/

La gestion chaotique de la politique énergétique fédérale et les impacts sur la Wallonie

  • Session : 2018-2019
  • Année : 2018
  • N° : 27 (2018-2019) 1

2 élément(s) trouvé(s).

  • Question écrite du 02/10/2018
    • de STOFFELS Edmund
    • à CRUCKE Jean-Luc, Ministre du Budget, des Finances, de l'Energie, du Climat et des Aéroports
    J'interrogeais déjà Monsieur le Ministre il y a 15 jours sur la décision de Madame Marghem sur sa décision de ne pas faire appel à la réserve stratégique pour cet hiver.

    Pour rappel, le cabinet de Madame Marghem déclarait début septembre « Nous n’avons besoin d’aucune réserve stratégique ; la production intérieure et les possibilités d’importation sont suffisantes ».

    Deux semaines plus tard, c’est de nouveau bérézina, la Ministre déclare : « procéder à une analyse de la situation engendrée par la mise à l’arrêt de l’ensemble des réacteurs nucléaires du pays, à l’exception de Doel 3 durant le mois de novembre. »

    À ce niveau, un tel amateurisme est inacceptable. Monsieur le Ministre partage-t-il ce constat ?

    En 2014 lors d’un débat sur cette même problématique il reprochait au Ministre Furlan de renvoyer la balle vers le Fédéral. « Mais si cela se passe mal cet hiver, cela va retomber sur l'ensemble des responsables (politiques). On sera responsables de tout, tous ensemble !

    Comme Ministre de l’Énergie, quelles initiatives compte-t-il prendre ?

    Ne serait-il pas opportun de demander une réunion urgente avec ses collègues Ministres de l'Énergie ?

    Peut-il faire le point sur ce dossier et sur l’impact éventuel sur les citoyens wallons, mais également au niveau des entreprises situées en Wallonie ?
  • Réponse du 18/10/2018
    • de CRUCKE Jean-Luc
    * Contextualisation

    Le risque de pénurie est la conséquence immédiate de l’arrêt inopiné de deux centrales nucléaires. Cet arrêt n’avait évidemment pas été anticipé lors de la décision qu’aucune réserve stratégique ne serait nécessaire cet hiver (cf. réponse à la question de M. Stoffels concernant la fin de la réserve stratégique). À noter également que nous sommes dépendants de la situation de sécurité d’approvisionnement dans l’ensemble de la zone CWE (Centre West Europe que nous formons avec les pays limitrophes).

    Rappelons brièvement ce qui justifie aujourd’hui que nous opérions nos centrales nucléaires, dont certaines vieillissantes :
    - Leur coût marginal est très faible (de l’ordre de 15 à 20 euros/MWh), ce qui les rend très compétitives si aucun investissement imprévu n’est nécessaire.
    - Elles sont présentes et disponibles, alors que les alternatives manquent.
    - Elles sont fiables et produisent en base load.

    Leurs défauts à répétition ces dernières années mettent à mal leur prétendue fiabilité qui a une double conséquence économique :
    - Pour pallier à leur absence, nous devons soit importer (à un coût qui dépend alors de la production sur la plaque européenne), soit investir dans des outils de backup ou de production plus rapidement que prévu.
    - Les défauts entrainent inévitablement des coûts directs (réparations diverses), mais également indirects (notamment les assurances en cas d’accident).

    Leur prétendue disponibilité a constamment retardé leur mise à l’arrêt : pourquoi arrêter un outil qui fonctionne à un bas coût ? Nous vivons aujourd’hui ce qui nous pend peut-être au nez pour 2025 : la disparition très rapide (quelques mois ou quelques années) de 6 GW de production sans disposer d’outils de remplacement.

    Dans tous les cas, il conviendrait d’exiger de l’exploitant qu’il estime le degré de fiabilité de ses centrales dans les années à venir.



    * Concernant l’évolution du prix

    Premièrement, il ne faut pas faire l’amalgame entre un prix court terme sur le marché spot influencé par la volatilité (cotation instantanée sur la bourse) et un prix à long terme sur le marché forward influencé par le coût marginal d’un parc de production (prix d’achat sur le long terme, en général 1 an).

