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Les trois priorités de travail de la Commission européenne

  • Session : 2019-2020
  • Année : 2020
  • N° : 91 (2019-2020) 1

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  • Question écrite du 02/07/2020
    • de BIERIN Olivier
    • à DI RUPO Elio, Ministre-Président du Gouvernement wallon
    À la fin du mois de mai, la Commission européenne lançait son plan de relance pour l'Europe intitulé « Next generation EU ». On parle de 750 milliards d'euros destinés à aider les États membres à relancer la machine économique après la crise que nous venons de vivre, sous quelques conditions toutefois : les investissements et les réformes devront rendre les économies plus résilientes et mieux adaptées aux évolutions en cours. Ils devront également répondre aux deux grandes priorités européennes, fixées à l'entame de la nouvelle législature : la transition écologique et la transformation numérique. Dès lors, pour la Commission, il y a désormais trois priorités de travail : le « Green deal », la transition numérique, et la résilience. Ce dernier point soulève quelques réflexions.

    En premier lieu, faut-il mettre sur un pied d'égalité ces deux premières priorités ?

    En effet, la transition numérique est un outil, et ne devrait pas être considérée comme un objectif en soi. La transition numérique peut améliorer les performances et la résilience de nos entreprises, elle peut contribuer, dans une certaine mesure, si elle est correctement orientée, à la décarbonation de notre économie, mais elle n'a pas d'intérêt propre. Tandis que le « Green deal » est un objectif en soi : il s'agit ni plus ni moins de nous permettre de vivre sur une planète vivable. Il est plus transversal et global.

    Quelle est l'analyse politique de Monsieur le Ministre-Président de l'imbrication de ces deux priorités ?

    A-t-il plaidé dans le sens d'une subordination de l'un à l'autre au sein des instances européennes ?

    Ma deuxième réflexion porte sur la priorité de résilience.

    Peut-il me donner plus de détails sur cette priorité  ?

    Les objectifs de résilience ne sont-ils pas remplis par certains axes du « Green deal », via notamment la relocalisation de certaines productions ?

    Quel est le lien entre ces deux objectifs ?

    Quelle est son analyse politique de la possibilité de fusionner ces deux objectifs ?

    Enfin, dans les recommandations de la Commission figure l'accélération de la mise en place de la 5G.

    Comment la Commission estime-t-elle que la 5G pourrait contribuer aux objectifs de transition écologique ?

    La 5G risque d'aboutir à une multiplication des objets connectés, qui nécessiteront des ressources et de l'énergie, pour leur production et pour leur usage, a fortiori s'ils remplacent des dispositifs en état de marche qui seraient déclassés juste par effet de mode.

    A-t-il attiré l'attention de la Commission sur l'importance d'évaluer le déploiement de la 5G au regard de la cohérence avec les objectifs climatiques et environnementaux ?
  • Réponse du 26/08/2020
    • de DI RUPO Elio
    La crise sanitaire et ses conséquences économiques et sociales ont bouleversé le programme de travail de la Commission européenne.

    Un constat est largement partagé, du Gouvernement wallon à la Commission européenne : au-delà de l’urgence sanitaire et des mesures de soutien et de sauvetage à court terme, il s’agit de tirer les leçons de la crise et de saisir cette opportunité pour construire un nouveau modèle sociétal et économique.

    Le nouveau modèle sociétal et économique doit être plus durable et résilient. C'est-à-dire qu’il doit permettre de limiter, d’anticiper et de gérer le risque de nouvelles crises. Il doit être plus robuste et résistant face à celles-ci. Il doit également garantir que les investissements effectués aujourd’hui pour réparer les dommages à court terme soient compatibles avec nos objectifs à long terme, en particulier la neutralité climatique en 2050.

    Cette réflexion n’a pas débuté avec la crise de la Covid-19. Les enjeux liés au réchauffement climatique et à la perte de biodiversité sont bien connus. Le défi de la transformation numérique, également.

    Dès le début de son mandat la Commission von der Leyen a annoncé qu’elle travaillerait autour de six priorités :
    1. Un Pacte vert pour l’Europe ;
    2. Une Europe adaptée à l’ère du numérique ;
    3. Une économie au service des personnes ;
    4. Une Europe plus forte sur la scène internationale ;
    5. Promouvoir notre mode de vie européen ;
    6. Un nouvel élan pour la démocratie européenne.

