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Le coronavirus et la "sino-dépendance" des marchés économiques

  • Session : 2019-2020
  • Année : 2020
  • N° : 221 (2019-2020) 1

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  • Question écrite du 06/03/2020
    • de LUPERTO Jean-Charles
    • à BORSUS Willy, Ministre de l'Economie, du Commerce extérieur, de la Recherche et de l'Innovation, du Numérique, de l'Aménagement du territoire, de l'Agriculture, de l'IFAPME et des Centres de compétences
    Le coronavirus ne manque pas de faire parler de lui, et ce depuis de nombreuses semaines. Au-delà du risque sanitaire qui le caractérise, il a mis en évidence la sino-dépendance des marchés économiques. En effet, il apparaît que de nombreuses bourses s'affolent à travers le monde, que nombre d'objets produits sont en stand-by alors que le coronavirus et les mesures prises en Chine mettent en léthargie les activités économiques des provinces touchées.

    Aujourd'hui, l'Europe, la Belgique et la Wallonie entretiennent des rapports d'échanges économiques avec le marché chinois et, immanquablement, cette crise ne manquera pas d'impacter ces relations commerciales.

    Monsieur le Ministre a-t-il connaissance de la position de l'Europe face à cette dépendance économique ?

    Plus proche de nous, a-t-on à disposition un screening de notre sino-dépendance ? Celle-ci présente-t-elle un risque majeur pour le maintien de l'activité économique en Wallonie ? Notamment pour les pôles logistiques, mais aussi la production ?

    Des alternatives sont-elles à ce jour envisagées en vue de réduire notre sino-dépendance ?
  • Réponse du 26/03/2020
    • de BORSUS Willy
    Je me permets pour commencer de faire le point sur l’état des discussions au niveau européen concernant l’évolution de la situation économique dans le contexte de la crise du coronavirus.

    L’Eurogroupe s’est réuni à cet égard le 16 mars à Bruxelles. Les Ministres des Finances ont commencé la réunion en configuration ouverte (tous les États membres de l'UE) pour la clôturer en configuration ordinaire (Ministres de la zone euro). L'Eurogroupe a fait le point sur la situation économique et a adopté une déclaration sur la riposte économique face à l'épidémie de Covid-19 (https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2020/03/16/statement-on-covid-19-economic-policy-response/). Les ministres ont ensuite fait le point sur l'état d'avancement du train de réformes du mécanisme européen de stabilité (MES) et débattu de l'introduction anticipée du filet de sécurité.

    Les grands argentiers européens ont essayé de coordonner les réponses nationales face à la propagation du Covid-19 et à examiner les éventuelles mesures supplémentaires qui pourraient être prises au niveau européen.

    Alors que les Gouvernements nationaux se préparent à augmenter leurs dépenses afin de compenser le fléchissement de la croissance, la Commission a déjà affirmé que le pacte de stabilité et de croissance – l’ensemble de règles budgétaires de l’Union Européenne – était suffisamment flexible pour faire face à des événements imprévus tels que le coronavirus.

    Dans la foulée de la décision de la Réserve fédérale américaine de réduire les taux d’intérêts, le Conseil des gouverneurs de la Banque Centrale Européenne (BCE) a lui aussi organisé une conférence téléphonique afin d’évaluer l’impact de l’épidémie.

    Les membres de la BCE ont discuté de questions opérationnelles et de la poursuite des activités, mais il n’y a pas eu de débat pour déterminer si la BCE devait mettre en œuvre des mesures, comme l’a fait son homologue américaine, ont précisé les sources.

    Certains États membres sont cependant déjà en train de mettre à jour leurs prévisions. La Suède a revu la croissance de son PIB à la baisse de quelque 3 % pour cette année, a annoncé sa Ministre des Finances, Magdalena Andersson, mercredi 4 mars.

    La BCE a remis le sujet du coronavirus sur la table lors de sa réunion du 12 mars pour répondre aux risques que la progression du nouveau coronavirus fait courir à l’économie. Il en ressort que la BCE permettra aux banques d’opérer temporairement sous le niveau de fonds propres défini par les orientations du pilier 2 (P2G), le tampon de conservation des fonds propres (CCB) et le ratio de couverture des besoins de liquidité (LCR) (https://www.ecb.europa.eu/press/pr/date/2020/html/ecb.pr200312~45417d8643.en.html). La BCE considère que ces mesures temporaires seront renforcées par un assouplissement approprié du tampon de fonds propres contracyclique (Ccyb) par les autorités macroprudentielles nationales. Les banques seront également autorisées à utiliser partiellement des instruments de capital qui ne sont pas éligibles en tant que fonds propres de base de catégorie 1 (CET1), par exemple des instruments de fonds propres additionnels de catégorie 1 ou de catégorie 2, pour satisfaire aux exigences du pilier 2 (P2R). Il s’agit d’une mesure qui devait initialement entrer en vigueur en janvier 2021, dans le cadre de la dernière révision de la Directive sur les exigences de fonds propres (CRD V).

