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Le retrait de sept licences d'exportation d'armes à la FN

  • Session : 2018-2019
  • Année : 2018
  • N° : 7 (2018-2019) 1

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  • Question écrite du 28/09/2018
    • de PUGET André-Pierre
    • à BORSUS Willy, Ministre-Président du Gouvernement wallon
    En juin dernier, le Conseil d’État avait suspendu sept licences qui concernaient l’armement militaire à destination de l’Arabie saoudite.

    Aujourd’hui, nous apprenons que les licences ont été retirées à la FN et « qu’aucune décision d’octroi de licences d’exportation pour le même matériel et la même destination n’a été prise suite aux décisions de retraite ».
    Le cabinet de Monsieur le Ministre-Président a précisé que ces retraits de licences devaient s’analyser comme des « réponses spécifiques à des dossiers spécifiques ».

    La FN Herstal, entreprise publique d’armement détenue à 100 % par la Région wallonne, emploie près de 1 500 personnes dans le sud du pays.

    En octobre 2017, la FN avait reçu son feu vert, sous forme de licences, pour l’exportation d’armes militaires vers l’Arabie saoudite, premier client des armes wallonnes avec 153 millions d’euros de commandes pour 2017 et en outre, pays régulièrement critiqué en matière de droits de l’homme.

    À l’évidence, une telle décision risque d’avoir un impact significatif sur le chiffre d’affaires et, par conséquent, sur l’emploi.

    À la Ligue des droits de l’homme, on imagine désormais difficilement comment la Région wallonne pourrait à l’avenir justifier l’adoption de nouvelles licences vers l’Arabie saoudite.

    Au vu de la motivation des arrêts du Conseil d’État, on ne voit pas comment la Région pourra se justifier de telles livraisons sans impacter le respect des droits humains, la stabilité régionale ou encore la lutte contre le terrorisme.

    Du côté de la FGTB comme de la Ligue des droits de l’homme, on préconise un débat public et transparent sur le dossier, notamment pour y discuter des aspects éthiques.

    Monsieur le Ministre-Président peut-il nous en dire plus au sujet de ses motivations quant au retrait de ces licences ?

    Lorsqu’en octobre 2017, il donne son feu vert pour l’exportation, a-t-il connaissance d’éléments qui peuvent le laisser penser que sa décision léserait le respect des droits de l’homme et favoriserait le développement du terrorisme dans cet État ?

    L’avocat de la Région wallonne écrivait dans un courrier à la Ligue des droits de l’homme et au CNAPD le 13 septembre qu’aucune décision d’octroi de licences d’exportation pour le même matériel et la même destination n’a été prise.

    Une décision pourrait-elle cependant être prise dans le futur ?

    Du matériel différent issu de la FN pourrait-il dès lors être envoyé en Arabie saoudite ?

    Son cabinet parle de « réponses spécifiques à des dossiers spécifiques ». Peut-il être un peu plus complet à ce propos ?

    Enfin, je souhaiterais savoir ce qu’il pense d’un débat public et transparent sur un sujet aussi sensible.
    Pense-t-il qu’un compromis soit possible entre le volet commercial et le volet éthique dans ce dossier ?
  • Réponse du 16/10/2018
    • de BORSUS Willy
    Il m’apparaît de prime abord nécessaire de (re)préciser qu’il s’agit bien de six licences – et non sept – qui ont été suspendues par le Conseil d’État, et ce contrairement à ce qu’indiquent différentes sources véhiculant des informations erronées à ce sujet depuis de nombreuses semaines.

    Pour rappel, le Conseil d’État a prononcé, en date du 29 juin 2018, dix arrêts relatifs aux licences « Arabie saoudite » contestées par la Ligue des Droits de l’Homme (LDH) et la Coordination Nationale d’Action pour la Paix et la Démocratie (CNAPD). Six arrêts rejettent les demandes de suspension. Quatre prononcent la suspension à l’égard de six licences : cinq d’exportation et une d’importation temporaire intrinsèquement liée à l’une des cinq premières, et concernant du matériel couvert par les clauses de garantie du fabricant. Autrement dit, deux licences suspendues concernent en réalité le même mouvement : une importation temporaire de matériel pour réparation qui doit ensuite faire l’objet d’une réexportation afin d’être restitué à son propriétaire légitime.

    Compte tenu de ce qui précède, s’il y a bien un impact indéniable sur le chiffre d’affaires de la FN HERSTAL, ce dernier reste somme toute en l’espèce relativement limité et ne devrait pas menacer l’emploi au sein de la société.

    Les six licences suspendues ont fait l’objet de décisions de retrait en date du 19 juillet 2018.
    Cette décision de retirer les licences suspendues doit effectivement être considérée comme la réponse jugée la plus appropriée dans le cadre de dossiers spécifiques, et donc compte tenu de tous les éléments propres auxdits dossiers, en particulier des arrêts du Conseil d’État. En effet, lorsqu’il examine le respect de l’article 14, § 1er du Décret du 21 juin 2012, le Conseil d’État observe uniquement que « l’avis de la commission est en effet silencieux sur [le] sixième critère qui concerne “le comportement du pays acheteur à l’égard de la communauté internationale et notamment son attitude envers le terrorisme, la nature de ses alliances et le respect du droit international” ». Le Conseil d’État ne relève pas autre chose que le caractère incomplet du compte-rendu des avis de la commission.