    Plus que jamais, le Pacte vert (le « Green Deal ») est central puisqu’il constitue la stratégie de croissance et désormais de relance, proposée par la Commission.
    Il s’agit d’un cadre pour la construction d’une Europe plus résiliente, c'est-à-dire une Europe plus apte à continuer à fonctionner et à se rétablir après une perturbation extérieure, mais aussi plus prospère et plus juste.

    La transformation numérique, via le déploiement de nouvelles technologies et la dématérialisation croissante des services, est un phénomène que chacun de nous perçoit au quotidien. Si son importance a été encore accrue par la crise de la Covid-19, elle figure néanmoins parmi les grandes priorités de la Commission européenne depuis au moins 2015. Ainsi, dans sa « stratégie pour un marché unique numérique », la Commission Juncker a déjà posé les balises d’un agenda numérique européen en proposant un programme de travail qui se déclinait en une trentaine d’initiatives législatives et d’autres non législatives, articulées autour de trois piliers. La très large gamme de compétences couvertes par cette stratégie (de la lutte contre la désinformation et les fake news à la circulation des données à caractère non personnel) témoigne de la transversalité des politiques numériques.

    Notons également qu’avant la mise en place de la Commission von der Leyen, le Conseil européen avait intégré la dimension numérique dans ses priorités stratégiques présentées en juin 2019. Il soulignait que l’Union européenne doit s’assurer que l'Europe soit souveraine sur le plan numérique et obtienne sa juste part des avantages découlant de cette évolution. Pour ce faire, elle doit s’atteler à l'ensemble des aspects de la révolution numérique et de l'intelligence artificielle : les infrastructures, la connectivité, les services, les données, la réglementation et les investissements. Elle devra également permettre d’accroître les investissements dans les compétences en la matière et dans l'éducation.

    Comme souligné plus haut, la Commission von der Leyen a également fait du numérique une de ses six grandes priorités, ce qui se reflète dans son programme de travail 2020, très ambitieux sur ce terrain. Son volet « Une Europe adaptée à l’ère du numérique » reprend de nombreuses initiatives législatives et non législatives autour de neuf axes de travail couvrant de nombreux domaines politiques : des services numériques à la cybersécurité en passant par l’industrie, la recherche, mais également la finance.

    La nouvelle Commission a publié sa stratégie numérique dès le mois de février 2020, sous la forme d’une Communication intitulée « Façonner l'avenir numérique de l'Europe ». Cette stratégie a été publiée en même temps que le livre blanc pour l’intelligence artificielle et la stratégie européenne pour les données. Il s’agit là des premiers jalons qui doivent conduire à l’avènement d’une transformation numérique qui soit profitable aux citoyens et aux entreprises, tout en aidant l’Union européenne à atteindre ses objectifs environnementaux et climatiques. D’autres initiatives importantes sont attendues au courant de l’année 2020 en matière de services numériques, de cybersécurité ainsi qu’un nouveau plan d’action en matière d’éducation numérique, actuellement soumis à une consultation publique.

    Enfin, la priorité accordée au numérique sera également reflétée au travers du programme pour une Europe numérique pour la période 2021-2027 et plus particulièrement la question des pôles d’innovation numérique (Digital Innovation Hubs) qui représente un enjeu majeur pour la Wallonie. En effet, ce programme complète le cadre réglementaire par des financements et des investissements.
    Il s’agit d’accroître la compétitivité internationale et de développer et renforcer les capacités numériques stratégiques de l’Union européenne. Ces capacités clés concernent le calcul à haute performance, l’intelligence artificielle, la cybersécurité et les compétences numériques avancées, ainsi que les modalités assurant leur large utilisation et l’accessibilité dans l’ensemble de l’économie et de la société, tant par les entreprises que par le secteur public.

    La transition verte et la transformation numérique sont deux priorités fondamentales pour la Commission von der Leyen et les stratégies qui les portent sont toutes deux cruciales pour l’avenir de l’Europe et de ses États membres.

    L’enjeu n’est pas de savoir quelle stratégie aurait la préséance sur l’autre : elles poursuivent toutes deux des objectifs distincts. Le Pacte vert pour l’Europe est le nouvel agenda de croissance européen qui doit permettre à l’Union européenne d’être neutre d’un point de vue climatique d’ici à 2050. Il constitue donc une ambition structurante pour orienter l’action européenne sur le moyen et le long terme.

    L’agenda numérique, de son côté, s’intègre d’abord dans le projet de construction d’un marché unique à l’échelle du continent. Il vise à renforcer le marché intérieur européen et à l’approfondir dans l’objectif d’améliorer la compétitivité des acteurs qui y opèrent.