    La volatilité a toujours existé et des prix qui passent la barre des 400 euros/MWh également. Cette volatilité ne va faire qu’augmenter avec la transition : la production variable et intermittente par définition non pilotable et le manque de fiabilité constatée du parc nucléaire en Belgique en sont les principales raisons. La flexibilité (déplacement de charge, stockage, délestage, génération flexible comme les TGV…) permettra de limiter cette volatilité. Il s’agit de la combinaison nécessaire pour assurer le remplacement du nucléaire. C’est l’occurrence d’un prix spot élevé qui est susceptible d’influer le prix forward lorsqu’il est le signal d’un manque structurel de capacité de production sur le marché.

    Le prix au consommateur est quant à lui déterminé par le prix forward, qui tient compte à plus long terme des outils disponibles sur le marché et de leur coût marginal. Nous devons à cet effet constater une augmentation entre le mois de janvier 2018, où le prix était encore de l’ordre de 35 euros/MWh et son prix actuel de l’ordre de 55 euros/MWh. Les prix de toutes les énergies fossiles suivent une courbe ascendante sur les marchés internationaux et l’électricité dont une partie est générée sur base de certaines de ces énergies n’échappe pas à cette hausse généralisée. Cette augmentation, qui sera répercutée sur la facture des consommateurs, est due à l’augmentation des prix du charbon et du gaz sur les marchés internationaux -, des vecteurs d’énergie largement présents dans le mix énergétique européen - mais aussi à la hausse du prix de la tonne de carbone sur le marché européen (passant de ~5 euros/t à ~25 euros/t en 6 mois) et à l’indisponibilité plus structurelle de certains outils européens (nucléaires français notamment). Notons à cet égard que le parc nucléaire français est le plus important en Europe et représente 10 fois la capacité nucléaire installée en Belgique. Ces deux dernières années, les prix ont également augmenté de manière structurelle dans les autres pays de la zone CWE. Cette tendance devrait se maintenir. Par ailleurs, des prix forward jusqu’à 65 euros/MWh ont été observés. Ils peuvent être expliqués par l’effet d’ordre « psychologique » provoqué par l’arrêt de certaines centrales qui pousse momentanément le prix à la hausse. Nous avons pu observer ce phénomène ces dernières années avec un prix qui monte, parfois de manière significative, pour revenir à son niveau précédent un évènement tel que l’arrêt d’une centrale.

    En conclusion, les prix structurels observés (~55 euros/MWh) seront répercutés sur la facture, par contre le prix spot (>400 euros/MWh) et les prix forward « choc » (~65 euros/MWh) ne devraient influencer le prix que s’ils s’inscrivent dans le temps, « signal » que le marché européen ne nous donne pas pour le moment. Par contre, ces prix sont un excellent indicateur pour alerter le marché et orienter les prises de décision.

    Une évolution du prix des marchés ne se répercute pas de manière linéaire sur la facture d’un consommateur. Plusieurs raisons justifient cela : la compétitivité sur le marché (dans le top européen) limite la marge de manœuvre pour répercuter les augmentations sur le marché de gros ; les fournisseurs s’approvisionnent en prenant des positions sur les marchés à diverses échéances (la majeure partie du volume est à long terme et subit donc moins l’influence des prix spots, il s’agit généralement de transactions « over the counter » ou bilatérales privées à long terme).

    La situation des clients est également différente s’ils ont un contrat à prix fixe ou à prix variable. Dans le cas d’un prix fixe, ils sont protégés de toute augmentation de la part énergie de leur facture jusqu’à l’échéance de leur contrat.

    Enfin, l’augmentation du prix de l’électron n’impacte que la partie énergie pure de la facture qui constitue seulement un tiers de la facture d’électricité du résidentiel.



    * À moyen terme, que doit faire la Région pour contribuer à la sécurité d’approvisionnement ?