    En d’autres termes, le dossier administratif ne permet pas, en l’espèce, de démontrer que le Gouvernement a bien examiné les huit critères basés sur la Position commune 2008/944/PESC du Conseil du 8 décembre 2008, car le compte-rendu des avis de la commission ne faisait pas systématiquement référence – jusqu’alors – à l’ensemble des critères examinés en commission. Il ne renvoyait pas non plus à l’ensemble des documents, études et rapports pris en considération dans le cadre de l’examen de chacun des critères. Le compte-rendu des avis de la commission mentionnait uniquement les critères qui avaient fait l’objet de remarques ou commentaires particuliers.
    J’attire ici l’attention sur le fait que, tenant compte des enseignements de cette procédure devant le Conseil d’État, les comptes-rendus des avis de la commission ont été revus. Ils mentionnent désormais une analyse de chacun des critères, et ce depuis la première commission de 2018 qui s’est tenue en février.

    Contrairement à ce que laissent entendre les ASBL requérantes dans ce contentieux, le Conseil d’État ne s’est pas prononcé sur l’appréciation des critères opérée par le Gouvernement. Il n’aurait été en mesure de le faire qu’à la condition que le dossier administratif fut complet. Le cas échéant, il aurait éventuellement pu sanctionner une erreur manifeste d’appréciation des faits ou l’usage manifestement déraisonnable, voire abusif, qu’aurait fait le Gouvernement de son pouvoir d’appréciation discrétionnaire. Ce n’est pas le cas et on ne peut faire dire à ces arrêts ce qu’ils ne disent pas.

    À cet égard, et pour répondre précisément aux questions de l’honorable membre, en octobre 2017, le Gouvernement ne disposait d’aucun élément permettant d’envisager que les exportations demandées étaient susceptibles de léser les droits de l’homme ou le droit humanitaire international, ou encore de favoriser le développement du terrorisme. Il va de soi que, dans le cas contraire, les licences auraient été refusées. Comme l’ont été - je le rappelle - 23 licences en 2017 dont 4 à destination de l’Arabie saoudite, ce qui représente près de 18% des refus.

    Compte tenu de ce qui précède, il ne peut en aucun cas être tiré comme conclusion que le Gouvernement va désormais appliquer un embargo wallon vis-à-vis de l’Arabie saoudite, que ce soit pour du matériel similaire ou différent, de la FN ou de tout autre opérateur économique. Conformément à l’article 14, § 1er du Décret du 21 juin 2012, chaque demande de licence concernant l’Arabie saoudite – à l’instar d’autres états – continuera à faire l’objet d’une analyse au regard des huit critères basés sur la Position commune 2008/944/PESC du Conseil du 8 décembre 2008 ; et, tenant compte de cette analyse, des licences sont toujours susceptibles d’être accordées. En effet, à défaut d’embargo européen, prendre l’initiative d’un embargo isolé vis-à-vis de l’Arabie saoudite serait uniquement préjudiciable pour les entreprises wallonnes et les emplois au sein de ces dernières, mais n’aurait aucun impact sur les livraisons de matériel militaire à l’Arabie saoudite, car elles se feraient sans nul doute au départ d’autres États membres ou d’autres pays.

    Ce n’est pas un secret : les autres États membres exportent toujours massivement du matériel militaire vers l’Arabie saoudite et, pour certains, cela se chiffre – non en millions – mais bien en milliards d’euros…

    Enfin, en matière de transparence et de débat public, le Gouvernement remet annuellement au Parlement un rapport fort étayé sur l’application du décret. Toutefois, j’attire l’attention sur les obligations de confidentialité que nous avons vis-à-vis des entreprises concernées par les licences. Il est incontestable que sont en jeu, en l’espèce, des intérêts commerciaux majeurs. Le droit des entreprises au respect de leurs secrets d’affaires par les autorités publiques a notamment été consacré par la Cour de Justice des Communautés Européennes. Les entreprises bénéficiaires des licences sont souvent tenues par des engagements contractuels de confidentialité stricte à l’égard de leurs clients. Ces engagements concernent non seulement les produits visés par les licences, mais également l’ensemble des informations et échanges opérés dans le cadre de leurs relations contractuelles.

    La divulgation d’informations stratégiquement sensibles (destinataire final, nature et quantité des produits, prix, caractéristiques techniques, etc.) porterait atteinte au secret des affaires et préjudicierait gravement les sociétés en mettant en péril leur crédibilité et leur position concurrentielle. Au-delà de cette question, il ne faudrait pas perdre de vue les enjeux liés aux relations internationales de la Région wallonne.

    La nécessité de respecter une certaine confidentialité en la matière a par ailleurs été reconnue par le Conseil d’État qui a accueilli favorablement la demande visant le maintien de la confidentialité des pièces du dossier.

    Dans ce contexte, la question d’un débat public et transparent en matière de licences doit être examinée compte tenu du droit des entreprises au respect de leurs secrets d’affaires et de la nécessaire confidentialité qui en découle.