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La législation encadrant les lignes à haute tension dans les réserves naturelles

  • Session : 2020-2021
  • Année : 2020
  • N° : 86 (2020-2021) 1

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  • Question écrite du 26/10/2020
    • de DESQUESNES François
    • à TELLIER Céline, Ministre de l'Environnement, de la Nature, de la Forêt, de la Ruralité et du Bien-être animal
    J'ai déjà eu l'occasion d'interpeller Madame la Ministre à plusieurs reprises sur les enjeux liés aux lignes à haute tension, en particulier l'impact des champs électromagnétiques sur la santé humaine. J'aimerais aujourd'hui l'interroger sur l'impact du développement des réseaux de transport et de distribution d'électricité sur la nature et la biodiversité, et plus particulièrement dans les réserves naturelles et zones d'intérêt biologique.

    Il me semble que le passage de lignes à (très) haute tension dans une réserve naturelle pourrait perturber significativement la milieu naturel, la faune et la flore, les oiseaux, etc.

    Singulièrement, des questions se posent sur les menaces pour la réserve naturelle domaniale de Restaumont dans le cadre du projet de « Boucle du Hainaut » qu'elle soutient à travers la Déclaration de politique régionale.

    Existe-t-il des études et a-t-on déjà mesuré l'impact des lignes à haute tension sur la nature et la biodiversité ?

    Pourrait-elle me préciser le cadre légal qui entoure ce genre d'installations en zones protégées telles que les réserves naturelles et les zones d'intérêt biologique ?

    Quels sont les obligations et conditions en la matière et les moyens de contrôle ?

    Ce cadre légal lui semble-t-il adapté à la situation ?

    Est-il suffisant afin de préserver la nature, et en particulier dans les zones protégées ?
  • Réponse du 26/11/2020
    • de TELLIER Céline
    J’ai déjà eu l’occasion de répondre à d’autres questions parlementaires à propos de l’impact des lignes à haute tension et à très haute tension (THT ; de 220 kV à 380 kV), comme celle du projet « Boucle du Hainaut » (380 kV), auxquelles je renvoie l’honorable membre pour les aspects techniques.

    Si les impacts potentiels des champs électromagnétiques restent une source de préoccupation pour la santé humaine, au moins à trois niveaux (l’électrohypersensibilité, certaines maladies neurodégénératives et le caractère potentiellement carcinogène), les données scientifiques disponibles à l’échelle internationale sont plus réduites concernant la faune et se rapportent surtout à des troubles du comportement des animaux d’élevage (nervosité, agressivité, hésitation...), entraînant des traites inégales, des diminutions de poids ou un ralentissement de la croissance. Ces impacts ne résulteraient pas d’un effet direct des champs électromagnétiques, mais de courants induits ou de fuites. Ils ne se manifestent que lorsque les animaux sont parqués dans des parcelles clôturées au voisinage direct des lignes.

    Il est peu probable que l’on puisse observer de tels comportements chez les mammifères sauvages dont les domaines vitaux sont beaucoup plus étendus et qui ne stationnent que pour des durées limitées sous les lignes à haute tension. Des comportements d’évitement des champs électromagnétiques élevés ont d’ailleurs pu être montrés chez des mammifères (rat, cochon) et des insectes volants (mouche domestique) et non volants (blattes).

    Toutefois, des effets directs des champs électromagnétiques ont été rapportés chez l’abeille domestique, dont le comportement d’orientation serait affecté, probablement via les petits cristaux de magnétites contenus dans leur abdomen, ainsi que sur le comportement locomoteur d’autres insectes, volants (drosophiles) ou non (blattes), dont les déplacements seraient ralentis.

    L’impact avéré le plus fréquent et significatif des lignes à haute tension reste la mortalité accidentelle qu'elles induisent par collision ou électrocution chez les oiseaux, généralement de grande taille (rapaces, cigognes, hérons, grues…). L’électrocution peut se produire lors de l'atterrissage et du décollage d'un pylône, l'oiseau touchant en même temps le pylône et un conducteur.

