruxelles-Formation). Pour ce faire, ils ont invoqué une Directive européenne sur l'égalité de traitement en matière d'emploi ainsi que la loi pour la lutte contre la discrimination. L’ONSS a marqué son accord avec cette argumentation et a décidé de renoncer aux poursuites en cours. Afin de garantir la sécurité juridique à l’avenir, l’ONSS a préparé en juillet 2005 un projet d’arrêté royal abrogatif, qui n’a pas abouti à l’époque.

    À la fin du mois de janvier 2016, l’ONSS a saisi le Cabinet de Madame la Ministre De Block, qui a réactivé le projet abrogeant les articles 3,6° et 3,7° de l’arrêté royal du 28 novembre 1969. Face à ce contexte, deux possibilités se présentaient pour le fédéral : (ré)imposer l’assujettissement des nombreux contrats de formation dispensés de fait depuis des années, ou dispenser les rares « survivants » de l’obligation d’assujettissement. La discrimination positive qu’aurait constituée le maintien d’un régime avantageux pour les personnes handicapées n’a pas, semble-t-il, été considérée comme légitime…

    J’en viens aux conséquences pour les stagiaires wallons. Il convient de distinguer deux cas de figure :
    - Les stagiaires qui, au début de leur formation, bénéficiaient déjà d’un statut au regard de la sécurité sociale (chômeurs, invalides, indemnisés dans le cadre de la législation relative aux accidents du travail/maladies professionnelles), il n’y a pas de modification, si ce n’est en matière de pécules de vacances. Leurs employeurs payaient des cotisations de sécurité sociale qui ne leur ouvraient quasi pas de droits nouveaux. Ils conservent le droit aux allocations de chômage, à une indemnisation en cas de maladie, à la pension, aux allocations familiales, etc. Ils représentaient quelque 75 % des stagiaires sous contrat d’adaptation professionnelle en 2017.

    - Pour les stagiaires qui n’avaient pas un statut de bénéficiaire de la sécurité sociale lorsqu’ils entrent en formation en CAP ou en CFISPA, les jours de formation ne sont plus considérés comme des jours de travail et leur formation ne leur procure effectivement plus les avantages, accordés sur base des jours de travail, dont ils bénéficiaient par rapport aux demandeurs d’emploi valides. Cela pourrait concerner, pour les CAP, environ 250 personnes ayant eu au moins un jour de CAP en 2017, soit environ 25 % du total des stagiaires concernés en 2017. La proportion est équivalente en CFISPA.

    Par ailleurs, je me permets de rectifier une information que reprend l'honorable membre de l’article paru dans le journal « Le soir » le 30 janvier 2018. Les cotisations de sécurité sociale comprennent deux parties : 13,07 % étaient payés par les travailleurs, une trentaine de pour cent étaient payés par les employeurs. L’AVIQ remboursait effectivement 70 % des montants payés par les entreprises formatrices (indemnités de formation et cotisations patronales) dans le cadre d’un contrat d’adaptation professionnelle, et l’intégralité des montants payés par les centres de formation.

    Enfin, il m'interroge à savoir quelles mesures vont être prises au niveau régional. La mesure étant fédérale, la Wallonie n’a pas la compétence d’y déroger. Par ailleurs, mes services examinent la possibilité d’un dialogue avec le fédéral notamment au sujet des conséquences dommageables engendrées pour certains bénéficiaires et évoquées ci-dessus.

    Par ailleurs, les stagiaires handicapés en formation dans les CFISPA vont continuer d’avoir un statut particulier : ils perçoivent en effet 2,15 ou 5,06 euros indexés par heure de formation selon qu’ils perçoivent ou non d’autres allocations, alors que tout demandeur d’emploi, même en situation de précarité, qui suit une formation dans un dispositif général, ne perçoit que 1 EUR non indexé. En contrat d’adaptation professionnelle, le montant des indemnités de formation dépend de la profession apprise, tout comme dans le cadre du PFI.

    Ensuite, mes services vont poursuivre leur travail de sensibilisation et de promotion à l’embauche des personnes qui suivent ces formations. Cela passe par un soutien en cours de formation, assuré par le personnel des centres de formation, des bureaux régionaux de l’AViQ, et par des jobcoaches spécialisés mis en place dans le cadre d’un projet pilote, actuellement subventionné par le Fonds social européen. Cela passe aussi par un encouragement des entreprises lors de l’embauche. Eu égard à la mesure de l’Arrêté royal, on peut raisonnablement estimer qu’étant donné que les jours de formation ne sont plus considérés comme des jours de travail, les employeurs seront plus enclins à engager plus rapidement les personnes, sans passer par un CAP ou sans vouloir prolonger la formation, d’autant qu’à présent, les aides à l’emploi de l’AViQ sont cumulables avec toutes les aides impulsion du FOREm.