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L'avenir du secteur agricole suite aux accords de l'OMC à Hong Kong.

  • Session : 2005-2006
  • Année : 2006
  • N° : 67 (2005-2006) 1

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  • Question écrite du 09/01/2006
    • de STOFFELS Edmund
    • à LUTGEN Benoit, Ministre de l'Agriculture, de la Ruralité, de l'Environnement et du Tourisme

    La fin de l'année 2005 n'a pas été sans provoquer des inquiétudes dans le monde agricole. Inquiétudes qu'il ne s'agit pas d'amplifier mais auxquelles il va falloir opposer des perspectives positives.

    Les négociations OMC ont conduit à la suppression des subsides à l'exportation. Cette suppression avait déjà été décidée par le groupe du G8. A présent, la date a été fixée. Les perspectives financières actuelles dans le cadre du budget pluriannuel portent jusqu'à 2013.

    Le Ministre-Président flamand a déclaré devant le Parlement flamand qu'il n'accepterait pas qu'il soit porté préjudice à l'agriculture, que les décisions prises sont dommageables pour l'agriculture belge dans son ensemble.

    Le Ministre De Gucht vient à une autre conclusion lorsqu'il dit que la suppression ne posera pour ainsi dire pas de problème pour l'agriculture belge. Les subsides à l'exportation de 3,5 milliards d'euros ne seraient en effet pas dépensés étant donné que les prix mondiaux sont suffisamment élevés. Aucune compensation ne serait alors nécessaire. Les subventions octroyées le seraient essentiellement pour le sucre, le boeuf et les produits laitiers.

    La déclaration du Ministre De Gucht devant la Chambre se voulait rassurante, mais soulève des questions - notamment lorsqu'il se justifie en disant que l'extensification de l'élevage bovin réduira la production de viande et que le secteur des produits laitiers s'oriente de plus en plus vers des produits avec valeur ajoutée et contribue à la diminution des excédents laitiers et de la montagne de beurre.

    Ainsi, j'aurais aimé que Monsieur le Ministre me fasse connaître son analyse de la situation.
  • Réponse du 01/02/2006
    • de LUTGEN Benoît

    Il est toujours instructif d'entendre les commentaires et les conclusions que d'aucuns émettent sur les effets des négociations agricoles au sein de l'Organisation mondiale du commerce et sur la Politique agricole commune de l'Union européenne.

    A mon sens, quatre éléments principaux sont à prendre en compte :

    - ce que seront les résultats des négociations agricoles à l'OMC et leurs effets particuliers pour les principaux produits agricoles wallons ;

    - les effets de la mise en œuvre du découplage des mesures de soutien direct auxquelles s'ajouteront en 2006 les aides liées à la betterave, à la chicorée et au lait, sur les choix de production des agriculteurs européens ;

    - les effets des accords pris à Hong Kong sur les marchés mondiaux de pays émergents, grands consommateurs potentiels de produits agricoles, en particulier la Chine et l'Inde ;

    - le développement de grande ampleur et très rapide dans les pays développés et en développement de filières de production de biocarburants, grandes consommatrices de matières première agricoles.

    Inévitablement, ces quatre variables s'opposeront ou se soutiendront pour influencer les prix mondiaux.

    La situation est donc loin d'être clairement arrêtée et il y a tellement de variables et d'inconnues que bien malin serait celui qui peut prédire l'avenir à ce stade. Ainsi, à titre d'exemple, une épidémie de grippe aviaire, un développement de la peste porcine ou une crise agro-alimentaire quelconque dans une région de la planète, perturbent complètement les marchés, sans parler des tensions internationales possibles.

    Pour ma part, je me contente d'essayer d'analyser la situation et de confronter les conclusions de cette analyse à nos objectifs régionaux, afin de fixer les voies et moyens pour atteindre ces objectifs.

    Quelle est la situation après Hong Kong ?

    Fondamentalement, aucun engagement formel supplémentaire n'est ajouté à ceux pris à Genève en juillet 2004 :

    - le principe de l'abandon conditionnel des restitutions aux exportations avait déjà été concédé ;

    - la limite de 2013, avec une réduction substantielle avant la moitié de la période, reste conditionnée par l'abandon ou la discipline des autres formes de soutien aux exportations utilisées par les autres pays développées. Cette date ne pose pas, en soi, de réel problème.

    Le danger apparaît plutôt lorsqu'on couple la suppression des restitutions à l'offre de réduction des protections douanières avancées par la Commission. Or cette offre est faite. On espère ne pas aller au-delà. Mais il sera très difficile d'offrir moins.

    La véritable menace réside donc dans le niveau d'accès au marché européen que l'Europe concèderait aux grands exportateurs de produits agricoles.

