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La mise en place d’un plan contre la discrimination au logement

  • Session : 2017-2018
  • Année : 2018
  • N° : 331 (2017-2018) 1

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  • Question écrite du 23/05/2018
    • de LUPERTO Jean-Charles
    • à DE BUE Valérie, Ministre des Pouvoirs locaux, du Logement et des Infrastructures sportives
    À l’initiative de la Région de Bruxelles-Capitale, une étude universitaire a été commanditée concernant les schémas de discrimination des agents immobiliers, sur le marché de la location privée au moyen de tests de correspondance, de tests de situations et de « mystery shopping ». Les conclusions sont pour le moins interpellantes. Il a notamment été relevé des discriminations : en fonction du nom de famille à consonance étrangère, des candidats percevant une allocation chômage en lien avec l’âge (les candidats locataires pensionnés étant favorisés par rapport aux autres), des parents en situation monoparentale.

    Cette étude démontre également qu’un agent immobilier sur trois est d’accord pour discriminer. Je pense que de manière générale nous pouvons transposer ces conclusions à la Wallonie.

    L'homologue de Madame la Ministre, la Ministre Frémault, a décidé de prendre plusieurs initiatives : campagnes d’affichage, organisation de journées de formation pour les agents immobiliers.

    Compte-t-elle mettre en place un Plan contre les discriminations au logement et s'inspirer des initiatives du Gouvernement bruxellois ?

    Enfin, cette étude universitaire recommande également l’instauration d’un contrôle de tous les agents immobiliers au moyen de tests de correspondance et de « mystery shopping ». Les agents immobiliers qui seraient pris à discriminer durant la première phase de contrôle pourraient être incités à suivre une formation en diversité, un dispositif que les membres de la majorité cdH-MR ont rejeté lors du débat sur le décret bail. Je pense qu’il faut pouvoir dépasser certains « blocages idéologiques » et agir pour ces citoyens qui sont stigmatisés.

    Compte-t-elle revoir son positionnement et mettre en œuvre un tel dispositif qu'elle a, par ailleurs, soutenu lorsqu'elle était députée en votant la résolution initiée par mon groupe pour lutter contre les discriminations en matière de logement ?
  • Réponse du 04/06/2018
    • de DE BUE Valérie
    Tout d’abord, je tiens une nouvelle fois à rappeler mon indignation par rapport à toute forme de discrimination en matière de logement. Rappelons que toute discrimination est interdite de manière générale en vertu du principe d’égalité et de non-discrimination visé aux articles 10 et 11 de la Constitution. La lutte contre les discriminations est consacrée par plusieurs instruments, dont la loi du 10 mai 2007. Par ailleurs, consacré par l’article 23 de la Constitution, le droit au logement ne peut tolérer des disparités inéquitables qui touchent principalement les locataires les plus fragiles.

    Effectivement, des pratiques discriminatoires de la part de bailleurs ont été relevées sur le marché locatif. En 2016, UNIA mentionne 39 dossiers pour la Wallonie, le critère de fortune arrivant en tête (61 % des dossiers) ; les critères « raciaux » suivent en concernant 15 % des dossiers, tandis que le critère du handicap en concerne 13 %. UNIA précise également que « le public identifie de mieux en mieux UNIA pour signaler une discrimination ou des propos de haine dont il est victime ou témoin ».

    On constate une augmentation récente du nombre de dossiers auprès d’UNIA pour plusieurs matières, alors que ce nombre présentait une certaine stabilité pour certaines sur la période 2010-2015. Cela signifie que l’augmentation est peut-être aussi liée au fait que les personnes ont davantage connaissance des dispositifs ou des organismes pouvant entendre leur plainte. La parole est libérée, ce qui est une bonne chose. Rien ne dit qu’il y ait plus de faits, mais en tout cas il y a plus de déclarations et de plaintes.

    L’honorable membre mentionne une récente étude universitaire réalisée à la demande de la Région de Bruxelles-Capitale. Il est toutefois délicat d’affirmer qu’il est possible de transposer les conclusions de cette étude à la Wallonie.

    D’une part, la structure du marché locatif est différente ; notamment, le fait de passer par une agence est a priori moins fréquent en Wallonie qu’à Bruxelles. Selon l’IPI, 1/5e des agents immobiliers en Belgique sont implantés en Région de Bruxelles-Capitale, suivi de la Flandre. Beaucoup de transactions locatives se font entre particuliers en Wallonie.

    D’autre part, comme le souligne la différence dans les critères de discrimination les plus saillants au niveau des dossiers traités par UNIA, la Wallonie présente un profil différent : tandis qu’à l’échelle de l’ensemble de la Belgique les critères de fortune et d’origine concernent un nombre similaire de dossiers, en Wallonie c’est le critère de fortune qui intervient le plus.

