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Le statut des logements kangourou

  • Session : 2020-2021
  • Année : 2020
  • N° : 47 (2020-2021) 1

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  • Question écrite du 17/11/2020
    • de CASSART-MAILLEUX Caroline
    • à COLLIGNON Christophe, Ministre du Logement, des Pouvoirs locaux et de la Ville
    On trouve de plus en plus en Wallonie des habitations dites « kangourou », c'est-à-dire une maison qui a été divisée en plusieurs logements distincts pour qu'y vivent une ou des personnes plus âgées et un jeune ou une famille. Si cela crée une jolie solidarité intergénérationnelle, contribue au désencombrement des maisons de repos et diminue le coût de la vie, il n'empêche que cela entraine un véritable casse-tête fiscal, notamment en ce qui concerne la domiciliation et tout ce qui en découle : impôts, cadastre, précompte…

    Monsieur le Ministre peut-il me dire quelle est la législation en vigueur pour ce type de logements ?

    Quelle habitation peut se prétendre « kangourou » ?

    Y a-t-il un permis à obtenir pour se déclarer comme tel ?

    J'ai cru comprendre qu'il y avait une partie régionale et une partie communale en la matière et qu'il y avait également différentes sortes d'habitats kangourou. Pour prendre un exemple concret : à partir du moment où deux personnes vivent dans un même logement, au même numéro, mais avec chacune leurs parties bien distinctes, celles-ci peuvent-elles être domiciliées en tant que personne « isolée » ?
  • Réponse du 07/12/2020
    • de COLLIGNON Christophe
    Les évolutions de nature économique, sociale, sociologique ou encore écologique ne sont pas sans conséquence sur notre mode d’appréhension et d’occupation des logements. Il est de plus en plus fréquent que des immeubles occupés autrefois par un seul ménage le soient à présent par plusieurs personnes qui, à des degrés d’intensité différente, mettent l’accent sur la dimension de partage du lieu de vie, sur la dimension relationnelle, l’échange de services ou le soutien mutuel. La colocation, les habitats partagés, le co-housing sont ainsi autant de nouvelles formes d’occupation du logement.

    L’habitat « kangourou » évoqué dans la question rentre assurément dans cette catégorie de nouveaux logements ou de nouvelle manière d’occuper un logement. Une habitation « kangourou » se présente donc comme une habitation divisée en plusieurs logements distincts, où peuvent par exemple vivre des personnes de générations différentes. Leur cohabitation est généralement basée sur la dimension de contact, d’échange de services et sur la solidarité intergénérationnelle. Ce type de concept vise une pluralité de situations, entre personnes d’une même famille ou non, où tantôt un aîné accueille un plus jeune, tantôt une famille accueille un aîné.

    Comme l’Honorable Membre, je suis convaincu des aspects positifs des projets d’habitat intergénérationnel : sortie de l’isolement, création de liens sociaux, entraide et solidarité, qui peuvent aussi éviter l’entrée en maison de repos.

    Il me convient toutefois de préciser que le logement « kangourou » est un concept régi par un ensemble de législations et réglementations issues de niveaux de pouvoirs différents et concernant notamment sur les dimensions urbanistique, fiscale et administrative, lesquelles s’appliquent tant bien que mal à ces nouvelles situations rencontrées.

    Pour ce qui concerne la domiciliation, celle-ci relève du niveau fédéral. La législation applicable en la matière est la loi du 19 juillet 1991 relative aux registres de la population, loi qui utilise la notion de « ménage ». Le problème qui peut être rencontré du point de vue de l’habitat « kangourou » avec cette notion vient du fait que le ménage est défini comme étant la personne seule ou plusieurs personnes unies ou non par des liens de parenté et qui vivent habituellement ensemble dans une résidence principale.

    Dès lors que des services sont prestés par la famille locataire au profit de la personne âgée (faire des courses, le nettoyage, etc.), la situation de fait s’apparente à celle d’un seul et même ménage occupant la maison. Ce qui entraîne d’importantes conséquences notamment si les intéressés bénéficient de revenus de remplacement (allocations de chômage ou d’invalidité, ou revenu d’intégration sociale).

