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L'utilisation de néonicotinoïdes

  • Session : 2020-2021
  • Année : 2020
  • N° : 108 (2020-2021) 1

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  • Question écrite du 06/11/2020
    • de GAHOUCHI Latifa
    • à BORSUS Willy, Ministre de l'Economie, du Commerce extérieur, de la Recherche et de l'Innovation, du Numérique, de l'Aménagement du territoire, de l'Agriculture, de l'IFAPME et des Centres de compétences
    « Nature & Progrès Belgique » ainsi que « PAN Europe » nous sensibilisent au sujet de l'utilisation de néonicotinoïdes au sein de notre agriculture.

    En effet, même si la Commission européenne a interdit les néonicotinoïdes en 2018 afin de protéger l'environnement, la Belgique a fourni des dérogations pour les saisons 2019 et 2020, pour l'usage des néonicotinoïdes en enrobage de semence de betterave.

    Monsieur le Ministre a-t-il pris contact avec son collègue du Fédéral afin de débattre de cette problématique ? Pense-t-il qu'une dérogation sera octroyée pour 2021 ?

    Quel est l'impact de l'utilisation de ces produits pour la Wallonie ? Des alternatives efficaces aux néonicotinoïdes existent-elles ?

    Pourrait-il nous faire un bilan de ce dossier ?

    Quel est son champ d'action afin de faire respecter la décision de la Commission européenne d'interdire les néonicotinoïdes en Wallonie, si à défaut nous sommes dans l'impossibilité de pouvoir l'appliquer au niveau national ?
  • Réponse du 01/12/2020
    • de BORSUS Willy
    Je me permets d'assurer à l'honorable membre que je partage entièrement ses préoccupations. Je suis d’ailleurs partisan de longue date comme elle d’une élimination de ceux-ci dès que possible. J’en veux pour preuve que le « Plan fédéral abeille 2017-2019 » dont j’ai été à l’origine, se préoccupait déjà de cette problématique et consacrait une attention particulière à ces substances.

    Il faut savoir que nous sommes confrontés cette année à une situation très particulière qui a été mise en lumière par les ravages importants occasionnés aux cultures de betteraves non protégées par des substances de la famille des néonicotinoïdes en France. De nombreux champs y ont été fortement infectés par le virus jaune de la betterave véhiculé par certains pucerons et certaines récoltes ont été catastrophiques. Ces ravages sont d’autant plus inquiétants qu’à court terme aucune solution ne se présente pour lutter contre ces derniers, ni en France, ni en Belgique. Les recherches en la matière sont en cours, mais pourraient n’aboutir malheureusement que d’ici trois ans.

    Sans remède à ce problème qui va inéluctablement s’étendre à la Belgique, la culture de la betterave est fortement menacée chez nous aussi, et ce, à un point tel, que son abandon pourrait même devoir être envisagé. Il faut également être conscient qu’en l’absence d’usage de néonicotinoïdes, si nos betteraviers veulent tout de même maintenir cette culture, ils seront contraints d’utiliser d’autres insecticides en pulvérisation classique dont l’efficacité se réduit d’année en année. Ces insecticides ne sont malheureusement pas non plus exempts de risque pour nos abeilles.

    Pour solutionner cette problématique, les betteraviers se sont tournés vers le Ministre fédéral de l’agriculture. En effet, la compétence relative à la mise sur le marché de ces pesticides, et en particulier l’octroi d’autorisations d’urgence, appelées communément « dérogations », dépend de lui. Les experts du comité d’agréation, lequel comprend des experts wallons, ont demandé qu’en cas d’octroi de celle-ci, elle soit de portée très limitée et soumise à des conditions très restrictives. C’est pourquoi, outre une diminution des doses d’usage, des conditions très strictes pour la culture de betterave et pour les cultures y succédant ont à nouveau été imposées et renforcées.

    Concrètement, trois demandes de dérogation selon l’article 53 du règlement européen pour des substances actives néonicotinoïdes ont été introduites fin août 2020 pour le semis de betteraves sucrières par son secteur. Ce sont trois demandes concernent les substances actives : beta-cyfluthrine & clothianidine, thiamethoxame et imidaclopride.

    Parmi ces trois demandes, celles concernant les substances actives beta-cyfluthrine & clothianidine et thiamethoxame ont fait l’objet des dérogations approuvées en 2018 et 2019. La demande concernant la substance active imidaclopride a été introduite pour la première fois cette année.

    Ces demandes ont été évaluées par le Comité d’agréation des pesticides à usage agricole lors de sa réunion du 27 octobre 2020.

    Le Comité d’agréation a rendu un avis négatif pour ce qui concerne les dérogations de semis avec les substances actives beta-cyfluthrine & clothianidine et thiamethoxame et un avis positif pour le semis de semences enrobées avec la substance active imidaclopride.

    Concernant la justification des circonstances particulières que je viens d’évoquer, la législation européenne permet lors de circonstances entrainant une situation particulière sur le terrain de procéder à une évaluation pour une culture donnée et dans un contexte donné.