    Je ne vais pas revenir sur les nombreuses discussions étant déjà intervenues sur la cette problématique dans le cadre de l’examen du décret relatif au bail d’habitation. Je soulignerai néanmoins à nouveau que l’article 6 du décret devrait être de nature à limiter les risques de discriminations grâce à la liste limitative des informations pouvant être demandées par le bailleur qui y est prévue. Une des informations pouvant être sollicitées par le bailleur est le montant des ressources financières dont dispose le candidat-preneur. Il s’agit simplement de veiller à ce que ce candidat soit effectivement capable de s’acquitter de son loyer. Par ailleurs, je tiens à rappeler ce qui a déjà été dit dans le cadre des travaux parlementaires, à savoir que l’on vise bien ici le montant des ressources financières et non la nature des revenus.

    Je ne vais pas non plus répéter ici ce qui a déjà été longuement énoncé quant à l’introduction des contrôles mystères ou « mystery shopping » dans le projet de décret préparé par les Ministres Furlan et Dermagne. Il ne s’agissait que d’une habilitation au Gouvernement d’organiser ce dispositif. Le Conseil d’État a indiqué la nécessité de garantir dans le décret même les droits de chacune des parties. Le Ministre Dermagne n’a pas suivi cet avis. Comme j’ai pu le dire dans le cadre des débats de la commission sur le décret relatif au bail d’habitation, je reste ouverte à des propositions sur le sujet, mais je souhaite que toutes les garanties juridiques nécessaires soient assurées.

    Rappelons que l’utilisation du contrôle-mystère dans le cadre d’une politique contraignante systématique (autrement dit de police administrative) en vue de constater des infractions soulève de nombreuses questions de légalité. Par exemple, au niveau fédéral dans le domaine commercial et de la production du consommateur, l’arrêté royal du 22 juin 2017 précise à la suite des avis du Conseil d’État et des organes consultatifs, plusieurs principes plutôt stricts pour recourir aux contrôles mystères à des fins de sanction, qui doivent inspirer notre réflexion en matière de logement.
    - Le mystery shopping ne peut être appliqué que dans des cas exceptionnels où il est impossible d'examiner les pratiques réelles en utilisant les techniques de recherche classiques. En principe, il est utilisé en dernier recours, lorsque les constatations ne peuvent avoir lieu d’une autre manière.
    - Les agents constatateurs doivent respecter aussi le principe de subsidiarité et de proportionnalité.
    - Par analogie avec les infractions de police ou criminelle, il ne peut y avoir de « provocation » au sens de l'article 30 du Titre préliminaire du Code d'instruction criminelle.
    On le constate, les conditions sont très strictes.

    En outre, pour instaurer des contrôles mystères tels que l’honorable membre l’envisage, il faudrait disposer des moyens humains importants et adopter une méthodologie irréprochable portant sur des milliers de tests à l’échelle du marché locatif wallon. Ainsi, rien que pour Gand, première ville d’Europe à tester la discrimination au logement, le dispositif d’étude statistique – et non réglementaire – mis en place sous la houlette de l’Université de Gand et qui se focalise uniquement sur la prise de contact sur la base de l’annonce a mobilisé une équipe d’une trentaine de personnes pour le territoire de cette ville.

    Par conséquent, s’il convient de s’opposer à toute forme de discrimination en matière de logement, il nous faut néanmoins rester prudents et réalistes sur les moyens pour y parvenir.

    Je ne suis néanmoins pas restée inactive : un premier train d’arrêté d’exécution du décret bail a été adopté par le Gouvernement en première lecture ce 17 mai et envoyés au Conseil d’État. L’objectif est de tenter de les adopter avant les vacances d’été. Je souhaite assurer une certaine publicité à ces nouvelles règles dans la foulée, de manière à préparer l’entrée en vigueur de ce décret au 1er septembre.

    Cette publicité sera l’occasion de sensibiliser tant le public que les professionnels du secteur à la lutte contre les discriminations via l’édition de brochures, affiches ou formations spécifiques des agents immobiliers en collaboration avec UNIA, l’IPI, le SNPC, le RWDH et ma collègue, Madame la Ministre Greoli. J’en profiterai pour tenter de répondre le plus complètement aux demandes du Parlement exprimées dans le cadre de la résolution adoptée par le Parlement.

    À cet égard, j’ai chargé la DGO4 de mettre sur pied une brochure informative sur la discrimination au logement pour les parties au contrat à l’instar de ce qui a été fait à Bruxelles. J’ai souhaité que le Syndicat national des propriétaires et copropriétaires, UNIA, le RWDH et Federia y soient associés. Il s’indiquera de la traduire dans les langues nationales, en anglais, mais aussi en arabe ou dans d’autres langues, car je pense que la langue ou la culture peut constituer une barrière à cette information et au respect de la législation.

