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La politique de la Banque Nationale et les difficultés rencontrées par les jeunes pour accéder à un prêt hypothécaire

  • Session : 2019-2020
  • Année : 2020
  • N° : 270 (2019-2020) 1

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  • Question écrite du 17/07/2020
    • de FONTAINE Eddy
    • à DERMAGNE Pierre-Yves, Ministre du Logement, des Pouvoirs locaux et de la Ville
    Force est de constater qu'il est difficile aujourd'hui de souscrire un emprunt pour devenir propriétaire... et ça l'est plus encore lorsque l'on est jeune et que l'on ne dispose pas de liquidités nécessaires pour faire face aux frais de notaire et aux droits d'enregistrement.

    Pour limiter l'endettement, la Banque nationale décide de prendre de nouvelles règles, entrées en vigueur en janvier 2020 : pour les prêts hypothécaires, la somme maximale empruntée sera de 90 % de la valeur du bien.

    Les jeunes familles doivent maintenant financer les 10 % restants du coût de la maison et trouver un autre moyen de payer les frais accessoires (droits d'enregistrement, notaire).

    Les taux d'intérêt bas sont un incitant à l'acquisition d'un bien immobilier, mais les banques ont augmenté leur marge bénéficiaire, rendant les crédits plus chers...

    La Wallonie dispose d'outils publics comme la Société wallonne de crédit social et d'un dispositif comme le prêt jeune (que Monsieur le Ministre a porté sur les fonts baptismaux sous la précédente législature) qui existe pour les jeunes candidats propriétaires.

    Cette aide est soumise à des conditions : la valeur vénale du logement ne doit pas dépasser 205 000 euros, les revenus ne doivent pas excéder 53 900 euros et avoir moins de 35 ans.

    Quelle est son analyse de la situation ?
    Ne faudrait-il pas interpeller le Fédéral pour réévaluer les exigences de la BNB ?

    Monsieur le Ministre annonçait également vouloir renforcer l'accès à la propriété pour les ménages à bas et moyens revenus à travers un renforcement de la politique de crédit social.
    Pourrait-il dresser un inventaire des aides déjà existantes en Wallonie ?

    Des assouplissements aux conditions d'accès au crédit social sont-ils envisagés ?

    De nouvelles aides pourraient-elles voir le jour ? Quelles formes prendront-elles ?
    Le cas échéant, comment ce renforcement s'articulera-t-il ?
  • Réponse du 01/09/2020
    • de DERMAGNE Pierre-Yves
    Fin 2019, la Banque Nationale de Belgique a publié à l’attention des banques et des entreprises d’assurance ses attentes prudentielles concernant la production des crédits hypothécaires. Ces attentes, qui ont été approuvées par un arrêté royal du 29 janvier 2020, sont entrées en vigueur le 1er janvier 2020. Par ces nouvelles attentes, la BNB invite les acteurs financiers concernés à se comporter de manière plus prudente dans l’octroi des crédits présentant un ratio prêt initial/valeur (montant du prêt hypothécaire par rapport à la valeur du bien immobilier) très élevé.

    La mise en œuvre de ces recommandations implique, dans le chef des citoyens, la détention d’un capital de départ de plus en plus important, puisqu’elle limite la somme maximale empruntée à 90 % de la valeur du bien immobilier. Cette restriction n’est pas absolue, car il est toujours possible d’octroyer des crédits supérieurs à 90 % (35 % des prêts accordés par les banques pour les « first-time buyer ») et même dépassant 100 % de cette valeur (5 % des prêts bancaires sont dans ce cas de figure).

    En ce qui concerne l’analyse de l’impact de ces mesures, en particulier pour les jeunes emprunteurs, le sondage du financier Immotheker Finotheker estime que cette mesure pourrait réduire le nombre de jeunes primoacquéreurs de dix & quinze pour cent, car les banques n’accordent souvent les crédits supérieurs à 90 % de la valeur du bien qu’aux acheteurs ayant des revenus supérieurs et capables de payer une majoration d’intérêts.

    Les derniers chiffres publiés par la Banque Nationale sur les crédits hypothécaires laissent supposer que l’introduction de nouvelles règles pour l’obtention d’un crédit hypothécaire n’a pas eu d’impact majeur, à ce stade, sur le volume de crédits accordés pour l’ensemble des acheteurs en Wallonie.

