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Les monnaies locales complémentaires

  • Session : 2019-2020
  • Année : 2019
  • N° : 54 (2019-2020) 1

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  • Question écrite du 06/12/2019
    • de CLERSY Christophe
    • à DERMAGNE Pierre-Yves, Ministre du Logement, des Pouvoirs locaux et de la Ville
    Récemment, la Ville de Charleroi a adopté une motion de soutien à la monnaie locale complémentaire, le Carol’or. Cette initiative est un signal fort confirmant la volonté locale de développer l’économie de proximité.

    Sachant que la Déclaration politique régionale insiste sur la volonté du Gouvernement wallon d’encourager les monnaies locales complémentaires, Monsieur le Ministre peut-il me dire quelles initiatives ont été menées par son cabinet afin de clarifier le cadre légal en la matière et permettre aux communes de payer les jetons de présence des mandataires, sur base volontaire, en monnaie locale ?

    Quelle est son analyse politique de la situation ?
  • Réponse du 31/12/2019
    • de DERMAGNE Pierre-Yves
    Je confirme à l’honorable membre que la Déclaration de politique régionale mentionne effectivement que le Gouvernement encouragera, durant la législature 2019-2024, les monnaies complémentaires locales et, éventuellement, régionales.

    En ce sens, j’ai chargé mes services d’analyser l’utilisation de ces monnaies au sein des pouvoirs locaux, et ce, sous différents angles : taxation, rémunération, paiement de prestations…

    Il ressort de cette analyse que leur utilisation dans les administrations locales se heurte, aujourd’hui, à quatre freins majeurs - l’euro étant la seule monnaie légalement autorisée en Belgique - et offre deux pistes réelles d’utilisation.

    En matière de comptabilité communale, l’article 17, §5 du règlement général de la comptabilité communale (RGCC) précise que « toutes les valeurs du bilan sont mentionnées en euros ». Le traitement d’une monnaie complémentaire implique d’effectuer une « double encaisse », ce qui va à l’encontre du principe d’unité applicable en comptabilité ; principe qui veut qu’il n’y ait qu’un seul budget, une seule comptabilité et une seule encaisse. Une commune peut néanmoins acheter de la monnaie locale, mais celle-ci sera alors comptabilisée en termes de stock, comme n’importe quel autre achat de marchandises.

    En outre, la rémunération d’un agent local, dans tous ses aspects - primes, fiscalité, charges sociales, égalité de traitement, et cetera - doit s’appuyer sur la seule monnaie ayant légalement cours en Belgique, sous peine de courir le risque d’ouvrir un débat qui dépasse largement le niveau local.

    Par ailleurs, l’utilisation des monnaies complémentaires locales n’est pas non plus compatible avec la législation sur les marchés publics, au motif que la mise en concurrence serait viciée à l’égard des éventuels soumissionnaires venant d’autres régions que celles où cette monnaie locale a cours.

    Enfin, le paiement des taxes locales par le citoyen ne peut, lui non plus, s’envisager au travers des monnaies complémentaires locales. En effet, le risque est grand pour une commune de ne pas pouvoir réinjecter la totalité de cette monnaie dans le circuit local, dès lors que le système est incompatible avec la législation sur les marchés publics et le paiement des salaires des agents. À cela s’ajoute le risque qui pèserait sur les finances communales dans l’hypothèse où une administration détiendrait une grande quantité de monnaie locale de laquelle les commerçants auraient décidé de se détourner. Dans ce cas, les administrations seraient tributaires de l’éventuel taux de change et des conditions de convertibilité. Complémentairement à ces risques financiers, la perception des taxes locales au travers de monnaies locales, émises exclusivement sous format papier, entraînerait inévitablement un surcroît de travail pour les agents locaux.

    Cela précisé, parallèlement à ces limites, des pistes d’utilisation peuvent néanmoins être envisagées au sein des administrations locales et, sur une base volontaire, dans le chef des bénéficiaires. On pense au paiement de certains services et subventions ou de primes et cadeaux (naissances, pensions, jubilés…). Ces utilisations précises s’inscrivent en cohérence avec les objectifs de ce type de monnaie, à savoir relocaliser les échanges et favoriser le commerce local.

    Quant à la question du paiement des jetons de présence des mandataires locaux, l’article L1122-7 du Code de la démocratie locale et de la décentralisation prévoit, là encore, un paiement en euros : « Le montant des jetons de présence est fixé par le conseil communal. Ce montant est compris entre un minimum de 37,18 euros et un montant maximum égal au montant du jeton de présence perçu par les conseillers provinciaux lorsqu’ils assistent aux réunions du conseil provincial, majoré ou réduit en application des règles de liaison de l’indice des prix ».

    Sans modification décrétale, il n’est pas légal, aujourd’hui, de rémunérer les mandataires en monnaie complémentaire locale. Tout comme pour la rémunération des agents, une telle rémunération poserait, en outre, des difficultés dépassant largement les frontières locales : aspects fiscaux, charges salariales, etc.

    Je souhaite néanmoins pousser la réflexion plus avant, en demandant à mes services d’analyser plus en détail ces verrous et freins qui, aujourd’hui, sont liés à des législations essentiellement fédérales.