    Il s’agira d’assurer une large publicité à cette dernière : sur les sites de la DGO4, d’UNIA, du SNPC, etc. Il conviendra peut-être de l’inclure dans l’annexe pédagogique et synthétique en cours de rédaction. Dans la mesure où elle sera annexée au bail, une diffusion plus large sera acquise.

    Ensuite, c’est bien de s’attaquer aux symptômes comme le fait la résolution, mais c’est la maladie qu’il faut guérir et là, la résolution reste étrangement muette dans les demandes au Gouvernement qu’elle formule.

    Les développements de cette dernière comportent plusieurs passages intéressants du dernier baromètre de la Diversité Logement d’UNIA :
    « Dans le contexte de crise que nous traversons, la demande pour certains types de logements, bon marché, dépasse largement l’offre. La concurrence entre candidats locataires s’en trouve exacerbée. La multitude de candidats tend à renforcer la dynamique discriminatoire ». (…)
    « Étant donné la faiblesse de l’offre de logements sociaux, ces publics n’ont souvent pas d’autre alternative que de se tourner vers des logements privés de très mauvaise qualité, petits, humides, peu ou pas isolés et donc chers en énergie, des logements en définitive très coûteux au regard de leur très piètre qualité ». (…)

    « Après les critères liés à l’origine ethnique ou nationale, le motif de discrimination le plus couramment invoqué par ceux qui s’adressent au Centre est celui de la « fortune » (autrement dit celui des ressources ou revenus financiers d’une personne), qui est par ailleurs en constante augmentation depuis quelques années. Il s’agit typiquement de personnes qui se voient refuser un logement parce qu’elles émargent au CPAS ou bénéficient d’un revenu de remplacement ». (…)

    « Or, si la discrimination à l’accès d’un logement peut être le fait de préjugés non fondés à l’encontre de certaines catégories de personnes, la sélection d’un locataire par le bailleur (ou l’agent immobilier) résulte souvent plus prosaïquement du souci, légitime, de confier son bien à un locataire scrupuleux du respect des termes du contrat de location, comme le paiement du loyer ou l’entretien de son logement. Le traitement des signalements liés au critère de la fortune est, de fait, délicat à appréhender... »


    Les problèmes majeurs sont donc :
    - Le manque de logements sociaux.
    Doit-on rappeler que les 15 dernières années n’ont vu progresser le parc social wallon que de… 167 unités nettes, de 100 911 en 2000 à 101 078 en 2014. La dernière année s’est même soldée par une diminution nette…;

    Ce chiffre de 167 logements en plus sur 15 ans s’explique pas les démolitions de logements dans le cadre du PEI, le grand nombre d’abandons de projets, la vente de logements pour équilibrer les comptes des SLSP, et cetera, mais restent particulièrement cruel pour ce qui est de l’efficacité de cette politique régionale. UNIA a donc raison de pointer cette insuffisance de logements sociaux. Il n’y a pas une ligne dans les demandes au GW à ce sujet dans la résolution.

    Le Gouvernement prépare néanmoins la mise en place du PWI pour augmenter sensiblement l’offre de logements publics et nous escomptons que les partenariats avec le privé permettront une concrétisation de ces derniers plus rapide que la voie classique.

    - Le fait que « la demande pour certains types de logements, bon marché, dépasse largement l’offre » dixit UNIA cfr ci-dessus.
    Ne faudrait-il prendre également des mesures pour développer une offre de petits logements de qualité à prix raisonnable ? La demande pour ce type de logements ne va que s’accentuer dans les années à venir d’après le Bureau du Plan. (N.B. On passerait de 552 628 ménages isolés en 2015 à 678 886 en 2030 soit +128 258 ménages (près de 23 % d’augmentation) en 15 ans et donc autant de logements adaptés à prévoir en termes de taille 884 925 ménages isolés seraient attendus en 2061, soit 332 297 de plus qu’en 2015 (+ 60 %)).
    * On peut songer aux règles d’urbanisme (accélération de la délivrance des permis, règles plus claires, moins nombreuses, et cetera permettant une diminution des coûts de construction, et cetera).
    * On peut songer à la fiscalité.
    * Se pose également la question des effets pervers des protections accordées aux locataires à petits revenus ou dit autrement, à l’absence de mutualisation des risques liés à la location de ce type de logement. Là nous sommes dans les compétences de cette Commission.
    Concrètement, un bailleur qui loue son logement à une personne bénéficiant d’aide sociale (ou d’un revenu équivalent à celles-ci) n’aura bien souvent que le montant de la garantie locative pour l’indemniser en cas d’interruption de paiement du loyer, de dégâts (cfr insaisissabilité des faibles revenus)…

    a) La réduction de trois à deux mois de la garantie locative ne serait peut-être pas une si bonne idée.
    A priori, c’est fort bien pour faciliter l’accès au logement des locataires : ils ne devront disposer que de deux mois de garantie et du premier mois de loyer pour pouvoir prétendre à louer un logement.