    En réalité, l’enjeu entre ces deux stratégies est plutôt de réussir à les articuler pour qu’elles puissent se nourrir mutuellement et contribuer réciproquement à leurs réussites.

    D’un côté, le développement de technologies numériques adaptées est un formidable outil au service de la transition écologique, que ce soit pour le contrôle et le suivi des données environnementales ou l’accroissement de la transparence tout au long des chaînes d'approvisionnement dans le cadre d’une économie circulaire (passeport numérique des produits). Cela passe bien sûr par le verdissement du secteur des technologies de l’information et de la communication (en matière d’efficacité énergétique, d’usage des ressources matérielles, de droits humains), l’exemplarité des pouvoirs publics (notamment en matière de marchés publics et de recours aux licences open source), et une attention particulière à la fracture numérique afin de ne laisser aucun groupe social ou territoire sur le bord du chemin.

    D’un autre côté, l’ambition climatique européenne devrait permettre de renforcer la compétitivité des acteurs économiques opérant sur le marché intérieur. La position de pointe qu’occupe l’Union européenne en matière de technologies vertes (notamment numériques) et l’avance qu’elle prend en termes de développements des standards de demain vont constituer un avantage concurrentiel certain pour les entreprises européennes face à leurs concurrents mondiaux.

    Notons encore que la question des liens entre transition écologique et transformation numérique est à l’agenda de la présidence allemande du Conseil de l’Union européenne. La Wallonie sera très attentive à la réflexion menée dans ce cadre afin que la Belgique puisse y contribuer utilement.

    En ce qui concerne la question de l’honorable membre sur la résilience, elle occupe une place centrale dans le plan de relance présenté le 27 mai par la Commission européenne.

    Le principal instrument du plan de relance européen est d’ailleurs intitulé « Facilité pour la reprise et la résilience ». Cet instrument obligera les États membres à élaborer leur propre plan national pour la reprise, plan sur mesure, fondé sur les priorités en matière d’investissement et de réforme définies dans le cadre du Semestre européen. De cette manière, il sera possible de s’assurer que les budgets mobilisés pour la reprise serviront à mettre en œuvre les priorités européennes notamment verte et numérique, mais également à renforcer la capacité de l’Union européenne à faire face à des crises à l’avenir.

    Si elle est un des objectifs inscrits dans le plan de relance et donc au-delà dans le prochain budget européen, la résilience ne fait pas l’objet d’une stratégie ou d’un cadre politique autonome comme le Green deal ou l’agenda numérique. Cette notion de résilience entretient un lien avec l’idée d’une souveraineté économique et productive de l’Union européenne en matière de biens stratégiques.

    La crise liée à la Covid-19 a en effet démontré à quel point l’Europe dépend des chaînes d’approvisionnement globales et à quel point cela peut la rendre vulnérable. Ainsi, en ce qui concerne l’industrie pharmaceutique, la Commission compte proposer une nouvelle stratégie. Celle-ci abordera les risques apparus pendant la crise qui ont une incidence sur l’autonomie stratégique de l’Europe et contribuera également au renforcement de capacités supplémentaires de fabrication et de production pharmaceutiques en Europe. Il est par ailleurs prévu que l’instrument d’investissement stratégique de l’Union européenne (InvestEU) contribue à renforcer le rôle de l’Europe en tant qu’acteur industriel et commercial de premier plan dans plusieurs écosystèmes clés, notamment ceux liés à la double transition écologique et numérique. Cependant, à aucun moment il n’est question d’une vague de relocalisations industrielles massives dans l’Union européenne. L’attachement à un commerce ouvert et équitable est affirmé d’emblée et la réduction de la dépendance est conçue comme une stratégie de diversification des sources d’approvisionnement plutôt qu’en termes de relocalisations.

    Enfin, en ce qui concerne la 5G, la stratégie numérique européenne met en avant le besoin impérieux pour l’Europe d’investir davantage dans les capacités stratégiques qui permettent de développer et d’utiliser des solutions numériques à grande échelle et de viser l’interopérabilité dans des infrastructures numériques essentielles, telles que les réseaux 5G (puis 6G) étendus et les deep tech. Elle renchérit sur ce thème en arguant que la connectivité est le pilier le plus fondamental de la transformation numérique et que la connectivité en gigabit, assurée par les infrastructures à fibre optique et 5G sécurisées, est vitale pour exploiter le potentiel de croissance numérique de l’Europe.

    La Commission n’aborde pas la question de la contribution de la 5G aux objectifs de transition écologique. Je n’ai pas eu l’occasion d’aborder ce sujet avec la Commission européenne.