    Enfin, la BCE a également annoncé un plan d’urgence de 750 milliards d’euros destinés à des rachats de dette publique et privée pour tenter de contenir les répercussions sur l’économie de la pandémie de coronavirus. Ce qui monte le montant total débloqué par la BCE à 870 milliards d’euros.

    Savoir exactement quel est le niveau de notre « sino-relation » n’est pas aisé. Je me permets d’abord de rappeler quelques chiffres.

    Pour ce qui concerne nos exportations, en 2019 (estimation sur la base des 6 premiers mois. Les chiffres définitifs des exportations wallonnes pour 2019 seront publiés prochainement par l’AWEx) avec 547,33 millions d’euros soit 1,0 4% (1/96) de nos exportations, la Chine était notre 14e client, entre la République Tchèque et la Suisse. L’épidémie s’est concentrée dans la Province de Hubei. Cette province compte pour 4,1 % de la population et 3,8 % du PNB chinois. On peut donc estimer que cette Province représente environ 1/2500 de nos exportations totales. L’impact de l’arrêt de l’activité économique sera donc négligeable dans nos exportations. Mais il n’y a pas que cette province. Le reste de la Chine se remet lentement au travail. Rappelons que le Nouvel An lunaire est la plus grande fête annuelle en Chine suivie traditionnellement de deux semaines de congés soit cette année du 25 janvier au 9 février. Ces deux semaines de congés sont cette année suivies plusieurs semaines d’inactivité forcée. Quand les entreprises chinoises reprendront le travail, il est plus que probable qu’elles mettront les bouchées doubles pour rattraper leur retard. Selon différents scénarios de l'Economist Intelligence Unit, le taux de croissance annuel du PIB de la Chine en 2020 se situerait entre 4,5 % et 5,7 % en raison du coronavirus au lieu des 5,9 % estimés précédemment. Selon les prévisions plus récentes de l’OCDE pour 2020 (2 mars 2020), la croissance chinoise attendrait 4,9 %, ce qui représente une baisse de 0,8 point de pourcentage par rapport à la prévision de novembre 2019. Il y aura à la reprise du travail en Chine une demande pour les produits intermédiaires qui sont la majorité de nos exportations vers la Chine. La perte sera plus forte pour les biens de consommation wallons et plus particulièrement l’agroalimentaire qui en 2018 représentait 10,4 % de nos exportations en Chine.

    Pour ce qui concerne nos importations, en 2019 (estimation sur la base des 6 premiers mois. Les chiffres définitifs des importations wallonnes pour 2019 seront publiés prochainement par l’AWEx), avec 509,08 millions d’euros soit 1,28 % (1/78) des importations de la Wallonie, la Chine était notre 11e fournisseur, entre l’Irlande et l’Espagne.

    Certains secteurs d’importations (des produits de consommation) n’ont que peu d’influence sur notre activité économique :
    - Textile et habillement (34,2 % de nos importations en 2018) ;
    - Optique, instruments de précision, horlogerie principalement la production en Chine de produits japonais, américains, coréens (14,1 % de nos importations en 2018) ;
    - Jouets (3,9 % de nos importations en 2018) ;
    - Mobilier (3,9 % de nos importations en 2018).

    Cependant, certains produits sont plus sensibles pour notre économie et l’interruption de leur fourniture peut avoir des conséquences dommageables pour la production en Wallonie :
    - machines et équipements (20,1 % de nos importations en 2018) ;
    - chimie (7,7 % de nos importations en 2018).

    Voici les principaux articles importés en 2018 :
    1) Biens de consommation
    • Articles et appareils d’orthopédie : 72,79 millions d’euros
    • Jouets : 18,99 millions d’euros
    • Meubles : 22,13 millions d’euros
    • Téléphones : 12,20 millions d’euros
    2) Biens mixtes (consommation et industrie) :
    • Textile et ouvrages : 33,07 millions d’euros
    • Eclairage : 12,89 millions d’euros
    3) Biens pour l’industrie :
    • Chimie organique : 39,56 millions d’euros
    • Métaux communs et ouvrages : 23,18 millions d’euros
    • Parties de turboréacteurs ou de turbopropulseurs : 15,60 millions d’euros
    • Moteurs à explosion : 11,84 millions d’euros
    • Transformateurs électriques, convertisseurs électriques statiques : 8,21 millions d’euros.