    En effet, malgré une baisse de 9,4 % au deuxième trimestre 2020 — correspondant à la période de confinement — par rapport au deuxième trimestre 2019, il est observé que le premier semestre 2020 est meilleur que le premier semestre 2019 en Wallonie (+ 4,2 %) en termes de nombre de crédits hypothécaires ; ces derniers étant orientés plus vers l’acquisition de biens immobiliers.

    En termes de montant moyen emprunté des nouveaux crédits hypothécaires, celui-ci (119 keuros) s’est accru d’1,1 % par rapport au premier semestre 2019. Si l’on compare avec l’augmentation des prix immobiliers, les montants empruntés semblent aussi avoir évolué pour permettre l’acquisition.

    Le remboursement des crédits hypothécaires reste facilité par le niveau historiquement bas des taux de crédit. Malgré une courte et légère remontée des taux (qui n’a pas dépassé 0,2 % à 0,3 %) enregistrée à la suite du déclenchement de la crise du coronavirus, on constate la poursuite de la diminution de ces taux depuis la mi-mai.

    Toutefois, malgré ces observations, la difficulté d’accéder au logement en Wallonie demeure bien réelle. Celle-ci ne semble pas être une tendance nouvelle, provoquée soudainement par les nouvelles attentes prudentielles de janvier 2020, mais plutôt une tendance s’inscrivant dans le long terme.

    Cette difficulté est illustrée par deux indicateurs :

    1) Il y a un recul de l’âge moyen des primo-accédants.
    En effet, sur les cinq dernières années, l’âge moyen des primo-accédants était proche de quarante ans (38,5), selon l’enquête 2019 sur l’accès à la propriété réalisée par le CEHD, alors qu’il était de moins de trente ans, au début des années 1990. L’âge moyen des primo-accédants dépasse 35 ans depuis le milieu des années 2000.

    Ce recul de l’âge moyen peut s’expliquer par plusieurs phénomènes :
    * Premièrement, la poursuite de plus en plus fréquente d’études supérieures retarde l’âge de l’accès au premier emploi, de la mise en ménage et du premier achat de logement. C’est un phénomène sociologique.
    * Deuxièmement, de plus en plus d’emprunteurs de tous les âges réalisent des investissements immobiliers via une partie d’emprunt hypothécaire, y compris pour des acheteurs déjà bien installés dans la vie active. L’investissement immobilier ne s’effectue donc plus simplement sur fonds propres ou grâce à des économies.
    * Troisièmement, certains ménages peuvent mener une trajectoire résidentielle plus mobile, ce qui se traduit par la conclusion d’un deuxième voire d’un troisième emprunt pour acquérir un autre bien ou avec un autre co-emprunteur, notamment dans la quarantaine.

    2) La quotité empruntée par les primo-accédants de moins de 35 ans est estimée actuellement à un niveau de 96 %, selon l’enquête 2019 du Centre d’études en habitat durable (CEHD).

    Pour les primo-accédants wallons de moins de 35 ans, entre les années 1980 et l’année 2019, la quotité moyenne est passée de 80 % à 95,9 %. Au cours des cinq dernières années (2015-2019), deux tiers des jeunes primo-accédants ont emprunté avec une quotité supérieure à 90 %. La période postérieure au 1er janvier 2020 n’est pas couverte par l’enquête sur l’accès à la propriété en Wallonie.

    Il ne sera définitivement possible de mesurer si les attentes prudentielles de la BNB ont aggravé les tendances précisées ci-dessous relatives aux primo-accédants qu’à la fin de l’année. Il s’agira de voir notamment si la « marge de manœuvre de 35 % » des prêts pour les primo-accédants autorisant le dépassement du seuil de 90 %, annoncée par la BNB dans le communiqué du 25 octobre 2019, a été suffisante.