    Les solutions qui existent et sont à présent bien connues et appliquées sont : l’identification des zones sensibles, la pose de spirales-balises rouges et blanches (en alternance, pour rendre la ligne visible respectivement aux oiseaux diurnes et crépusculaires) qui permettent de réduire de 65 à 95 % la mortalité, et aussi la pose de silhouettes de rapaces pour effaroucher les oiseaux de plus petite taille.

    Paradoxalement, des études récentes ont pointé l’intérêt des milieux semi-naturels entretenus sous les lignes à haute tension comme refuges pour divers groupes animaux, tels les micromammifères, les oiseaux et les papillons de jour. Ces études soulignent le fait que les terrains situés sous les lignes à haute tension fournissent des habitats ouverts extensifs favorables à diverses espèces qui ne trouvent plus les ressources indispensables dans les paysages agricoles profondément modifiés par l’intensification de l’agriculture.

    En Wallonie aussi, les emprises forestières des lignes à haute tension permettent le développement de milieux semi-naturels ouverts formant des corridors écologiques intéressants pour la flore et la faune dans les paysages, s’ils sont gérés de manière appropriée (fauche et pâturage extensif). C’est ce qui a été mis à profit par exemple en Wallonie dans le cadre du projet Life « Elia » (http://www.life-elia.eu/fr/ ), financé par l’Union européenne entre 2011 et 2017.

    Aujourd’hui, les terrains situés sous certaines lignes à haute tension en Fagne et Famenne et Ardenne accueillent encore des populations d’espèces menacées de reptiles (coronelle, vipère …), de papillons (lucine, argynne, …) ou de plantes (orchidées …).

    Les pylônes des lignes à haute tension offrent également des supports facilitant la reproduction d’espèces rares, notamment des rapaces lorsqu’on y installe des nichoirs adaptés (exemple du faucon crécerelle dans le marais poitevin en France, ou de la Cigogne blanche qui adopte régulièrement des pylônes en Charente-Maritime depuis une dizaine d’années pour y construire son nid). À noter d’ailleurs qu’un premier cas d’installation d’un nid de Cigogne blanche a été constaté sur un poteau électrique en Wallonie en 2020, à Sprimont.

    Il est évident que, malgré ces éléments factuels d’apparence favorable, il ne faut pas considérer que les lignes à haute tension sont un moyen adéquat de protection de la faune et de la flore : je mets en place de nombreux autres outils à cette fin.

    Il apparaît que l’impact négatif de ces installations le plus clair et avéré à ce jour est la mortalité accidentelle pour les grands oiseaux, effets en grande partie atténuables. Ceci justifierait certainement des mesures d’évitement ou d’atténuation vis-à-vis des réserves naturelles, des sites Natura 2000 ou de certaines régions abritant des populations de rapaces menacés (busards, milans, par ex.) ou régulièrement fréquentées par de grands oiseaux migrateurs (rapaces, grues …).

    L’ensemble de ces observations montre que les lignes à haute tension ne sont pas un facteur forcément et exclusivement défavorable à la biodiversité, même si les recherches concernant les effets des champs électromagnétiques doivent être poursuivies et encouragées. C’est d’ailleurs un objectif que je me fixe au travers de l’étude dédiée que je compte mettre en place.

    La législation wallonne actuelle ne prévoit pas de dispositions spécifiques concernant le développement des réseaux de transport électriques et la protection des grands oiseaux.

    Cependant, des mesures d’évitement, d’atténuation et de compensation peuvent être demandées, pour chaque projet, dans le cadre de la procédure de demande du permis d’environnement.

    La révision de la législation wallonne envisagée dans le cadre de la Stratégie biodiversité 360° doit cependant permettre, en complément des Directives Habitat et Oiseaux, de tendre vers la stratégie « No Net Loss » proposée par la Commission européenne (https://ec.europa.eu/environment/nature/biodiversity/nnl/index_en.htm).

    À cette fin, des mesures de compensation pourront être plus largement proposées dans les projets de développement des réseaux électriques en zone Natura et en réserves naturelles.