    En effet, dans un marché protégé par des barrières douanières correctes, la combinaison des effets des primes découplées et de l'augmentation de la demande des filières biocarburants devrait permettre aux prix, et donc aux revenus agricoles, de se maintenir. Par contre, si les barrières douanières sont insuffisantes, les importations augmenteront considérablement et orienteront les prix et revenus agricoles à la baisse.

    Selon les analyses faites par notre administration, la dernière offre de la Commission européenne menacerait déjà des produits importants pour la Wallonie, tels que le sucre, la viande bovine et de volaille et le beurre.

    Dans ce genre d'exercice, bien entendu, tout est fonction des références que l'on retient. Mon approche est que les barrières douanières sont là pour protéger les produits, en particulier lorsque les prix sont bas. Si l'on se base sur des prix actuels ou sur des moyennes de prix mondiaux, comme le fait la Commission européenne suivie par M. de Gucht, on s'expose à être envahi par des importations à bas prix au moment même où l'on a besoin le plus de protection.

    Prenons le cas emblématique du sucre. Lors du Conseil des Ministres de l'Agriculture de novembre dernier, nous avons fixé le prix de référence du sucre à 404 euros la tonne à l'horizon 2009. La protection annuelle est de 339 euros la tonne, additionnée d'une protection de sauvegarde qui peut aller jusqu'à 196 euros la tonne lorsque le prix mondial est très bas.

    La Commission propose une réduction de 60 % de la protection et, actuellement, tous nos partenaires rejettent la reconduction de la clause de sauvegarde. La protection serait alors de 135,6 euros la tonne.

    Le prix mondial du sucre a considérablement augmenté depuis un an. Il est actuellement à environ 340 USD la tonne. Si, comme la Commission l'applique, on utilise un taux de change 1.1 USD par euro, le sucre mondial accèderait au marché communautaire à 444 euros la tonne, soit bien au-dessus du prix de référence. Toutefois, avec une approche plus prudente d'un prix mondial à 230 USD et un taux de change de 1.2 USD l'euro, comme cela a été le cas entre 2003 et 2005, ce même sucre mondial accède au marché communautaire à 327 euros la tonne, soit bien au-dessous du prix de référence de 404 euros la tonne. Les protections de sauvegarde deviennent alors indispensables.

    Or rien n'indique que l'Union européenne pourra en bénéficier. Ou alors, à quel prix ! Rien n'indique non plus que la proposition de la Commission ne sera pas dépassée. Les pressions pour aller au-delà sont énormes.

    Ce long exposé technique cherche à montrer que la clé des négociations se situe plus au niveau du maintien de protections douanières suffisantes, qu'au niveau des restitutions aux exportations.

    Sur ce dernier point, je me dois à nouveau de préciser un point technique très important. Dans ce type de négociations, ce sont les détails qui font le plus de dégâts.

    L'accord de Marrakech qui régit les échanges actuels de produits agricoles fixe des maxima en valeur et en volume exporté pour nos restitutions.

    Par exemple, toujours dans le cas du sucre, nous pouvons soutenir nos exportations à concurrence maximale de 499 millions d'euros par an, et cela, pour un volume maximal de 1,2 million de tonnes par an.

    Le Conseil des Ministres européens à Hong Kong a clairement précisé que l'engagement de suppression des restitutions ne portait que sur la valeur et non sur le volume. En effet, si tel n'était pas le cas, nous serions tout simplement empêchés d'exporter du sucre, y compris sans restitution. Pourquoi cela ? Parce que l'Organe des règlements des différends de l'OMC a estimé que notre organisation commune de marché du sucre maintenait le prix du sucre à un niveau supérieur au prix mondial et que toutes ventes hors Union à un prix inférieur au prix intérieur impliquaient donc une subvention indirecte non autorisée par l'OMC.

    Le maintien de protections douanières suffisantes, surtout lorsque les prix mondiaux sont bas, est donc mon objectif principal. C'est indispensable si l'on refuse de vider la PAC de son contenu sans pour autant la modifier. C'est ce qui risque d'arriver si l'on autorise l'entrée de produits agricoles à bas prix : les agriculteurs continueraient à recevoir leurs aides découplées, mais ils ne seraient plus capables d'écouler leurs produits sur le marché intérieur (l'extérieur étant inaccessible sans restitutions). Les seules aides découplées seraient insuffisantes pour assurer un revenu agricole décent et le maintien de l'exploitation.

    En résumé, mes objectifs sont donc :

    - ne pas aller au-delà des concessions douanières déjà annoncées par la Commission ;

    - le maintien d'une clause de sauvegarde en cas de baisse excessive des prix mondiaux ;

    - et, alors que plus personne n'en parle, une juste prise en compte des préoccupations des consommateurs que sont la sécurité sanitaire de produits, la traçabilité, le bien-être animal et la multifonctionnalité agricole.