    La déclaration de politique régionale fait du renforcement de l’accès à la propriété, via notamment le renforcement de la politique d’octroi des crédits sociaux, un axe majeur de l’action du Gouvernement. D’ores et déjà, cette déclaration a été traduite en moyens financiers au bénéfice des opérateurs du crédit social par un relèvement du plafond des autorisations d’emprunt. Le Gouvernement a ainsi octroyé une autorisation complémentaire d’emprunt à la SWCS de 30 millions en 2020, portant ainsi son objectif de production (octroi de prêts hypothécaires) de 380 à 410 millions d’euros.

    Dans ce contexte de durcissement de l’accès au crédit hypothécaire « bancaire », les outils wallons que sont la SWCS et le FLW, sont essentiels pour permettre l’accès à la propriété à des ménages touchés directement par les restrictions émises par la BNB, en particulier les jeunes ménages. Il me paraît opportun de préciser que ces mesures ne s’appliquent pas à ces prêteurs non bancaires.

    La réglementation d’octroi des crédits sociaux intègre en outre déjà bon nombre de mesures visant à favoriser l’accès à la propriété des ménages de conditions modestes et des jeunes avec peu de fonds propres. À titre d’illustration, en 2019, 65,6 % des emprunteurs de la SWCS avaient moins de 35 ans.

    Outre des taux d’intérêt particulièrement attractifs, ces organismes proposent des crédits à forte quotité. Sur les 2 700 prêts hypothécaires octroyés en 2019 par la SWCS, 79 %, ont été octroyés pour une quotité supérieure à 100 %, c’est-à-dire que le prêt hypothécaire a permis non seulement de couvrir l’intégralité du prix d’achat et du coût des travaux, mais également une partie importante des frais liés à l’achat et à l’emprunt ainsi que la prime d’assurance vie.

    Le Fonds du logement des familles nombreuses de Wallonie propose également un « prêt-jeune », soit un crédit à 0 % avec un montant maximum de 60 000 euros destiné à financer les frais d’achat d’un premier logement pour les emprunteurs de moins de 35 ans. Et depuis le 1er juin 2019, la SWCS octroie une réduction de taux de 20 points de base sur toute demande de prêt émanant d’emprunteurs de moins de 35 ans.

    Le Gouvernement wallon a également adopté toute une série de mesures fiscales visant à réduire le coût global d’une opération immobilière comme un abattement des droits d’enregistrement sur une tranche de 20 000 euros en cas d’acquisition d’un premier logement ou encore l’application d’un taux de 0 % sur les droits d’enregistrement pour les personnes qui acquièrent un logement vendu par un opérateur public comme les SLS ; sans parler de la prime à l’achat de 750 euros qui est versée dans le même cadre !

    Enfin, le Gouvernement encourage les organismes de crédit social à innover et mener des expériences pilotes, comme le financement de droit de superficie pour un logement ou de logement avec démembrement du foncier et l’immobilier.

    D’autres mesures de renforcement de l'accès à la propriété pour les ménages à bas et moyens revenus feront l’objet d’un examen et d’une évaluation de manière à faire évoluer les produits hypothécaires sociaux en tenant compte des réalités, tout en conservant à l’esprit que, quelles que soient les conditions d’accès au crédit, un emprunt reste un emprunt et tant la SWCS que le FLW doivent, comme tout prêteur, avoir une assurance raisonnable quant à la capacité de remboursement des demandeurs. Ce principe est inscrit dans le Code de droit économique. Plus encore, étant donné leur mission sociale, la SWCS et le Fonds du Logement doivent veiller à éviter le surendettement des personnes.

    En ce qui concerne les conditions d’accès au crédit social relatives au plafond des revenus, fixé à 53 900 euros, nous observons effectivement que des ménages aux revenus supérieurs n’ont pas toujours accès au crédit bancaire. Une réflexion pourrait donc être menée pour évaluer la pertinence de relever les plafonds.

    En revanche, en ce qui concerne la valeur vénale maximale, nous attirons l’attention sur le fait qu’elle est de 230 000 euros et non de 205 000 euros. Cette dernière atteint même 310 000 euros dans les zones à pression immobilière. Il est en outre autorisé de déroger à cette règle moyennant motivation. Néanmoins, telle occasion ne s’est pas encore présentée, même si ces montants sont inférieurs au prix médian d’une maison quatre façades dans la province du Brabant wallon (320 000 euros).