    La Région est compétente en matière de déploiement du renouvelable et de solutions flexibles (hormis les centrales au gaz). Ce déploiement s’inscrit dans le temps. Il doit accompagner une sortie progressive du parc actuel, mais est bien incapable de pallier un arrêt abrupt des centrales comme c’est actuellement le cas.

    Un autre élément concerne la fiabilité du système électrique belge. Celui-ci est parmi les plus fiables au monde avec un Lost of Load Expectation (LOLE) de 3 h. Le LOLE représente une mesure de la sécurité d’approvisionnement et de la fiabilité du système. Il indique le nombre d’heures par an pendant lesquelles, sur le long terme, on peut s’attendre statistiquement à ce que l’offre ne rencontre pas la demande. Ce degré de fiabilité élevé a rendu le consommateur que nous sommes exigeant et intolérant par rapport à une possible pénurie. Des pays comme les États-Unis acceptent une fiabilité nettement moindre que nous, avec des délestages occasionnels.



    * Le Fédéral se mobilise pour dégager des solutions

    Voici une synthèse des pistes envisageables par le Fédéral :



    * À très court terme, quelles actions doivent être prises par la Région ?

    Si le Fédéral ne trouve pas de solutions pour couvrir l’intégralité des besoins, nous devrons envisager les plans de délestage. À l’heure actuelle, il manquerait encore de l’ordre de 1 GW (chiffre de ce jeudi 27/09), la Ministre fédérale ayant trouvé environ 750 MW (ELIA estime le manque de capacité suite à l’arrêt des centrales à environ 1,8 GW).

    Dans l’éventualité où le gestionnaire de réseau de transport détecterait une menace de pénurie, c’est-à-dire qu’à un moment donné, dont l’horizon est celui de la prévisibilité de la production notamment renouvelable, l’offre d’électricité en ce compris l’énergie disponible via les interconnexions ne suffirait pas à couvrir l’entièreté de la demande, j’en serai directement averti, ce qui nous permettra, mes collègues Ministres de l’Énergie et moi-même de prendre les mesures nécessaires pour y faire face.

    Cette détection par ELIA d’une menace de pénurie déclenchera la procédure qui organise les rôles de chaque autorité et acteur pour coordonner au mieux la réponse à apporter en cas de pénurie avérée et pour assurer la cohérence des informations transmises à la population.

    Le centre régional de crise wallon sera également directement averti et pourra prévenir les structures concernées de se préparer à réduire leur consommation ou à faire face à un éventuel délestage. Les structures les plus critiques ont quant à elles été identifiées et seront soit affectées à une tranche qui ne sera pas délestée ou seront réalimentées en priorité.

    Enfin, avant l’activation d’un plan de délestage, le bon sens voudrait que nous puissions, tous les consommateurs collectivement, réduire quelque peu notre consommation aux moments critiques, c’est-à-dire entre 17 h et 20 h. Rappelons à ce titre l’exercice de Lampiris en 2014 qui était capable de réduire de l’ordre de 150 MW la consommation de ses ménages par un simple SMS. Un plan de ce type pourrait également être envisagé de manière plus structurelle.

    Quant à l’opportunité de demander une réunion urgente avec mes collègues, je souhaite rappeler que la sécurité d’approvisionnement est une matière fédérale et nous respectons donc cette répartition des rôles. Nous restons cependant attentifs aux mesures envisagées par les autorités fédérales et veillerons à ce que ces mesures ne désavantagent pas la Wallonie.

    Nous avons, en tant qu’autorité wallonne, un rôle à jouer en matière de communication. Je m’engage à communiquer de manière responsable, régulière et structurée sur les évolutions de ce dossier.

    Aujourd’hui, j’incite chacun à investir dans la transition énergétique. J’ai ainsi revu les primes à la hausse et je recommande d’installer des panneaux photovoltaïques, car c’est rentable sans aide aujourd’hui. Je ne peux pas recommander aux citoyens de s’équiper en générateur domestique, car le coût de ces générateurs est prohibitif au regard du bénéfice envisagé à savoir éviter quelques heures d’interruption de fourniture d’électricité. En outre, ces générateurs sont peu efficaces au niveau du rendement sans compter la pollution qu’ils engendrent.