    Par ailleurs, la formule du logement « kangourou » peut intéresser des personnes unies par des liens de parenté : une grand-mère occupant une maison devenue trop vaste pour elle seule et qui serait heureuse de pouvoir accueillir sous son toit un petit-enfant qui se lance dans la vie. Un tel cas met en lumière un paradoxe : si la relation se caractérise par une grande confiance, condition essentielle pour la viabilité du logement « kangourou », elle risque fort d’être considérée comme étant un critère constitutif de la notion de ménage. Autrement dit, ce qui est un atout de réussite constitue, par ailleurs, un obstacle au niveau des réglementations administratives.

    Se pose dès lors la question de savoir comment préserver au mieux le statut des personnes qui sont parties prenantes dans l’occupation d’un logement « kangourou ».

    L’existence d’un bail enregistré et exécuté par des paiements réguliers de loyer présume de l’existence de deux ménages. Cette présomption peut cependant être renforcée par l’insertion dans le bail de dispositions précises sur les services que le locataire assure en faveur du bailleur, lorsqu’ils existent. Le contenu de ces dispositions est de nature à renforcer la spécificité de la relation intergénérationnelle propre au logement « kangourou ».

    Une seconde réponse relève de la réglementation urbanistique. C’est ainsi que, sur le plan urbanistique, il y a lieu de se référer au CoDT qui conditionne la création d’un logement au sein d’une construction existante à l’obtention préalable d’un permis d’urbanisme et ce, que cette création nécessite des travaux ou non. À ce niveau, tous les mots ont leur importance. La notion de « logement » implique, d’une part, la réunion des fonctions de base de l’habitat, comme la présence d’une cuisine, d’une salle de bains, de toilettes et d’une chambre, et d’autre part, une occupation à titre de résidence habituelle. Quant au terme « création », il emporte l’ajout d’un logis comportant l’ensemble des fonctions de base que je viens d’évoquer à un autre.

    À partir de là, il importe de se référer au type de cohabitation vécue sur le terrain. C’est ainsi que la division d’une habitation unifamiliale en un logement principal existant et en un logement « kangourou » autonome nécessite un permis. En revanche, la création d’une chambre pour un aîné ou un jeune dans une habitation unifamiliale avec partage d’une ou de plusieurs pièces comportant les fonctions de base (salle de bains, cuisine, toilette) n’emporte pas la nécessité de solliciter un permis.

    L’impact de la division et de la création d’un nouveau logement distinct (ou non) sera également d’ordre administratif et fiscal. Sur ce dernier point, il apparaît que la part du revenu cadastral associée au logement kangourou doit faire l’objet d’une déclaration séparée ; de même, si l’habitation, dans son ensemble, a fait l’objet d’un financement via un crédit hypothécaire, la part d’amortissement et d’intérêt entraînant un avantage fiscal devra être proratisée puisque ce dernier ne porte que sur l’habitation propre et unique occupée par le propriétaire.

    Ainsi qu’on le voit, le développement du logement « kangourou » n’est pas nécessairement « dans la poche ». La difficulté réside principalement dans la superposition de nombreuses législations qui, par ailleurs, ne ressortissent pas du même niveau de pouvoir : Code wallon de l’habitation durable, CoDT, loi relative aux registres de la population, législations fédérales sur les allocations de remplacement de revenus et sur le revenu d’intégration sociale.

    Toutes ces questions se posent également dans le cadre de la colocation. Une discussion interfédérale sur ces questions avait débuté en 2013, sans toutefois aboutir à des avancées tangibles. Une fois que la crise sanitaire passée, je ne manquerai pas de consulter la ministre chargée de l’Action sociale pour évaluer la possibilité de relancer cette discussion interfédérale.

    Qu’il me soit enfin permis, en tant que ministre du Logement, d’évoquer et de saluer l’initiative de précurseur prise, voici maintenant plus de dix ans par le Fonds du logement de Wallonie. Avec le soutien de la Région, celui-ci a en effet lancé et développé le prêt intergénérationnel permettant de financer la création de logements, au sein d’une habitation unifamiliale, destinés à accueillir un parent âgé. En l’espace d’une décennie, ce sont ainsi plusieurs centaines de personnes qui ont pu bénéficier de ce type d’aménagements, ouvrant la porte à l’expression d’une belle solidarité familiale et intergénérationnelle.