    Des entreprises de différentes branches d’activité font face à une diminution de la demande ou à des problèmes d’approvisionnement selon des enquêtes réalisées par les fédérations Agoria et Fevia.

    Au premier trimestre, l’incidence négative sur la croissance est toujours évaluée comme limitée, mais elle pourrait s’aggraver au deuxième trimestre, si des mesures de confinement plus sévères étaient prises ou si des problèmes au niveau des chaines d’approvisionnement conduisaient à des arrêts de la production dans l’industrie manufacturière. Quand une pièce manque, toute la production est à l’arrêt. La dépendance est forte pour les produits suivants utilisés par l’industrie wallonne (part de la Chine dans la totalité des importations en 2018) :
    - Dérivés halogénés, sulfonés, nitrés ou nitrosés des aldéhydes, des polymères cycliques des aldéhydes ou du formaldéhyde : 100,0%
    - Bismuth et ouvrages en bismuth : 89,7%
    - Composés à fonction carboxyimide (y compris la saccharine et ses sels) ou à fonction imine : 80,3%
    - Acides nucléiques et leurs sels ; autres composés hétérocycliques : 58,0%
    - Tissus de fils de filaments artificiels : 51,4%
    - Composés à fonction nitrile : 46,3%
    - Provitamines et vitamines, naturelles ou reproduites par synthèse ainsi que leurs dérivés : 36,1%
    - Composés organo-inorganiques : 32,7%
    - Dérivés organiques de l'hydrazine ou de l'hydroxylamine : 32,2%
    - Convertisseurs, poches de coulée, lingotières et machines à couler pour métallurgie, aciérie ou fonderie : 21,4%
    - Composés hétérocycliques à hétéroatome(s) d'azote : 19,9%
    - Sels des acides ou peroxoacides inorganiques : 17,5%
    - Antibiotiques : 17,0%
    - Moteurs à explosion : 11,8%
    - Caoutchouc durci : 10,9%
    - Fluor, chlore, brome et iode : 10,1%

    Il est à noter que ces chiffres concernent les importations directes depuis la Chine mais qu’il peut également y avoir des importations de produits chinois via des pays tiers.

    Il est important de noter que Wuhan, la capitale provinciale du Hubei et la plus fortement touchée par cette crise sanitaire, est un centre très important pour l’exportation de pièces pour l’automobile et pour l’électronique. Si la Wallonie n’est pas vraiment concernée par le secteur automobile, par contre une pénurie de pièces détachées dans l’électronique pourrait être problématique.

    Suite à cette crise sanitaire de nombreuses foires et missions économiques auxquelles devaient participer des entreprises wallonnes sont soit reportées soit annulées, principalement en Europe (25), en Asie (16 dont 4 en Chine) et en Amérique du Nord (4). Nous devons déplorer ces pertes d’opportunités d’affaire mais nous pouvons nous consoler en constatant que les concurrents de nos entreprises sont également impactés. De plus des contacts préalables ont été créés et seront exploités par d’autres voies.

    Pour ce qui concerne le volet logistique, la crise sanitaire peut être le prétexte à des réactions exagérées ou des représailles politiques cachées. Par exemple des trains de containers provenant de Chine allant à Liège qui étaient bloqués lors de leur passage en Russie. En revanche, la moitié du transport cargo s’effectue via les soutes des vols passagers et la suppression de ceux-ci vers la Chine entraine un transfert vers les transporteurs cargo. A Liège, les prévisions des opérateurs pour mars et avril ont doublé voire triplé. C’est en effet temporaire mais il y aura peut-être des effets bénéfiques à moyen et long terme.

    Pour ce qui concerne les alternatives envisagées en vue de réduire notre sino-dépendance, je souhaite rappeler la formule « Don’t waste a crisis » (ne gaspillez pas une crise). Nous devrons bien sûr voir quelles sont les adaptations nécessaires pour réduire à l’avenir les risques liés à un blocage – qu’il soit sanitaire ou autre dans une autre partie du monde.

    Il est trop tôt pour envisager toutes les alternatives. Il n’est pas toujours possible ou souhaitable (pour des questions de qualité, de confidentialité, de relation à long terme avec le fournisseur habituel) de changer de fournisseur. De plus la concurrence essaie également de trouver d’autres canaux et les capacités de production supplémentaires des nouveaux fournisseurs ne sont pas infinies. Il ne serait pas étonnant, cependant, de voir que certaines entreprises cherchent à diversifier leur chaine d’approvisionnement à l’avenir pour éviter tout risque de blocage.

    Mais de façon générale, une reterritorialisation de nos industries et de notre économie me semble un objectif évident.