    Néanmoins, c’est évidemment moins bien pour le bailleur : on sait tous qu’en cas de non-paiement du loyer (quelle qu’en soit la raison, bonne ou mauvaise), ou de dégâts locatifs (volontaires ou non), le montant de la garantie locative est vite absorbé, a fortiori si une procédure judiciaire s’avère nécessaire. La seule solution pour le bailleur est d’inclure une prime de risque dans le loyer. Dans quelle mesure cette diminution de garantie locative ne va-t-elle pas encore tendre le marché sur ce segment ? Cette diminution de garantie ne va-t-elle pas accentuer encore les discriminations d’accès au logement ? Ne va-t-elle pas inciter les propriétaires à augmenter encore cette prime de risque ? Ces réflexions devront être intégrées dans le cadre de la mission parlementaire.

    b) Il en va de même pour les garanties locatives : le fonds de garantie locative centralisé ne répondrait que marginalement à ce problème de discrimination.
    Ce projet restait peu créatif : il centralisait les deux mois de garantie point. En l’espèce la Région est entièrement compétente. Peut-être conviendrait-il d’être innovant, prévoir une forme de mutualisation entre propriétaires, locataires, des fonds publics pour huiler le mécanisme, et cetera, nous avons déjà fait des propositions en la matière :
    - Ne conviendrait-il pas, par exemple, d’examiner l’opportunité de développer un système d’assurance caution locative généralisée qui existe déjà de manière embryonnaire. Le locataire paie une prime d’assurance de quelques euros par mois et est assuré pour l’équivalent de trois mois de loyer pour d’éventuels dégâts locatifs ou le non-paiement de loyer découlant d’un accident de la vie (perte d’emploi, accident de santé, et cetera).
    - Ce système pourrait, le cas échéant, être combiné à des assurances-loyers impayés qui garantissent le paiement du loyer au propriétaire pendant deux ans maximum et qui prennent à leur charge les frais de Justice éventuels, moyennant contribution du propriétaire. Il pourrait même optionnellement être généralisé à des cas exceptionnels de dégradations volontaires et de grande ampleur du logement tel qu’on en déplore de manière récurrente dans les médias (à la fois dans les secteurs social et privé).

    Ces deux volets ne permettraient-ils pas de rassurer d’une part le propriétaire et, d’autre part, le locataire, à l’abri pendant un temps des conséquences d’un accident de la vie, favorisant également l’accès à un logement de qualité à prix raisonnable ?

    La résolution n’aborde pas cette question non plus. Il ne serait pas inutile que la mission parlementaire se penche sur ces aspects.

    - « Après les critères liés à l’origine ethnique ou nationale, le motif de discrimination le plus couramment invoqué par ceux qui s’adressent au Centre est celui de la « fortune » (autrement dit celui des ressources ou revenus financiers d’une personne).

    Il s’agit en d’autres mots de l’inadéquation entre les revenus et le montant du loyer.

    On pourrait augmenter les aides sociales, les pensions minimales voire les revenus minima, mais tout cela est de compétence fédérale, a des implications budgétaires difficilement conciliables avec les moyens actuellement disponibles.
    La réponse de gauche à ce problème, évidente a priori, et de compétence régionale est d’imposer un blocage des loyers voire un montant de loyers. Partout où cette mesure a été prise, les mêmes constats sont apparus :
    * dégradation du bâti : les propriétaires n’entretiennent plus/n’ont plus les moyens d’entretenir le logement loué à perte ;
    * réduction du parc locatif : les propriétaires vendent à d’autres qui occupent le bien personnellement, accentuant la tension sur le marché : l’offre diminue… ;
    * dessous de table, pas de porte se généralisent pour accéder aux logements restants, discriminant d’autant plus ceux qui ont de plus faibles revenus.

    Les pouvoirs publics n’ont pas la capacité financière nécessaire pour développer une offre suffisante de logements sociaux, on l’a dit. La prise en gestion volontaire, unilatérale ou judiciaire coûte énormément, on en a discuté lors de l’examen du dernier projet de décret. La seule solution pragmatique est de s’appuyer sur le privé. De l’encadrer, de l’aider certes, mais sans lui il n’y aura pas de solution.

    La Région doit donc favoriser l’investissement dans ce type de logement cfr point ci-dessus (urbanisme, fiscalité). La mise en place d’allocations-loyers pour les candidats-locataires sociaux dans les conditions patrimoniales et de revenus pour en bénéficier, mais qui restent dans les listes d’attente faute d’offre suffisante pourra également constituer une aide précieuse.

    En résumé, cette résolution, on l’a dit plus haut, tente de guérir les symptômes, pas la maladie…