    Dans le cas qui nous concerne, les circonstances particulières qui ont été retenues par le comité sont l’importance des dégâts observés à la culture de betteraves sucrières et l’absence de moyens de défense alternatifs et suffisamment efficaces que pour pouvoir y répondre.

    L’évaluation du manque d’autres moyens raisonnables a été abordée de deux manières dans le cadre de ces demandes de dérogation.

    La première se base sur les éléments communiqués lors de la réunion du comité d’agréation par les experts agronomiques régionaux et qui permettent de juger de la situation des alternatives de défense des cultures disponibles (chimiques ou non, mécaniques, techniques de culture, méthodes variétales…). Toutes les possibilités alternatives sont prises en compte et discutées par le Comité pour envisager l’acceptation ou non de la dérogation.

    La seconde consiste en une évaluation de la pertinence de la demande selon les recommandations prescrites par l’EFSA dans son rapport technique : « Protocole pour l'évaluation des données concernant la nécessité de l'application de substances actives insecticides pour lutter contre un danger grave pour la santé des végétaux qui ne peut être maîtrisés par d'autres moyens disponibles, y compris des méthodes non chimiques » et ce en comparaison avec les alternatives éventuellement disponibles.

    C’est sur la base de ces différentes évaluations concernant d’éventuelles alternatives raisonnables disponibles que le Comité d’agréation a conclu pour la substance active imidaclopride à la possibilité de rendre un avis positif pour cette dernière.

    Sur la base de cet avis positif, une autorisation d’urgence 120 jours pour le semis de semences de betteraves enrobées avec la substance active imidaclopride a été délivrée par le chef de cellule autorisations du Service Produits phytopharmaceutiques et Engrais du SPF Santé publique, sécurité de la chaine alimentaire et environnement. Cette autorisation reprend des conditions très strictes de dose. Elle comprend aussi des restrictions de cultures (y compris les cultures intermédiaires) faisant suite au semis de ces semences traitées. Ces restrictions permettent de restreindre au maximum tout impact sur les pollinisateurs.

    Divers recours ont par le passé été introduits auprès du Conseil d’État contre ces dérogations. Ces derniers ont été rejetés. Le Conseil d’État a confirmé ainsi le bien-fondé de la démarche belge en la matière.

    Ces dérogations ont également été examinées par la Commission européenne. Cette dernière, si elle a dénoncé le caractère léger de la justification de certains pays dans l’octroi de ces dérogations, n’a au contraire formulé aucune remarque concernant la Belgique.

    Par ailleurs, par l’arrêt n° 247 769 du 11 juin 2020, le Conseil d’État a annulé l’arrêté du Gouvernement wallon du 22 mars 2018 interdisant l’utilisation de pesticides contenant des néonicotinoïdes.

    Il a constaté que la Cour constitutionnelle, dans un arrêt n° 32/2019 du 28 février 2019, a jugé que la compétence de l’autorité fédérale d’édicter des règles concernant la mise sur le marché d’un produit a pour conséquence que le Gouvernement wallon ne peut pas adopter une interdiction générale d’utiliser certains pesticides sur l’ensemble du territoire de la Région wallonne.

    Le Conseil d’État a donc estimé que les dispositions de l’arrêté du Gouvernement wallon du 22 mars 2018 édictent une interdiction quasi générale d’utilisation des pesticides contenant des néonicotinoïdes. Il considère qu’une telle réglementation s’apparente à une interdiction de mise sur le marché de ces produits qui est incompatible avec la répartition des compétences entre l’autorité fédérale et les entités fédérées.

    Il n’est donc pas possible pour la Région wallonne d’édicter une interdiction générale d’utilisation des pesticides contenant des néonicotinoïdes et donc de remettre en question cette dérogation.
    On me demandait un bilan de ce dossier. Cela me donne l’opportunité de dépasser le seul sujet de ces substances. En ce qui concerne la culture de betterave, il faut avoir à l’esprit que son intérêt dépasse largement la seule production à grande échelle de sucre. Cette culture est depuis près de 200 ans un élément important de la rotation des cultures en Belgique. Elle en est même une « tête de rotation ». Outre la production d’éthanol, la betterave permet également d’assurer la production de nombreux co-produits (fibres, mélasses, écumes…) qui sont valorisés dans nos élevages.

    La betterave est aussi un pilier de notre souveraineté en matière de production de sucre. Sans elle, nous serions totalement dépendants de pays où est cultivée la canne à sucre dans des conditions que nous ne pouvons malheureusement pas contrôler. Je n’évoquerai à ce sujet que la problématique de la déforestation qui sévit dans ces pays. Il est donc important de trouver des solutions pour que nous puissions sauvegarder cette culture en Belgique.

    La recherche agronomique wallonne et internationale s’est mobilisée à ce sujet. Je ne doute pas que nous pourrons dans un avenir proche, grâce aux progrès réalisés par la recherche agronomique, produire dans notre région des betteraves sans devoir avoir recours à ces substances.